Femi Kuti a toujours combattu les injustices, dans la lignée de son père. Avec No place for my dream il jette un pavé dans l’océan de la misère planétaire
Avec ses tempes grisonnantes et son sourire apaisé Femi Kuti, la cinquantaine, ressemble de plus en plus à son père. Son expression sereine, teintée de mélancolie, laisse à penser que les vieux démons du passé (la mort brutale de Fela, de sa grand-mère, sa traversée du désert musicale ) sont enterrés. Et pourtant Avec son dernier né, No place for my dream, il pousse un désespérant cri d’alarme. Là où dans le précédent opus, Africa for Africa, il espérait encore sortir son continent de l’ornière, sur celui-ci, dès le titre d’ouverture : « The world is changing » le constat est implacable. La misère est partout, comme l’illustre le titre, « No work no job no money » : « La pauvreté augmente. Ce n’était pas dans les pires cauchemars des Européens de se retrouver fauché à ce point ! C’est toujours compliqué de faire comprendre à l’Africain de la rue qu’il y a des Européens sans emploi, qui ne peuvent pas nourrir leurs familles ! » Il pointe les conflits au Congo, en Somalie, les catastrophes naturelles en Chine, au Pakistan, en Haïti Quant au fameux Printemps arabe il l’écorne dans « Carry on Pushin on » : « The arab spring never brings roses ». Tunisie, Égypte, Libye, Syrie ? Tout le monde s’attendait à un miracle. Ça a ramené de nouvelles peurs, de nouveaux monstres : les fanatiques. Ils s’étendent maintenant en Afrique noire, équipés en armes avec de l’argent ! »
Sur cet intégrisme religieux, Femi avait averti ses dirigeants depuis longtemps. En vain ! « En 1999, quand le Nigeria est parti dans son processus de démocratisation, les leaders de neuf provinces du Nord ont décidé de changer le mode de gouvernance et d’appliquer la Charia. J’ai averti que je n’aurais plus jamais le droit de faire ma musique là-bas. On m’a dit que j’étais trop critique. Malheureusement j’avais raison. Il y a trois semaines, plus de deux cents personnes ont été tuées dans un parking, alors qu’elles allaient prendre les cars d’Abuja en direction de Lagos. Comment la pauvreté a atteint ce niveau pour que des gens soient prêts à sacrifier leur vie ? Ce sont des choses qu’on n’aurait pas pu voir, même à l’époque de mon père. Comment le Nigeria en est-il arrivé là ? » Femi n’est pas plus tendre avec le gouvernement et surtout les militaires (ennemis jurés de la famille Kuti, fustigés par Fela dans la chanson « Zombie » N.D.L.R.) qu’il accuse d’envenimer les choses : « Selon un rapport d’Amnesty International, l’armée brûle des maisons et tue des personnes innocentes dans le nord. Les journalistes n’y sont même pas autorisés ! Des gens accusés d’être des fanatiques, ont aussi été arrêtés, sans procès, et jetés dans les cellules de l’armée, pendant plus de deux ans ! » Cette fameuse année 1999, Femi a bien tenté l’aventure politique, avec le MASS (Movement against second slavery), mais il en est vite revenu : « Je n’arrivais même pas à rendre heureux les gens de mon parti ! Je serais un dictateur. La politique est un métier de gens qui n’ont rien à faire de leur vie ! Ma musique est une meilleure thérapie pour moi et, espérons-le, pour mon peuple. »
Pour rendre les gens heureux, il a lancé, tous les jeudis, des concerts gratuits dans son club de Lagos : le Shrine. Il a aussi dédié à son père le festival Felabration, qui réunit chaque année cinquante mille spectateurs. Sur ce nouvel album, Femi défend l’héritage Afro Beat du roi Fela, tout en assumant sa part d’originalité : « Je suis à un niveau où je n’ai plus besoin d’écouter sa musique ou « Sketches of Spain » de Miles Davis pour m’inspirer. C’est déjà en moi ! Je reste fidèle à l’Afro Beat, en faisant un pas en avant. » Pour ce faire, il est épaulé par son complice, le producteur Sodi (1) « C’est mon frère. Il vit et dort en studio. Je suis plus un animal de foule, de scène. Quand je viens en studio c’est son travail de me mettre dans l’ambiance pour que je donne le meilleur de moi-même. » Hervé Salters du groupe General Electriks a également parsemé l’ensemble de touches sonores funky. Enfin, son orchestre Positive Force a été remanié pour amener de la fraîcheur : « Quand les musiciens deviennent trop arrogants je ne le supporte pas ! La musique a besoin de gens qui ont envie d’exceller. Quand tu penses que tu es plus grand que la musique il est temps pour toi de partir ! » Et pour la suite, l’imprévisible Femi n’a pas fini de surprendre : « J’ouvre un autre chapitre. Le prochain album sera sûrement plus calme, dans un registre de ballade
»
Concert : Saluting the Black President à la Bellevilloise le 16 mai 2013 avec les anciens musiciens de Fela : Dele Sosimi Tony Allen mais aussi Ginger Baker, Keziah Jones, Ty, Rachid Taha, Breis, Black Twang [www.labellevilloise.com]
(1) associé avec Femi Kuti depuis l’album Shoki Shoki en 1999 et ancien producteur des Négresses vertes, IAM et Fela Kuti.///Article N° : 11498