Laurentine Ngampika, la doyenne aux couleurs amicales ; Bernadine Alouna, la pluridisciplinaire ; Annie Moundzota, aux cinq styles ; Reine-Claire Kombo, la magicienne des couleurs ; Bill Kouelani, la torturée généreuse La femme congolaise s’investit de plus en plus dans la pratique picturale.
Pratique récente mais apparemment partie pour durer et faire de nombreux épigones, la création plastique féminine s’enrichit chaque jour de nouvelles prétendantes au dialogue des couleurs et des formes.
Nouveauté oblige, les actrices du pinceau ou femmes aux pinceaux, comme les nomme affectueusement le poète Matondo Kubu Turé, brûlent les étapes de la reconnaissance et de l’image créatrice. Longtemps isolées les unes des autres, elles forment aujourd’hui une manière de front commun (au sens noble) de l’identité créatrice urbaine, notamment à Brazzaville. C’est le caractère vivant de leur art et de leur démarche qui oblige l’amateur congolais autant que le touriste éclectique de passage à porter son attention sur cette agitation imaginaire d’un type nouveau.
Cependant, au delà du mouvement que constitue la création féminine collective, les itinéraires sont variables d’une femme-peintre à une autre, tout comme les sources d’inspiration de l’uvre. Pourtant, selon l’écrivain Marie-Léontine Tsibinda, « elles ont presque toutes fait leur classe à l’École de Peinture de Poto-Poto ; elles travaillent sans subvention de l’État et pourtant réussissent à exposer en Afrique comme en Europe. »
Combien sont-elles ? Plus d’une dizaine, sûrement, mais retenons quelques figures. Il y a celles qui ont émigré (Laurentine Ngampika en France ; Reine-Claire Kombo au Cameroun ; Pereira au Bénin) ; celles qui se battent dans l’adversité de vivre de Brazzaville (Tatiana Tsolo de l’atelier Hengo ; Bernadine Alouna et Annie Moundzota de l’École de Peinture de Poto-Poto) et celle enfin qui préfère promener ses blessures existentielles dans la marge des bitumes et du feu onirique : Bill Kouelani.
Essayons de lire l’itinéraire de quatre figures exemplaires.
Figure 1 : Laurentine Ngampika, la doyenne aux couleurs amicales. Elle totalise aujourd’hui dix-huit ans de pratique picturale. A Marie Léontine Tsibinda, elle commente son itinéraire ainsi : « Je suis allée à l’école de Peinture de Poto-Poto pendant trois ans. Le concours d’Affiche Découverte de RFI m’a consacré lauréate en 1982. En 87, j’ai décidé de choisir comme maître Michel Hengo, peintre de renom. M’allier à Hengo, c’est sortir un peu des sentiers battus de l’École, rompre avec le style des mickeys. » (*) Ainsi, Laurentine a pour ambition d’embrasser « la beauté et l’élégance des couleurs » à l’instar de Michel Hengo dont elle se veut la grande héritière. Mais avec quels moyens entend-elle assurer ce défi ? Avec des instruments simples et disponibles : « J’aime travailler au couteau : je mesure à travers cet instrument combien ma création évolue de manière efficace. Le blanc est ma couleur de base et les tons chauds de mes toiles font qu’on me compare souvent au peintre Guy-Leon Filla. » A ce stade, force est de constater que Laurentine Ngampika fait désormais partie des grands pinceaux du Congo et d’Afrique : ne ressemble pas aux figures fondatrices qui veut.
Figure 2 : Bernadine Alouna, la pluridisciplinaire. Belle dame et consciente de l’être, Bernardine Alouna est une personnalité attachante et toute tendue vers la quête de la beauté et du sens. Car Bernardine ne peint jamais gratuitement. Venue à la peinture en 1984 après une inscription à l’École de Peinture de Poto-Poto à l’époque de l’illustre Nicolas Ondongo comme directeur, elle poursuit en 1987 une carrière à l’Hôtel Cosmos où elle anime ateliers et expositions. En 1989, elle signe avec l’usine textile Impreco de Brazzaville en qualité de dessinatrice de motifs de pagnes. Enfin, en 1993, elle est chargée du marketing des pagnes Impreco à la société S.C.K.N.
Bernadine Alouna est une boulimique du travail ; elle avoue une dette immense aux techniques « textiles » : « Le dessin industriel m’aide dans la création de mes toiles et me donne une certaine habileté quant à la composition des tableaux comme Magie africaine qui représente des masques. Par ailleurs, l’expérience de mon passage à Impreco m’a apporté l’exigence de la finition et la nécessité de la patience. » Sa passion des couleurs chaudes est un impératif : « Mes couleurs préférées sont le rouge, le jaune et le noir. Le noir surtout pour les traits : les traits c’est ma façon à moi de m’identifier, ma façon de montrer mon style et de marquer mon territoire. » Bernadine marque donc son territoire plastique dont l’écriture et la pertinence sont plus que prometteuses.
Figure 3 : Reine-Claire Kombo, la magicienne des couleurs. Venue tard à la peinture, la compagne du peintre Francis Tondo Ngoma se révèle être une gagnante dans le combat avec la toile blanche. Étudiante unique de son mari de professeur, Reine-Claire est assidue avec cependant des moments de rébellion : « Je lui dis, à Francis, de me lâcher les baskets. Ton dessin n’est pas fini, et là, un peu plus de bleu. Je lui dis non. Je vois ça comme ça. Francis boude et me laisse peindre ». Le désir d’indépendance l’emmène à préférer des couleurs pastelles au contraire de Francis qui les accentue.
Les sujets de ses uvres vont des portraits de personnages au travail, souvent des femmes (La Pileuse ; Les Porteuses de fagots) aux paysages intimes de nus de femmes dont elle s’attache au volume des formes doublées de l’esprit de vie. Le peintre Remy Mongo Etsion dit d’elle : « Le rare peintre féminin à dire sans masque la générosité du corps. » : Reine-Claire Kombo est un peintre qui s’accomplit sûrement, émerveillée qu’elle est du présent.
Fugure 4 : Bill Kouelani, l’insurgée de la vie. Grande admiratrice de Van Gogh et de Bacon, peut-être a-t-elle acquis en leur compagnie son sens de la provocation et de la révolte pure, révolte sans signification sociale directe, révolte de principe. Bill a besoin de grands pans de toile, tenaillée par le désir d’habiter la totalité de la colère. Plus que révoltée, elle est torturée de l’intérieur de ses fondations-mêmes.
De sa condition d’ancienne sociétaire du Centre d’Art de la Tsieme fondé et dirigé par Remy Mongo Etsion, elle a conservé une certaine urgence créatrice et le goût de l’expérimentation. Le trait fugace, transitoire comme destiné à quelques transmutations, garde sa préférence aux formes absolues. Une certaine précarité habite toujours sa composition picturale. Les formes et les couleurs ne sont pas franches, plutôt des silhouettes qui courent dans sa tête comme des mots sur la langue. C’est que Bill Kouelani est aussi écrivain : démarche littéraire et picturale vont dans le même sens chez elle. Il y a une grande parenté entre les deux, même si, et peut-être justement, elle n’écrit pas lorsqu’elle peint ni ne peint dans ses moments d’inspiration littéraire.
Bill aime beaucoup parler de la beauté, mais chez elle, cela prend toujours des figures iconoclastes : on a du mal à trouver beau, en même temps qu’elle, le monde qu’elle donne à voir. Somme toute, elle déstructure la représentation du réel tout en postulant à des formes inédites de vie. En cela, ce peintre véhément et vital est la personne qui traduit le mieux notre quête torturée et torturante tout à la fois, notre rêve dont la teneur d’insurrection est proportionnelle à son poids d’humanité.
Les quatre figures ainsi campées, sont représentatives de la création picturale congolaise. Bien sûr, elles ne sont ni les seules ni les meilleures, mais celles dont les couleurs et les formes parlent au plexus solaire de chaque humain. Nul doute que le monde les reconnaisse bientôt.
* Le style des mickeys a popularisé l’Ecole de Poto-Poto (ndlr).
///Article N° : 2121