Fespaco 2019 : vers la résurrection

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La 26ème édition du Fespaco se voulait à la fois célébration du cinquantenaire du festival et tentative de renouveau. On trouvera ici un regard critique sur les 20 films de la compétition longs métrages. D’autres articles suivront : les documentaires, le colloque.

26ème édition et cinquantenaire : il fallait célébrer en grande pompe un festival qui perdure et continue d’incarner une idée panafricaine du cinéma. Ce fut le cas. L’autocélébration était de mise dans les discours et le feu d’artifice de l’inauguration. La conscience de la dégradation depuis 2009, année de la « fespagaille », était cependant perceptible : les bailleurs ont fait pression pour un encadrement artistique de la programmation, le colloque préparé par Gaston Kaboré avait pour but de travailler à la pérennisation du festival. Car c’est bien le sauvetage de ce festival essentiel aux cinémas d’Afrique pour leur visibilité et leur qualité qu’il s’agissait d’envisager.

Les problèmes d’organisation sont récurrents, liés à la fonctionnarisation et aux difficultés de trésorerie dommageables à la gestion des transports et des hébergements des invités. Devant le grand nombre d’invités, le partenariat avec Air Maroc n’a pas fonctionné correctement, nombre de festivaliers n’ayant pas leur billet à temps ou bien très tard. La distribution des badges restait chaotique et le catalogue (cette fois complet et bien imprimé) était en retard. Mais là n’est pas le fond du problème. La crainte est en effet que le Fespaco ne soit plus à même de rendre compte de ce qui se fait d’exigeant en Afrique aujourd’hui en terme de cinéma. Il est clair qu’une telle rupture avec le cinéma engagé des anciens, de Sembène à Mambety, serait autant dommageable au Fespaco qu’à la cohérence des cinématographies africaines, le festival jouant un rôle essentiel de vitrine panafricaine.

Force était de constater la faible présence des journalistes occidentaux à cette édition de même qu’une certaine désaffection du public ouagalais, le prix des places étant maintenu à 1000 Fcfa, le prix habituel d’un billet, avec un Pass général à 25 000 Fcfa (39 €) et la question de la langue n’étant pas résolue (absence de sous-titrage français mais quelle version présenter dans un festival professionnel : le mica ne joue pas encore le rôle de visionnement en anglais pour les acheteurs internationaux comme dans les marchés des festivals d’importance). On notera cependant, espoir d’une restauration du succès populaire du festival, la multiplication des séances gratuites en plein air dans les quartiers et dans neuf villes du Burkina, confiées au Cinéma numérique ambulant.

La sélection du Fespaco 2019, nettement supérieure à la catastrophe de 2017, n’était pourtant pas dépourvue d’ambiguïtés dont le palmarès se fait l’écho. Une programmation est certes soucieuse d’équilibre et de diversité. Le Fespaco étant biennal, il puise dans deux années de production et n’a finalement que l’embarras du choix. Il a cette fois fait appel à des conseillers dans différents pays, mais ses critères artistiques restent assez obscurs. Il a par exemple relégué au Panorama I am not a witch et n’a pas retenu de très bons films, souvent supérieurs à ceux présentés, notamment d’Algérie En attendant les hirondelles, Les Bienheureux, Révolution Zendj, Vent divin ; d’Egypte Yomeddine, Sheikh Jackson, Les Derniers jours d’une ville ; du Maroc Sofia, Volubilis, Headbang Lullaby ou Jahilya, du Mozambique Convoi de sel et de sucre ; du Tchad Une saison en France ; de Tunisie Vent du nord, The Last of us, Weldi (Mon cher enfant).

Ces films, comme la moitié de ceux qui ont été retenus, ont cependant déjà fait leur carrière en festivals et/ou en salles. Au niveau international, on attendrait du Fespaco des nouveautés, et donc des premières mondiales. Cela remonterait son aura et son importance. C’est un exercice difficile qui suppose un suivi des productions et une négociation pour obtenir le film avant les autres. Mais c’est aussi une condition pour que l’on essaye de terminer son film à temps pour le Fespaco.

Nouvelles esthétiques

Pour respecter et entretenir la magie du cinéma, la compétition d’un grand festival international se doit de programmer des œuvres accessibles au grand public mais sans oublier les recherches esthétiques qui dynamisent et renouvellent les cinématographies. Cet équilibre délicat n’était pas absent cette année, montrant que, comme le disait Christiane Taubira dans son intervention au colloque, « il est possible de concilier la substance et la forme, le contenu et la beauté, le message et l’esthétique. » Rien n’oppose en effet cinéma populaire et cinéma d’auteur, si ce n’est parfois une proposition déstabilisante faite à un spectateur de plus en plus formaté par l’image commerciale dominante. Mais depuis quand doit-on douter de son intelligence ? Il ne cherche pas seulement la distraction mais aussi la réflexion, laquelle peut elle aussi déboucher sur l’émotion.

Absents du palmarès, trois films proposaient des approches inattendues et hors-norme, à commencer par notre coup de cœur : Keteke de Peter Sedufia (Ghana).

Un homme, une femme, en pleine brousse, loin de tout, sur une voie de chemin de fer. Atswei est enceinte, Boi porte une valise où est écrit « Musik ». Ils ont raté le train hebdomadaire et marchent jusqu’à la prochaine station pour aller à Ateke, où Atswei a sa famille et pourrait accoucher… La musique les accompagne, rythmée, chants et percussions, chaque fois qu’ils courent parce qu’un train arrive ou qu’ils ont peur d’un gros rat de brousse ! Car ce film très sérieux est parfaitement désopilant. Le couple ne cesse de se chamailler et de se réconcilier ou se faire des blagues, égrenant tous les conflits que peuvent avoir mari et femme. Parfois, leur ombre sur le ciel évoque un théâtre de marionnettes.

Le film gagne progressivement en rythme à travers d’improbables rencontres. Ils échapperont ainsi de justesse à un traquenard de sorcellerie jusqu’à ce qu’Atswei accouche dans une scène d’anthologie à la fois merveilleusement drôle et émouvante où de nouveau la musique joue un grand rôle. On voit ainsi Edwin Acquah & Sponkeys chanter a capela tandis que les autres musiques sont des mixs adaptés au mouvement. Peter Sedufia était étudiant à la NAFTI, l’excellente école de cinéma d’Accra : il a mobilisé les autres étudiants pour la technique et l’interprétation, hormis Atswei (Lydia Forson) et Boi (Adjetey Anang), acteurs professionnels qui s’imposent complètement durant tout le film. Un tout petit budget mais un scénario simple et efficace sur une belle maîtrise de l’image : Keteke est la démonstration que la créativité n’est pas forcément une affaire de moyens.

En outre, Keteke (qui signifie train en langue akan) n’est pas seulement un divertissement : les relations homme-femme y sont abordées avec subtilité, les réactions de Boi étant sans cesse dictées par son désir d’avoir le dernier mot sans écouter ce que lui dit sa femme. Il obtient tout en lui demandant de le faire pour le bébé, le grand argument qui fonctionne ! Ecrit collectivement avec sa productrice et monteuse Laurene Manaa Abdallah et autres collaborateurs de la NAFTI, Keteke ouvre le débat tout en restant un vrai plaisir à voir et à entendre.

La créativité n’est ainsi pas forcément une affaire de moyens, le réjouissant aKasha de Hajooj Kuka en témoigne aussi. Présenté à la Semaine de la critique du festival de Venise et aux festivals de Toronto et de Marrakech, il se déroule au Sud-Soudan. On retrouve dans ce film la crainte des avions russes qui larguent des bombes que le réalisateur avait déjà documentée dans Beats of the Antonov (2014), mais c’est cette fois avec une bonne dose d’humour, de satire et d’insolence. C’est le moment du kasha où les militaires rebelles rassemblent les soldats qui ne sont pas revenus après être allés aider leurs familles aux champs durant la saison des pluies. Adnan se targue d’être un héros qui croit à la révolution. Il partage son amour entre sa bien -aimée Lina et Nancy, sa kalachnikov. C’est Lina qui le met en retard alors qu’Absi, lui, tente d’échapper au kasha. Le volubile commandant Kuku Blues les pourchasse avec son unité, notamment pour retrouver son partenaire aux échecs. Eux se déguisent en femme pour lui échapper, mais les femmes corrigent volontiers les garçons !… Et quand Adnan éveille la jalousie de Lina, elle dit qu’elle se contentera d’une banane ! Ces situations cocasses ironisent sur les logiques guerrières dans un conflit qui s’éternise alors que les jeunes recrues ne pensent qu’à l’amour. Produit par le Sud-Africain Steven Markovitz et bien maîtrisé à tous points de vue (image, rythme, décors, jeu des acteurs), le film est parfaitement décalé et les situations improbables, penchant vers le fantastique avec même un moment d’animation. Il mobilise cependant les ressources culturelles et gestuelles locales, à commencer par les chants et les danses qui réunissent la communauté villageoise.

Hakilitan (Mémoire en fuite) du Burkinabè Issiaka Konaté souffre par contre du poids de ses métaphores et de son sérieux. A la suite de l’inondation de la Cinémathèque africaine de Ouagadougou, un professeur amnésique revient peu à peu à la vie. Ce monsieur cinéma sera confronté à des rituels animés par un guide spirituel accompagné de femmes gothiques dans les ruines de la future salle de cinéma du siège du Fespaco dont la construction a été interrompue par un incendie, en plus d’être mal située sur un bois sacré. Le film part en tous sens, comme la mémoire elle-même. Comme il l’explique dans notre entretien, Issiaka Konaté a construit le film par bribes, au hasard des rencontres. Il est guidé par la mythologie bambara et la spiritualité indienne de Sri Aurobindo qui le conduisent à faire du film une ode à la tolérance. Sans cette attention, le risque est de revenir à l’homme primitif qui traverse le film, à ce marais de l’inconnaissance, ce qui dénote chez le réalisateur une forte croyance au progrès mais une inquiétude face à la perte d’humanité avec l’avènement des nouvelles technologies. Monsieur cinéma donne des cours car il faut transmettre : le monde change mais responsabilité et fidélité restent les valeurs de référence, portées dans le film par Djata dont le couteau indique la détermination à les défendre. Le film fascine par la richesse de ses évocations mais peine à faire adhérer à ses espaces oniriques.

L’image de soi

Mme Taubira citait Albert Béville, alias Paul Niger, poète guadeloupéen : « L’Afrique se dressant à la face des hommes, sans haine, sans reproche, qui ne réclame plus, mais affirme. » Ce cinéma comme regard et vision de l’Afrique sur elle-même et sur le monde était présent, cette « image de l’Afrique produite par elle-même pour contrer celle qu’on nous renvoie de nous-mêmes », question « fondamentale » posée par Aminata Dramane Traoré au colloque.

Un film faisait l’unanimité par la qualité de l’introspection qu’il propose face aux drames de l’Histoire. L’Etalon d’or est donc allé à « The Mercy of the jungle » (La Miséricorde de la jungle) de Joël Karekezi, également couronné par le prix d’interprétation masculine pour Marc Zinga. Le Rwanda étant le pays invité, le président Paul Kagame était présent à la remise des prix. Il dut ainsi s’exécuter alors que le film va à l’encontre du discours officiel rwandais. Il se déroule en effet dans le Congo voisin, où opère l’armée rwandaise en 1998, lors de la deuxième guerre du Kivu avec pour enjeu les richesses minières de la région. Cela est connu de tous, mais le traumatisme du commandant de l’armée en raison des exactions qu’il a commises n’entre pas dans le politiquement correct. Le film s’inscrit ainsi dans la difficile introspection de la violence exercée, enjeu de l’apaisement des consciences pour bâtir sereinement l’avenir.

Joël Karekezi avait 8 ans en 1994. Son père fut massacré et il se réfugia avec sa sœur au Kivu, traumatisé par ce qu’il avait vu. Son premier film, autoproduit, portait sur le génocide : « Imbabazi, le pardon« . C’est cette thématique de la miséricorde pour un avenir pacifique à construire qu’il développe avec ce deuxième long métrage, autour d’une histoire simple mais riche en rebondissements : deux soldats doivent s’aider à survivre dans la jungle, fuyant la folie guerrière des forces en présence autant que leurs propres démons.

La confrontation à la nature sauvage autant que l’évolution de la relation entre les deux hommes seront initiatiques. Ils grandissent tous deux en âme et en conscience. Le spectateur se trouve immergé avec eux dans une expérience sensorielle, une jungle aussi fascinante qu’hostile. L’absurde cruauté de la guerre apparaît d’autant plus fortement que l’environnement est, en scope, d’une fulgurante beauté. La bande-son et la subtile musique de Line Adam renforcent cette appréhension. Joël Karekezi dépasse ainsi le seul contexte congolo-rwandais pour atteindre l’essentiel : ce qui permet à l’homme en perte de repères d’envisager un avenir.

Très maîtrisé, le film profite d’une efficace coproduction internationale et d’une excellente équipe artistique et technique. Le drame supporte de vibrantes pointes d’humour et de profonds échanges, sans que les dialogues n’envahissent un récit qui laisse la part belle à l’épopée humaine et au dépassement de soi. Le tournage fut épuisant, l’équipe de 40 personnes devant parfois charrier tout le matériel en l’absence de route proche. Mais il fut aussi riche en moments rares, comme la rencontre avec un gorille ! Il faut dire que le film est tourné en Ouganda, proche de la frontière avec le Congo et le Rwanda, où des expéditions permettent d’en observer.

À la fois voyage intérieur et manifeste pour une nouvelle humanité, « La Miséricorde de la jungle » convainc par la juste distance qu’il établit avec son sujet et ses protagonistes. Il maintient une tension propice à l’attention sans tomber dans les ficelles trop visibles du film de genre. Plus encore, il décèle la vulnérabilité de ceux qui se croient insensibles et valorise l’introspection face aux drames de l’Histoire et aux tremblements de notre monde.

Mabata bata de Sol de Carvalho a raflé deux prix bien mérités : meilleure image et meilleur montage. Un mort regarde les vivants qui tentent de lui demander pardon pour la violence exercée. On imagine, lors des cérémonies du 11 novembre qui marquèrent le centenaire de la guerre de 14-18, monsieur le Curé se mettre en transe, agiter son chasse-mouche, et s’adresser aux morts pour implorer leur pardon. Vu la boucherie de cette guerre, il y aurait de quoi ! Voilà bien l’actualité de cette histoire adaptée d’une nouvelle du grand écrivain mozambicain Mia Couto qui évoque ainsi les morts des guerres civiles. Le style épuré et la beauté picturale du film donnent toute sa portée à ce récit fantastique, exemple d’une expression profondément ancrée dans la culture mozambicaine pour aborder des problématiques touchant toute l’humanité.

La mort était aussi au centre du « meilleur premier film », qui arrive au Fespaco déjà multiprimé et après avoir représenté l’Algérie aux Oscars : Jusqu’à la fin des temps, de Yasmine Chouikh, la fille du couple de réalisateurs Yasmina Bachir Chouikh et Mohamed Chouikh. Cette jeune réalisatrice réussit paradoxalement son premier long métrage par la finesse de son approche d’une relation entre personnes âgées, affirmant ainsi qu’il n’y a pas d’âge pour aimer. Une tendresse naît en effet entre une veuve sexagénaire qui voudrait mourir et un vieux fossoyeur. Cela se passe à Sidi Boulekbour, une sorte de théâtre de la mort à ciel ouvert, autour d’un cimetière. Le jeune Nabil voudrait un pèlerinage permanent et se fait fort de vendre un service complet, avec pleureuses et contrat de préparation des funérailles. Ce nouveau monde tranche avec la délicate pudeur de l’ancien – une confrontation traitée avec humour et subtilité, d’autant que les anciens sont en fait en train de renaître à la vie. De même que le poète maçon Jeloul, épris de la belle et libre Nassima. Les femmes ne sont pas jugées sur des apparences et même l’imam est cool. Cette touchante comédie, en se faisant hymne à la vie au milieu des tombes au sein d’une communauté tolérante, offre une satire optimiste d’une Algérie marquée par la mort et qui cherche à renaître : « il n’y a pas honte à vivre ses rêves ».

On avait vu Rafiki de Wanuri Kahiu au festival de Cannes. On se souvient que le film qui porte sur une relation amoureuse entre deux jeunes femmes avait été interdit au Kenya. Samantha Mugotsia est récompensée d’un prix d’interprétation féminine mérité : elle crève l’écran et emporte l’adhésion dans ce film qui se veut jeune, musical et grand public pour faire passer le message d’une homosexualité joyeuse et naturelle contre les préjugés.

Autre regard sur soi réussi, Duga (Les Charognards, en bambara) d’Abdoulaye Dao et Hervé Eric Lengani, le seul des trois films burkinabès en compétition à bien tenir la route. Il se situe dans la continuité des films de Pierre Yaméogo qui associaient humour et critique sociale. On y retrouve l’inénarrable Abdoulaye Komboudri qui doit convoyer un cercueil dont personne ne veut. Dao est connu pour ses séries, notamment Vis-à-vis : il en utilise les acteurs et les ficelles mais passe ici au cinéma. Le film oscille entre un bébé abandonné et un mort que personne ne veut enterrer. De la vie à la mort, c’est le désarroi d’une société qui est en cause : le récit aligne des situations où le cynisme et l’hypocrisie des uns ou des autres met en danger le corps social. L’argent pourrit la société, les communautés religieuses se ferment sur elles-mêmes, les services de l’Etat manquent d’humanité. Par leur ouverture d’esprit et leur solidarité, les jeunes marginaux sauvent cependant les choses face aux fixations des aînés : ce sont des charognards au sens où ils récupèrent tout pour le recycler. Leur petit maquis est fait d’objets de récupération. Ils sont l’avenir du pays.

On retrouve ce même espoir dans une jeunesse transgressive dans T-Junction d’Amil Shivji (Tanzanie) – dont le Fespaco passait aussi en séance spéciale le documentaire Ancestors réalisé avec Rebecca Corey, sur des musiciens de zilipendwa, un genre musical maintenant délaissé qui allie jazz et highlife. Après le cinéma nigérian, la Tanzanie est le plus gros producteur de films en Afrique, de l’ordre de 500 par an, tournés en swahili. Celui-ci se distingue par sa qualité et a donc fait le tour des festivals. Fatima vient de perdre son père. Elle ne le pleure pas : il était déjà quasiment absent. Ayant la fièvre, elle se rend à l’hôpital pour consulter et rencontre Maria qui lui raconte son histoire. Le film est basé sur l’opposition entre la sécheresse de la vie de Fatima et l’épanouissement qu’a trouvé Maria au contact d’une bande de vendeurs de rue se rassemblant autour d’un kiosque. Ils sont pourchassés et violentés par les commandos armés qui sont supposés « nettoyer les rues » mais vivent ce qui manque à Fatima : la communauté, la solidarité, la liberté. Au fur et à mesure du récit de Maria, que Fatima fascinée revient écouter, se précisent des personnages de marginaux et de gens francs dont la vie n’est pas terne. Le film est parsemé de beaux moments poétiques autour de la relation naissante entre Maria et le timide Chine qui connaît par cœur tous les titres des journaux qu’il vend dans la rue.

Dans les trois films, ceux qui transgressent la norme sont ceux qui ont compris la vie, offrant au spectateur une perspective d’émancipation.

C’est une expression de Césaire que le Camerounais Jean-Pierre Bekolo adopte pour le titre de Les Armes miraculeuses, en phase avec « cette Afrique qui ne réclame plus, mais affirme ». Trois femmes aiment un prisonnier qui, dans les années 60, attend son exécution. Lui cherche à devenir immortel avec la sensualité des mots des poètes, ces armes d’espoir. Coproduction sud-africaine oscillant entre l’anglais et le français, le film porte sur l’importance des mots, ces « fenêtres sur le monde », pour affronter la mort. Le prisonnier, Djamal Okoroko (Emile Abossolo Mbo), reçoit au parloir la visite de chacune des trois femmes : la sienne (qui vient à la prison en vélo), son amante (en voiture rouge feu) et une professeur de français (en voiture jaune lumière). Toutes trois amoureuses, elles vont apprendre à dépasser leur défiance et se solidariser. Djamal Okoroko, lui, veut apprendre le français pour l’utiliser comme les poètes de la Négritude contre le colonisateur. N’est-ce pas trop tard ? Pas si l’on considère que la sensualité des mots et des images permettent de transcender la mort : « Je rêve d’un endroit où personne ne devra mourir pour nous sauver. Nous devons apprendre à nous sauver nous-mêmes, nous devons apprendre à devenir immortels », dit-il. Il faut pour cela aller chercher au fond de soi, comme le suggère la chanson doucereuse de Valérie Ekoumé qui ouvre et ferme le film : « Si dans ton ciel toutes les étoiles s’éteignent, qu’elles disparaissent l’une après l’autre, sache qu’en fermant les yeux tu trouveras une lueur d’espoir ». Cette lueur, il la cherche au contact de ces trois femmes. Sa propre femme Leseli (Xolile Tshabalala) est son reflet : faut-il la chercher en soi-même ? Il faut en tout cas le savoir qu’il trouve dans ses échanges avec Laurence (Maryne Bertieaux) mais aussi en explorant ses fantasmes et en apprenant le français avec Stéphanie (Andrea Larsdotte) pour avoir accès aux textes. Film contre la peine de mort, Les Armes miraculeuses est aussi une métaphore de la parole noire, enfermée, brimée, avec la question de savoir si la culture peut la sauver.

Mme Taubira insistait sur la mission du 7ème art de « revitaliser les cosmogonies telles qu’elles ont été pensées, construites, établies, transmises sur le Continent et telles qu’elles se sont répandues dans le reste du monde ». C’est le projet de Barkomo (La Grotte) d’Aboubacar B. Draba et Boucary Ombotimbe (Mali), des jeunes réalisateurs qui se saisissent d’une légende dogon sur une femme rejetée pour infertilité qui sera recueillie par un roi. Tourné à Mori, le village natal de Boucary Ombotimbe, le film profite des superbes décors des falaises de Bandiagara. Il participe d’une volonté de magnifier la culture dogon, sans chercher à la situer dans un contexte contemporain. Son histoire de femme rejetée, de gaucher et de superstitions résonne pourtant dans le temps présent. « Mieux vaut partager les serpents que le lit d’une femme stérile », lance le chasseur bredouille à Yamio, sa femme qui a pourtant essayé toutes sortes de sacrifices pour avoir un enfant. Une seconde épouse le satisfera mais ils méprisent tant la première qu’elle tente de se suicider. « Une femme épuisée arrivera qui détient le secret », dit le faiseur de pluie et chasseur de brigands au roi d’un village éloigné. La légende se met en place et, accueillie par une vieille dame, Yamio finalement enceinte accouchera d’un enfant gaucher mais doué et adulé. Une fois grand, il saura transgresser les règles et partir à son tour pour fonder un autre village…

Le film a été fait avec moins de 2 millions de Fcfa, qui n’ont servi qu’à payer les transports et les matériaux, les acteurs ayant joué sans cachet. Les deux réalisateurs sont des néophytes sans soutiens et chacun a assumé plusieurs rôles à la fois par manque de moyens. Bien dans l’air du temps, ils avaient cependant envisagé une série. Interrogés sur l’intérêt du film, ils insistèrent sur le fait de vouloir remercier la grotte de Barkomo qui historiquement a servi de grenier autant que de refuge lors des guerres tribales.

Quel est l’enjeu d’un tel film si ce n’est d’affirmer l’Afrique comme « poumon spirituel du monde » pour reprendre l’expression de Felwine Sarr dans Afrotopia ? Car c’est bien la « montée en humanité » (Achille Mbembe) que proposent ces films à travers leur projet d’accroître « la densité et la maturité de la conscience humaine » (Alioune Diop). Il s’agit d’affirmer une vision africaine pour penser une alternative humaine au progrès qui n’est qu’exploitation et recherche du profit.

Ambigüités

C’est en cela que ces films s’inscrivent dans la continuité des pionniers célébrés à ce 50ème anniversaire. D’autres films de la compétition se situant dans la même énergie n’échappaient cependant pas à l’ambiguïté.

C’est le cas d’Indigo de la Marocaine Selma Bargach (prix de la Fédération de la critique africaine qui a cette année à nouveau organisé un atelier international et publié quatre numéros d’un passionnant bulletin critique « Africiné » à retrouver sur africine.org ). Il épouse le regard d’une fille de treize ans dotée de pouvoirs surnaturels mais que l’on ne comprend pas. Le film voudrait défendre le respect des différences, à commencer par l’imaginaire des enfants face aux formatages de toutes sortes. Il lui faut cependant jouer le fantastique pour arriver à ses fins.

Indigo, c’est d’abord le regard de Nora, une fille de treize ans qui se demande ce qui lui arrive dans un monde qui ne la comprend ni ne l’écoute. Autour d’elle, sa mère Leïla qui voudrait rejoindre un mari distant en Australie, sa demi-tante Mina qui passe d’homme en homme à la recherche de l’âme sœur, et son frère Mehdi qui la maltraite par jalousie de ses pouvoirs. Car la couleur bleue indigo désigne l’aura des enfants doués de clairvoyance ou d’hyper sensibilité. Leïla n’y croit pas et traîne Nora de psychologue en psychiatre qui répètent le même autisme face aux intuitions de la jeune fille. Mais plus elles se vérifient, plus le film saisit un spectateur volontiers fasciné par le monde surnaturel. Quelques effets spéciaux viennent confirmer la spécificité de Nora. Cartomancienne en herbe, elle a pourtant peur de son don de voyance et se met en danger quand elle l’utilise, tant les gens sont peu ouverts à son monde intérieur.

C’est l’imaginaire face à la norme, mais ce qui intéresse Selma Bargach, c’est aussi la souffrance engendrée. Ni Leïla, ni Mina, ni Mehdi, et encore moins le corps médical ne la saisissent, jusqu’à ce que Nora parvienne à résoudre par elle-même le nœud qui bloque la relation. Dans un Maroc où coexistent encore les croyances ancestrales et la rationalité, le film ne met jamais en cause les phénomènes surnaturels qu’il décrit, devenus arguments de la force des imaginaires enfantins. Il le fait de délicate façon, mais sa prise de risque peine à rendre crédible le voyage initiatique de Nora.

Etalon de bronze (et Tanis d’Or aux Journées cinématographiques de Carthage trois mois plus tôt), Fatwa, de Mahmoud ben Mahmoud est une histoire bien menée où un père découvre que son fils a été victime d’une manipulation djihadiste. Brahim revient de France pour enterrer son fils Marouane, mort dans un accident de moto. Son ancienne femme est engagée politiquement contre les Islamistes et menacée pour avoir rédigé un livre sur le sujet appelé Fatwa. Brahim découvre peu à peu que son fils avait abandonné ses études, quitté le domicile familial et reproché à sa mère député de publier un livre contre les islamistes et de les attaquer dans ses discours à l’Assemblée nationale. Le film suit ce père éploré dans une enquête qui révélera peu à peu que son fils était tombé dans le piège de l’extrémisme religieux et que sa mort est suspecte. Bien mené et remarquablement interprété, le film fait dès le début monter la tension. Son intrigue la maintient en avançant par rebondissements successifs jusqu’au drame final. Les intégristes se révèlent de sombres brutes obscurantistes, par opposition aux braves gens qui auraient voulu vivre en paix comme avant. C’est cette dualité sans appel, tempérée par une femme transfuge parce que violentée, qui gêne dans un film par ailleurs riche en subtilités.

Le Prix du meilleur scénario fut attribué à Regarde-moi de Nejib Belkadhi (Tunisie) qui en a effectivement écrit lui-même le scénario. Il est très différent de ses précédents films : VHS Kahlucha, Bastardo. Il campe un père qui doit soudain revenir au pays pour s’occuper de son fils autiste de 9 ans, la mère étant décédée. Ne pouvant établir de contact visuel, Lotfi (Nidhal Saadi) ne cesse d’essayer de l’établir, d’où le titre, afin d’établir un lien avec son fils, bien en peine pour l’accepter tel qu’il est… C’est dans cette contradiction qu’évolue le personnage autant que le film, tantôt à l’écoute mais le plus souvent voulant à tout prix que son fils fasse des progrès. Le film baigne en fait dans l’ambiguïté, ce qui n’est pas forcément une tare dans la mesure où elle est dynamique et donne à penser. Lotfi a une femme en France qui est enceinte de lui. Il est donc pris entre deux paternités, entre deux responsabilités, et non comme le voit souvent le spectateur, en train de renouer avec l’instinct paternel. Il égrène effectivement les exercices adaptés aux enfants autistes pour stimuler leur attention : contact corporel, lumières et couleurs, etc. L’utilisation d’un caméscope introduit un regard tiers qui fragmente la relation et coupe l’émotion en train de surgir des essais désespérés de briser la distance. C’est sans doute la fausse bonne idée du film, qui coupe avec l’épure que demanderait son sujet.

Lotfi navigue entre deux mondes (la France et la Tunisie mais aussi le « normal » et l’autisme) et c’est en définitive son fils qui lui fait délaisser son machisme et le bouscule. L’enfant acquière peu à peu le statut de personne et le film devient dès lors fer de lance de la lutte pour la reconnaissance des droits des autistes, au-delà de leur statut de victime.

Il ne se résout cependant pas à ce seul engagement. En partant vivre à Marseille, Lotfi a abandonné sa famille tunisienne. C’est donc à la fois la culpabilité, le pardon et les potentialités d’évolution que Lotfi explore à travers les multiples remises en causes d’un récit mouvementé. Son fils l’initie à un autre devenir, au pays. Le succès du film en Tunisie ne tient donc pas seulement à sa sincérité mais à l’affirmation d’un ancrage, à l’encontre de l’exode des jeunes partis chercher fortune ailleurs.

Le Fespaco s’est jusqu’ici peu aventuré sur le terrain nigérian, dont les VCD des quelque 2000 longs métrages produits chaque année envahissent les pays anglophones mais aussi francophones via des traductions souvent improvisées. Depuis l’apparition du phénomène Nollywood en 1992, c’est une véritable industrie qui s’est développée, avec son star system et ses médias, ses festivals et ses chaînes de télévision, en plus des sites de VOD qui permettent à la diaspora d’en profiter. On est cependant en général si loin du cinéma que rares sont les films qui émergent sur un circuit international. Hakkunde (entre-deux en haoussa, mais aussi très proche du nom du personnage principal, Akande), premier long métrage d’un autodidacte, Oluseyi Asurf Amuwa, qui assure aussi la caméra et le mixage, échappe aux tares habituelles de films surjoués et faits dans l’urgence pour se rentabiliser. Il a au contraire une délicatesse teintée d’humour dans les relations entre les personnages et notamment quand il s’agit de séduction. Lancé grâce à un financement participatif auprès de ses amis via Facebook et Instagram qui n’a recueilli que 10 % du coût du film mais a permis de trouver le reste, le film porte un regard social sur les quelque 30 millions de chômeurs du Nigeria et lance un message positif sur les chances de s’en sortir par la débrouille personnelle. Le film commence d’ailleurs par une citation de Jack Canfield : « Tout ce que vous auriez voulu se trouve au-delà de la peur ». Akande, professeur au chômage, ne sait comment s’en tirer. Harcelé par sa sœur, lâché par sa compagne, il n’a d’autre choix que d’explorer une piste de subvention à l’élevage. Une fois transplanté au village, il est confronté aux problèmes de compréhension du haoussa mais fait la connaissance d’Aïsha, rejetée comme sorcière parce que tous ses maris sont morts. Il finira par développer une affaire en investissant dans un produit local : la bouse de vache, qu’il revend conditionné comme fertilisant. Avec l’humoriste Frank Donga dans le rôle principal, c’est bien sûr la comédie qui domine, introduite par de savoureux ralentis en début de film sur des scènes d’action où Akande échappe à ses poursuivants ou renverse les œufs d’une vendeuse. Ainsi Akande réussit dans les affaires, ce qui semble le summum de la réussite. Ce serait l’ambiguïté de ce film bien mené dont la fin insiste lourdement sur la nécessité de croire en ses rêves, c’est-à-dire de faire du business, la solution individuelle au chômage.

La meilleure musique est allée à Sew the Winter to my Skin du Sud-Africain Jahmil XT Qubeka, dont le film en noir et blanc Of Good Report, sur une relation obsessionnelle d’un professeur avec son élève, avait été interdit en 2013 alors qu’il devait faire l’ouverture du festival de Durban. Celui-ci est sur le mode du western, épique, lyrique, presque sans dialogues, sur la traque et la capture de John Kepe, une sorte de Robin des bois hors-la-loi des années 50, encore considéré aujourd’hui comme un héros. Le film dévoile les contradictions sur lesquelles est fondé ce mythe qui structure la pensée sud-africaine. Pour cela, il est fait cependant le choix d’une dramatisation à outrance et de l’esthétisme, ce qui a tendance à l’éloigner de son sujet. Il remplace en effet les dialogues par des effets de cadre et de caméra, une puissante musique et une bande-son envahissante, des cris, des prières et des chants, et du texte à l’image puisque qu’un journaliste à lunettes tape à la machine le récit du procès de Kepe qui volait du bétail et des vivres aux fermiers blancs pour les donner aux indigènes pauvres. Des titres de journaux, des informations, des lettres complètent cet apport écrit qui ramène à la réalité alors même que ce que raconte le film est décalé : nous sommes invités à faire la différence entre le discours officiel de l’époque et les faits vus du point de vue de Kepe. De cette réécriture, on conserve l’impressionnant souvenir d’un homme hors du commun qui se dénommait lui-même Samson et s’obligeait avec une incroyable obstination à charrier dans les pires conditions un mouton volé tout en tentant d’échapper à ses poursuivants.

Quelle Afrique ?

« Ce que je vois ici comme décor dans les films, je ne vois pas l’Afrique, disait Aminata Dramane Traoré. Je vois des histoires, des images qui ne m’inspirent rien. Si elles doivent servir de repère à la jeunesse, bonjour les dégâts ! Des fauteuils cossus, des rideaux pas possibles… Je suis folle de rage quand je vois les opportunités que nous perdons de créer un environnement, de faire voir à la jeunesse une Afrique qui s’aime, qui produit, en faisant le lien avec l’artisanat. » Les Burkinabès vont aujourd’hui dans ce sens, portant à nouveau volontiers des effets cousus avec des pagnes à la mode, comme à l’époque Sankara, les traits colorés du Koko Dunda étant le dessin préféré. Mais il est vrai que Résolution de Boris Oue et Marcel Sangné (Côte d’Ivoire) se déroule dans un milieu hyper-bourgeois. Cette histoire brutale de harcèlement sexuel et d’acharnement au sein d’un couple, enflée par une grand-mère exorciste et un fils se perdant dans la drogue, a du mal à cacher sa laideur sous sa bonne intention supposément féministe à l’heure où la planète entière résonne des révélations des Me too. On attend tout le film la résolution dans les deux sens du terme : celle de la femme battue qui refuse de dévoiler et donc dénoncer les mauvais traitements de son mari, lui accordant toujours un répit jusqu’à se retrouver coincée (« quand deux arbres se battent les racines s’entrelacent ») ; et celle d’un film qui ne se résout pas à trouver la bonne distance à son sujet. Pardon, la résolution du titre est bien sûr à chercher ailleurs : dans la détermination à parler ouvertement de ces problèmes dans l’espace public. La fin montre des manifestations : « mon corps n’est pas un tam-tam ». Le problème est que le film dénonce plutôt qu’il ne met en scène cette résolution qui n’intervient comme solution qu’après moult séances de torture…

Face à un tel film, la question qui se pose est le cinéma : dans le traitement comme dans le contenu, il reste une copie du schéma télévisuel dominant servi sur toutes les chaînes du monde. L’émotion est remplacée par la violence ou le sentiment, les personnages sont stéréotypés, la réflexion est impossible en l’absence de complexité.

L’attribution du prix du meilleur décor à Apolline Traoré pour Desrances apparaissait comme un affront pour cette émule d’Idrissa Ouedraogo (auquel le film est dédié) qui se voyait déjà brandissant l’étalon d’or. Situé aux premiers jours de la guerre de 2012 en Côte d’Ivoire, cette histoire d’un père qui finit par reconnaître le courage de sa fille est traitée comme un navrant thriller. Un Haïtien, Francis, voit sa famille massacrée par les troupes de la dictature militaire lors de l’intervention américaine de 1994 qui a rétabli le président Aristide délogé par le coup d’Etat de 1991. On le retrouve en Côte d’Ivoire, pays d’origine de ses ancêtres, où il a réussi, dirigeant un magasin d’électronique. Traumatisé par son vécu en Haïti, il se retrouve à nouveau dans une violente guerre civile alors que sa femme est enceinte d’un fils qu’il prénomme Najak (le messager).

Obsédé par la transmission de son nom, il va chercher ce fils et donc sa mère malgré le couvre-feu, celle-ci ayant été capturée par des malfrats qui profitent des troubles liés au rejet des immigrés. Francis s’appelle Desrances, comme Lamour Desrances, esclave marron qui s’opposa à Toussaint Louverture et à Dessalines, jusqu’à devenir officier dans l’armée napoléonienne. C’est donc un déraciné qui choisit mal son camp. Mais la politique n’intéresse pas Apolline Traoré : elle centre son film sur les conséquences de la guerre sur les civils et sur le combat d’une jeune fille pour être reconnue à l’égal des hommes. Car Haïla, qui n’a que 12 ans, va devoir devenir une héroïne pour obtenir la confiance de son père, lequel a fini par perdre la raison.

Tout cela tiendrait la route si le film ne versait pas dans l’improbable et le larmoyant, sans compter des malfrats caricaturés et une utilisation systématique du spectacle pour accrocher le spectateur. Les trois films burkinabès de la compétition ont été aidés par une subvention exceptionnelle d’un milliard de Fcfa destinée à permettre au Burkina de retrouver le chemin des étalons et sa place dans le cinéma international. Desrances en a obtenu 325 millions, venus soulager un budget de 700 millions…

Etalon d’argent et meilleur son, Karma de Khaled Youssef (également député au parlement égyptien) accumule les récompenses malgré la désaffection qu’il a rencontrée dans son pays où de nombreux critiques auraient plutôt vu le dernier film d’Ahmad Abdalla Ext. Night que le festival des films africains de Louxor a sélectionné en compétition. Il jongle avec les codes des films d’action hollywoodiens pour confronter deux personnages opposés qui se confondent parfois en un seul au point d’être joué par le même acteur (Amr Saad) : un magnat des affaires déprimé et un chômeur misérable. Ici encore, le réel est trafiqué au profit du spectacle : accélérés, explosions, références au film d’action mais aussi sentimentalisme exacerbé. Une foisonnante galaxie de personnages parle durant 2 h 15 de corruption mais aussi de rédemption des hommes et du monde. Le film balaie large, allant du social au politique, des religions à l’économie, de la psychologie à la philosophie. Le karma n’est pas la récompense ou la punition dans l’au-delà mais le partage de la richesse et de la pauvreté dans ce monde, car selon le réalisateur, le trop de richesses conduit aux mêmes maladies sociales que le trop de pauvreté.

Le thriller encore dans Five Fingers for Marseilles du Sud-Africain blanc Michael Matthews. C’est cependant ici aussi surtout dans les codes du western que puise ce mélodrame pour traiter du cycle de la violence et tenter de bâtir une mythologie sud-africaine. Il a fallu sept ans de recherches et de développement pour élaborer le cadre de ce film et sa figure d’antihéros dominé par la rage.

La référence à Marseille vient du fait que le train qui sous-tend le développement économique de la région de l’Eastern Cape proche du Lesotho reliait des foyers urbains coloniaux imitant le nom de grandes villes européennes. Il avait facilité les transferts de population jusqu’à ce que le déclin ne place les lieux dans les mains des bandes organisées. Cinq adolescents sont liés comme les cinq doigts de la main pour défendre leur quartier nommé Railway mais lorsque les policiers blancs arrêtent brutalement Lerato, la copine de Tau (Vuyo Dabula), leur chef, surnommé Le Lion de Marseilles, l’affrontement conduit au meurtre. A sa sortie de prison, vingt ans plus tard, Tau retourne dans une Marseille désormais dominée par un gang de mèche avec les cinq doigts. Tau va devoir jouer les héros pour faire le ménage et débarrasser la ville des vilains en réunissant à nouveau cinq doigts dans leur énergie première… Le film assure son succès en défendant en langue sesotho le point de vue de l’opprimé contre le colonialisme ainsi que le ralliement du Blanc Honest John qui choisit le bon camp, offrant ainsi une allégorie des problématiques sud-africaines actuelles, mais s’enfonce dans le recyclage des classiques du western et des films de samouraïs sur une sorte de musique de western africanisée, peinant à construire la légende qu’il voudrait établir : son héros en quête de rédemption retourne contre son gré sur le chemin du sang. Il a fait le tour du monde et est aisément téléchargeable sur internet ou visible sur Netflix. On est loin de la subtilité du cinéma d’Oliver Hermanus ou de John Trengove dont les films auraient mieux honoré la compétition.

Concluons avec Aminata Dramane Traoré : « Il est primordial de proposer aux jeunes un avenir émanant de nous-mêmes, qui ne soit pas une pâle copie d’une mondialisation dont nous sommes les plus grands perdants ».

Sombre clôture

Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré était entouré du président rwandais Paul Kagamé et du président malien Ibrahima Boubacar Keïta pour la cérémonie de clôture. Elle dura cinq heures. Les jurys ne furent pas conviés sur scène et ne purent lire leurs attendus tandis que le maître de séance s’embrouillait dans ses papiers. La présidente du jury documentaire, la réalisatrice tunisienne Nadia El Fani, voulut signaler qu’il avait oublié de signaler une mention attribuée par le jury mais elle fut vertement refoulée par le service d’ordre. Se plaignant également des mauvaises conditions subies par le jury dans son travail, elle a déclaré sur les réseaux sociaux ne plus vouloir remettre les pieds au Fespaco…

Si cette édition pouvait réjouir par sa volonté de remettre à plat l’avenir du festival, la pesanteur de cette cérémonie où la politique prend le dessus sur le cinéma envoyait un sombre message, que ne rattrapaient pas les ambiguïtés du palmarès des longs métrages de fiction. Il n’en demeure pas moins que cette 26ème édition marque un heureux renouveau à confirmer et développer à l’avenir pour la pérennité de cet important festival auquel tout le milieu professionnel porte encore une réelle affection.

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