La quatrième édition du Festival des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) se déroulera du 5 au 7 septembre à Paris. Les films qu’il présente sont en général rares ou méconnus. Ils rendent tous compte des problématiques des diasporas africaines, donc du déplacement et de la confrontation mais aussi du dialogue interculturel. Les questions de résistance et de migrations sont donc centrales.
Freedom Summer, de Stanley Nelson, qui fait l’ouverture du festival, est à la dimension de la volonté de cet événement cinématographique qui s’impose cette année à Paris pour la quatrième fois. Mettre en avant la notion de diaspora, c’est mettre en évidence et créer des liens entre ceux d’ici et ceux de là-bas, au-delà du territoire et du repli identitaire, c’est encourager la compréhension en prenant en compte la diversité, c’est questionner l’impact culturel africain dans le monde.
Face au racisme, la diaspora rime avec résistance. Le millier d’étudiants volontaires non-violents, défenseurs des droits civiques, blancs en majorité, qui, durant l’été 1964, se rendent dans le Mississipi pour encourager les Noirs à s’inscrire sur les listes électorales alors que les Blancs locaux qui pratiquent encore la ségrégation cherchent à les en empêcher (seulement 6,7 % des Noirs étaient inscrits) prirent conscience de la violence à l’uvre dans un pays se réclamant de la démocratie. Le film documente avec force témoignages et archives de leur engagement. Habilement monté et bien rythmé, il constitue un témoignage essentiel de la lutte pour les droits civiques.
On se rend vite compte que c’est la peur qui aboutissait à l’exception du Mississipi : peur des Blancs de perdre leurs avantages, peur des Noirs devant la répression. Ces jeunes vont donc devoir affronter leur propre peur pour aider les autres à déconstruire la leur, ce qui n’était pas simple alors que le Ku Klux Klan recrutait en masse pour les accueillir et que trois militants partis en éclaireurs disparurent. Mais ils y allèrent, vécurent avec les familles noires, tinrent des écoles sur l’Histoire et la littérature noire
Fin 1965, 60 % de Noirs du Mississipi étaient inscrits sur les listes électorales, mais la représentation des Noirs à la délégation du Mississipi à la convention du parti démocrate fut refusée, ce qui poussa une partie des Noirs vers la revendication du Black Power.
Kinshasa est une ville tentacule : comment traduire les moteurs de son incroyable énergie à un public distant sans tomber dans l’anecdote et le spectaculaire ? « Filmer à Kinshasa, c’est tisser une relation, programmer le hasard, accueillir l’inconnu dans un cadre donné ». Cet insert, avec lequel débute Kinshasa Mboka Te (Kinshasa sacré pays) de Douglas Ntimasiemi et Raffi Aghekian, pose la méthode : se laisser entraîner tout en poursuivant son but. Littéralement, Kinshasa Mboka Te veut dire « Kinshasa n’est pas un pays ». On ne cernera pas cette ville avec un film, on ne peut que l’approcher. C’est cette humilité la force de ce que tente ici Raffi Aghekian qui monte à Kinshasa des projets culturels depuis 2005. Il s’associe à Douglas Ntimasiemi, un réalisateur de Lubumbashi, et ils réalisent avec des techniciens et artistes congolais un documentaire sur cette ville sans pitié, où, comme le lance le slameur Fier-de-l’être, « c’est la marche à pied et tout le monde en colère ». Les kulunas (voleurs à machettes qui tendent des embuscades) terrorisent la ville. Molière TV sera le vecteur visuel d’une trame tournant autour de la conjuration de la violence. Cette télévision à succès envoie ses équipes chaque fois qu’on lui signale un fait divers, documente ainsi une « ville à problèmes ». Elle devient « un justicier, un défenseur des droits, du peuple » en montrant les malfaiteurs poursuivis dans des sortes de reconstitutions encadrées par la police dans la rue, avec les gens du quartier. Un animateur de l’association Lokombe protège les shégués (enfants des rues) pour qu’ils ne deviennent pas des kulunas. La police n’hésite pas à utiliser la force elle aussi. Et tandis que des sports vantent la nouvelle Kinshasa qui émerge dans la Cité du fleuve, complexe flambant neuf d’une ville nouvelle improbable, l’artiste Freddy Tsimba soude un millier de machettes pour en faire une maison pour la paix, les disciples du prophète Atoli chantent contre les représentations réductrices du Noir (« chassons les missionnaires, ils ont combattu le Dieu des Noirs »), Mfumu’eto fait des bandes dessinées sur les relations avec le monde des esprits Les vecteurs de résistance sont égrenés tout au long de cette plongée téléguidée par des artistes et acteurs locaux. C’est ainsi que d’une réalité spectaculaire, ce film ne fait pas un spectacle mais nous aide à la comprendre.
La musique est également un facteur de résistance. Le festival passe à cet égard un film rare, Tango ya ba Wendo (Wendo, père de la rumba zaïroise), que Mirko Popovitch et son collègue congolais Kwami Mambu Zingae ont réalisé en 1993 sur le vieux Wendo Kolossoy, dit Wendo, considéré comme le « père de la musique congolaise ». Décédé en juillet 2008, il fut aussi l’objet en 2006 du beau film de Jacques Sarrazin, On the Rumba River. Ses airs joués sur des instruments rudimentaires ont fait danser toute l’Afrique centrale des années 1940 à 1960. Puis, ce fut le silence. Wendo est pourtant bien vivant dans les mémoires, chanté par Papa Wemba ou Pépé Kallé, mais leur style a intégré batterie et instruments à clavier. Comme celui de Sarrazin, ce film revient sur les pas de Wendo, à la découverte du son qui l’avait rendu célèbre.
Malgré le déni officiel qui blanchit systématiquement l’Histoire argentine alors que les villes du pays ont eu jusqu’à 50 % de Noirs du fait de la traite esclavagiste jusqu’à ce qu’ils servent de chair à canon, leur culture est restée en Argentine dans le candombe et le carnaval. La référence de la milonga et du candombe dans les rythmes du tango est également historique mais remise en cause par les négationnistes. Tango Negro, les Racines africaines du Tango de Dom Pedro lutte ave une grande richesse de contenus et une belle cohérence contre cette volonté d’ignorance : interviews de chercheurs, exemples musicaux parlant d’eux-mêmes, documents d’époque.
Entre 1996 et 2001, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume Uni ont adopté des lois sur l’immigration qui facilite l’expulsion des étrangers pour des délits mineurs. Aux Etats-Unis, la simple existence d’un casier judiciaire suffit pour expulser un immigrant passible par exemple de conduite en état d’ivresse ou de violence familiale. Ils sont expulsés dès leur sortie de prison. La Jamaïque compte ainsi 34 000 expulsés, soit sept fois sa population carcérale. Pour beaucoup, la Jamaïque n’était qu’un souvenir d’enfance
Le Canadien d’ascendance jamaïcaine Sudz Sutherland a recueilli leurs bouleversants récits pour préparer son film Terre d’exil (Home Again) qui suit les pas de trois expulsés (deported). Ils vont être confrontés aux pires aventures, à croire que ce pays n’est qu’un ramassis de brigands, de drogués ou d’obsédés sexuels ! Les expulsés étant supposés être des criminels, toutes les portes se ferment, toutes les exploitations sont permises, mais les ficelles du téléfilm d’action appliquées au récit finissent par faire douter de ce qui est décrit. Décevant après l’excellent Love, Sex & Eating the Bones du même auteur que le FIFDA avait présenté en 2013 et qui témoignait d’une belle sensibilité (cf. [article n°11767]).
Home Again [Official Trailer] from Imagine Media International Ltd. on Vimeo.
C’est tout le contraire avec Deported de Rachèle Magloire et Chantal Regnault, documentaire en Haïti sur le même sujet mais qui ne joue pas la carte du spectaculaire, pas plus qu’il ne cherche à accrocher le spectateur. Au contraire, les « déportés » (on les appelle ainsi en Haïti en adaptant le nom américain) sont respectés, et peuvent confier comment ils se retrouvent dans un pays qu’ils ont souvent quitté tout jeunes, où ils n’ont plus aucun contact familial et où il leur est très difficile de survivre. En Haïti aussi, les mêmes préjugés et la dureté. Une association Fonfhara s’est créée pour leur venir en aide, mais n’a pas les fonds nécessaires, mais des solidarités sont à l’uvre entre les gens. Les réalisatrices vont aux Etats-Unis et au Québec rencontrer les familles qui se retrouvent seules, les enfants qui doivent se prendre en charge eux-mêmes Suivant quelques personnages qui auront le temps de se dire à l’écran, le documentaire les rend familiers. Un encart en fin de film indique qu’après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les Etats-Unis n’ont attendu qu’un an pour reprendre les expulsions…
En août 1989, un immigrant camerounais a blessé deux policiers qui le cherchaient après qu’il ait blessé un contrôleur dans le métro de Stuttgart. Ils l’ont abattu. Un film de 1999 est basé sur le peu que l’on sait de sa vie : Otomo, de Frieder Schlaich, avec Isaach de Bankolé. Le grain à l’image, les lumières et décors naturels accentuent l’impression documentaire d’un film qui prend soin de mettre l’immigré en situation : dureté de la recherche de travail d’un sans-papiers, logement miteux, errance d’un lieu à l’autre. Le racisme des policiers ou des habitants est patent, mais des personnages plus humains émergent, comme cette femme qui va tenter de l’aider. Privilégiant l’épure et les non-dits, le film évite la psychologie pour préserver au personnage incarné par Isaach de Bankolé sa part de mystère, et partant sa dignité.
L’intérêt de Les Noms n’habitent nulle part de Dominique Loreau, un film de 1994, tient dans le fait que les histoires d’immigrés fictionnalisées sont contées par le grand Sotigui Kouyaté (décédé en 2010) et que les immigrés sont interprétés par Nar Sene (décédé en 2013) et Sekou Baldé. Magnifique casting pour un film sensible où les problématiques amoureuses et de celles qui restent au pays sont largement abordées.
Mais un petit film récent se dégage particulièrement : Zakaria de Leyla Bouzid. D’une grande sensibilité plastique, ce court métrage vaut son pesant d’or de force humaine. Très subtile pour exprimer la solitude devant la mort, Leyla Bouzid tourne avec une grande intensité, à la Kechiche, les disputes entre la fille et son père qui voudrait que sa famille l’accompagne en Algérie pour l’enterrement de son propre père. Si bien que cette histoire tranquille d’une famille tranquille dans un village tranquille du Gard devient explosive. « La fille de l’Arabe » essaye vainement de s’intégrer dans une communauté qui n’hésite pas à rappeler à son père son origine.
PS : nous n’avons pu voir W.A.K.A. de Françoise Ellong, également au programme.///Article N° : 12404