La littérature gabonaise relativement jeune. Ses premiers textes poétiques datent de 1967, notamment Concepts gabonais et Dialectique gabonaise de Paul-Vincent Pounah. Sa première fiction, Histoire un enfant trouvé, voit le jour en 1971. Quant au théâtre, il a sa première illustration en 1981, avec La mort de Guykafi de Vincent de Paul Nyonda. La nouvelle et l’essai littéraire n’apparaîtront qu’en 1999, avec France Afrique et parfait silence: essai sur les enjeux africains de la .francophonie de Auguste Moussirou Mouyama et Enfant des masques de Ludovic Emane Obiang . Depuis lors, d’autres poètes, romanciers, dramaturges et essayistes se sont affirmés aux côtés de ces pi°’1niers si bien qu’à ce jour, on dénombre une cinquantaine de recueils de poèmes, une vingtaine de romans, cinq pièces théâtrales, deux essais et un recueil de nouvelles. Une production littéraire quantitativement modeste mais d’une va leur thématique, stylistique et idéologique avérée, mais qui gagnerait à sortir du silence. Au regard de ce qui précède, nous voyons une prédominance de l’expression poétique. On peut distinguer trois grands moments dans la poésie Gabonaise :
1°) De 1967 à 1970, C’est la poésie de l’assimilation. Elle est le fruit des premiers étudiants gabonais expérimentant la théorie de la bi-culturation. Loin des préoccupations idéologiques liées à la colonisation, elle choisit le terrain de l’échange, du métissage culturel et de la valorisation du pouvoir colonial. Paul-Vincent Pounah propose Concepts gabonais et Dialectique gabonaise (1967), tandis que Walker Deemin présente les poèmes de France (1965). Incarnation de « l’élève- modèle », les textes cités sont la reproduction fidèle de l’art poétique de Boileau. Cette attitude peut trouver sa justification dans l’ascendance de la figure du colonisateur et dans les relations franco-gabonaises de l’époque. Comme le dit l’histoire, le Gabon, comme beaucoup d’autres colonies sous tutelle française, vivait en bonne intelligence avec la métropole. C’est un secret de polichinelle que le premier président gabonais, Léon Mba, avait opté pour la départementalisation du Gabon, refusant l’indépendance. Francophile et fier de l’être, plus proche de Paris que de Brazzaville selon San Marco dans Le colonisateur colonisé, « il voulait bâtir un Gabon français ». Malheureusement pour lui, c’est la France qui lui imposa l’indépendance du pays. Ce détour historique. pourrait donc expliquer la tendance de l’époque à imiter, parfois servilement, le style des écrivains de ce pays censés montrer l’exemple et pour s’en montrer digne.
2°) De 1970 à 1990: C’est la poésie de la contemplation, d’une part. Cette période est surtout représentative des réalités du mini – terroir. On y lit une tendance visible dans l’affirmation du noir, du gabonais dans son espace. C’est ce que Joseph-Bill Mamboungou et Georges Rawiri nous donnent dans L ‘harmonie de la forêt (1975) et Les chants du Gabon (1975). Moïse Nkoghe-Nvé (père de l’écrivain Okoumba-Nkoghe) rédige Les fables et poèmes choisis (1975), OkoumbaNkoghe fait paraître Rhône-ogooué(1980). Poésie dite de la contingence, selon Papa samba Diop, elle traite de la condition de l’homme « en situation ». En cela, elle est essentiellement descriptive et lyrique: l’idéalisation de la tradition, la vénération des objets ou rituels ancestraux tels que les masques, les danses, les religions traditionnelles, la célébration de la beauté de la femme, de la mère, du village, etc.
Par la suite apparaît une autre tendance, celle de la dissimulation, d’autre part. C’est le besoin, de façon timide certes, de faire l’autopsie de la société. Ainsi naît une poésie ayant une thématique particulière: le silence. Le chef de file de ce mouvement poétique est Pierre- Edgar Moujegou, célèbre parolier du chanteur gabonais Pierre Claver Akendengué, avec Le Crépuscule des silences(1975)...
Je suis venu cultiver d’autres chants parmi les morts…
Mission inachevée
Des poètes itinérants chantant
La gloire lointaine de nos combattants
Histoire fermée comme un poing
Ma révolte pressoir des jours tristes.. .
Ce recueil est suivi de Ainsi parlaient les anciens (1987). Mais comment s’exprimer dans un environnement coercitif ? Des lois non écrites interdisent la liberté d’expression, en cette période de monopartisme. On se contente donc du clair-obscur. C’est le cas de Rêves de l’aube (1975) de feu Ndouna Depenaud, de Soleil captif (1982) de Diata Duma, de L’homme perdu (1983) de Ondo Obiang Biyoa, de Voyage au cur de la plèbe (1986) de Quentin Ben Mongaryas ou de Okoumba-Nkhogue Le Soleil élargit la misère, Paroles vives écorchées (1980), les Sens du silence (1980) de Léon Ivanga, Milang Missi (Les choses de la terre) de Bivegue Bi Azi (1990), etc.
De 1990 à 2004 :
C’est la période de la dénonciation. Elle va jeter le masque à partir de 1990, date importante en Afrique subsaharienne en ce qu’elle représente pour plusieurs pays le passage du monopartisme au multipartisme. Et cette ouverture politique va favoriser une poésie d’un autre ton, autrement dit plus offensive dans le traitement des sujets, qu’ils soient sociaux ou politiques. C’est le cas D’Ombre et de silences (1992) de Janvier Nguema Mboumba, suivi de Dzibe (qui signifie obs~’Jfité dans la langue de l’auteur) traduisant l’opacité de l’horizon pour les populations gabonaises. C’est le titre évocateur, Vitriol Bantu (2001) de Ferdinand Ollogo Oke, qui illustre le mieux cette contestation ouverte, avec notamment :
Ma poésie…
C’est le lourd pilon qui cogne
Les calvities des grands et des petits baobabs
C’est la moustache mobile d’une souris synthétique
Qui rit les lèvres absentes…
Qui veut pénétrer ma poésie
N’a qu’à croire à la force des mots…
Car seul le mot peut faire
D ‘une maison une prison
D’une prison une aubaine
D’une aubaine une peine
D’une peine un sourire
D’un sourire un tombeau
D’un tombeau un château
D’un château un mégot
D’un mégot un manchot
D ‘un manchot un simple
Poteau d’exécution
Des
Bonheurs
Retardés.
Nous ne manquerons pas de mentionner le titre aux accents d’antiphrase ironique, Patrimoine (2002) de Lucie Mba, fille de feu Léon Mba, premier président du Gabon, qui promène un pinceau acéré dans la société gabonaise avec ces deux extraits :
Réplique:
… Quand une société par insouciance
Se coupe des plus faibles de ses maillons
Se détourne de la solidarité
A -t-on touché le fond ?
Et
Petit Paris
Petit-Paris a pleuré en cette nuit moirée
martelée par des cris stridents
d’hommes et de femmes abasourdis …
des enfants lapés par des lames de feu
se consument au fond d’un puits de flammes…
Des pompiers arrivés bien tard
Manque de carburant? Peur des farceurs ? …
Défoncent, arrachent, scient
Portes et fenêtres pour extirper
De cette fournaise l’amas de corps Calcinés, carbonisés. lacérés de
Asafa, Abou, Moussa, Dada et Aïcha …
Pendant ce temps…
L ‘élection de Miss Gabon
De Miss Malaïka et autres
Nourrissent les esprits.
C’est dire le niveau d’engagement atteint par la poésie gabonaise dans l’expression du vécu quotidien des populations. Car si la poésie est cette attention, cette précaution accordée au langage, elle n’en demeure pas moins fille de la société. C’est en cela que, comme le philosophe, le poète, le romancier, le dramaturge, bref l’écrivain en général peut s’attacher à modeler son monde, à influencer favorablement la société, notamment la jeunesse au regard de son versant éducatif, à conseiller objectivement les Princes, grâce à son pouvoir d’introduction dans les consciences et de sensibilisation des intelligences. Toutefois, il reste des écueils :
– D’abord la question de son décryptage dans une Afrique globalement analphabète, sachant que la langue de communication demeure le français. Ecrire en langues nationales devient donc une nécessité ;
– Ensuite la capacité d’exportation, car le monde se totalise et notre poésie a besoin de repousser de plus en plus les frontières nationales. Ici se formule le problème de l’universalité ou de l’africanité des thèmes abordés dans nos textes poétiques ;
– Enfin il y a le coût à la fois de fabrication et de vente des ouvrages poétiques. Genre élitiste à l’origine, la poésie a besoin aujourd’hui de parler pour une meilleure intelligence de ses subtilités. Il y a donc lieu de développer des associations, des réseaux, afin d’intéresser les jeunes générations à ce genre littéraire en perte d’intérêt. C’est finalement la question de survie de la poésie africaine, notre âme. C’est la préservation de notre identité, de notre africanité, jusque dans l’écriture même de nos textes. Cette vigilance est fondamentale car même en utilisant les mots de France, nous pouvons traduire nos préoccupations de manière africaine. Léon Laleau nous met en garde à ce sujet :
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser avec les mots de France
Ce cur qui m’est venu du Sénégal ?
Cf. Trahison.
///Article N° : 4005