« Il n’y a que des réalisateurs africains qui nous donnent de vrais rôles »

Entretien d'Olivier Barlet avec l'actrice Tella Kpomahou

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Nous sommes au festival de Cannes, qu’est-ce qui vous y amène cette année ? Quelle est votre impression du festival ?
J’ai pris l’habitude de dire que je suis là en touriste parce que je ne présente aucun film ! L’année dernière, il y avait Il va pleuvoir sur Conakry mais je n’avais pas pu venir soutenir le film et être là avec le réalisateur. Cette année, j’avais du temps et j’étais aussi curieuse de ce fameux festival. Je suis là un peu comme une petite souris !
Et votre impression ?
Il y a beaucoup de monde, vraiment beaucoup de monde ! Je pense que pour venir au festival de Cannes, il faut avoir des objectifs bien précis, des personnes précises à voir, des rendez-vous bien calés sinon on est très vite perdu. Je ne le suis pas parce que je n’ai pas de contraintes et que je vais en fonction des rencontres. J’avais deux personnes à rencontrer, c’est fait. Voilà, je prends des cartes et j’en donne. C’est une belle ambiance, ça donne envie de faire des choses, de revenir dans un cadre beaucoup plus professionnel avec des projets, des films. Il y a une belle énergie, peut-être parce que je suis ne suis pas stressée !
Comment en êtes-vous arrivée à être actrice ?
Complètement par hasard. Au départ, je voulais devenir institutrice, professeur de lettres, parce qu’au lycée j’avais de très bonnes notes en français et que j’adorais les poèmes de Brassens et de Baudelaire, les commentaires composés. J’étais au lycée classique d’Abidjan. En classe de seconde, mon professeur nous avait demandé d’apprendre un poème et j’ai appris un poème de Léon-Gontran Damas, « La complainte du nègre ». Il était question que nous lisions ce poème d’une manière un peu théâtrale. J’ai appris ce poème et j’ai essayé de le vivre, mais une fois devant la classe, j’ai eu peur qu’ils se moquent de moi. Et puis il y a une petite voix qui m’a dit, « Tu es trop bête, tu as travaillé, vas-y, tu n’as rien à perdre. Ils te charrieront mais voilà ». Alors j’ai levé ma petite main et ai dis le poème. Le professeur me regarde, la classe était toute calme donc je me dis : « la honte ! ». Mais mon professeur m’a demandé si j’avais déjà fait du théâtre et m’a exhorté à m’inscrire à la troupe théâtrale du lycée. La troupe était très connue pour participer à des festivals universitaires et scolaires. Je me suis inscrit et pendant mes deux dernières années de lycée, j’ai fait du théâtre. C’est un professeur de lettres qui dirigeait la troupe, il a écrit deux pièces et j’ai eu le rôle principal. La passion est née comme ça, au lycée classique d’Abidjan.
Et ensuite qu’est-ce qui s’est passé ?
Après le bac, j’étais toujours en Côte d’Ivoire, j’ai voulu rentrer à l’école nationale d’art d’Abidjan. Ma mère était seule à nous élever. Elle a trouvé que c’était un peu cher et en plus l’art, ça ne fait pas vivre son homme et encore moins la femme. Il y a eu un petit débat et ça n’a pas pu se faire. Je me suis alors dit que j’allais opter pour le journalisme. J’ai voulu m’inscrire dans une école de journalisme mais c’était trop cher. Nous étions quatre, et ma mère était seule à nous élever. J’ai donc pensé à la communication. A l’époque, des écoles de BTS s’ouvraient un peu partout à Abidjan et je me suis renseigné. Je me suis inscrite à un BTS Communication et Action Publicitaire, que j’ai préparé en deux ans, puis j’ai travaillé dans une boîte de communication événementielle en tant que chargée de projet, une belle expérience. Mais avec la guerre civile, les crises politiques, la boîte a fermé. J’ai fait les démarches pour venir en France et y ai débarqué à 22 ans, toute seule parce que sans parents sur place. Ça a été très dur au départ, et puis j’ai eu beaucoup de chance. Dès que j’entendais théâtre, cinéma, je disais que j’étais comédienne. Des gens m’ont fait confiance, notamment Benjamin Jules-Rosette qui avait monté Le Théâtre Noir, qui m’a fait travailler avec des cours particuliers parce que je ne pouvais pas m’inscrire, n’ayant pas encore de titre de séjour. Donc je travaillais au noir, j’étais standardiste et le soir je prenais des cours avec Benjamin. Il montait à l’époque Le Gouverneur de la Rosée et il m’a confié un petit rôle. Comme ça, de fil en aiguille, je me suis fait un petit carnet d’adresses, jusqu’en 2003 où une amie qui m’avait vue lors d’une lecture m’a parlé d’une audition pour une pièce, La Dispute de Marivaux, qui devait se jouer à Avignon en 2003, la fameuse année 2003, l’année de grève et de l’annulation du In. Généralement Hermione est un rôle joué par une blanche aux yeux bleus, une blonde. Je suis black, je ne suis pas née ici, j’ai un petit accent donc ça ne devait pas le faire mais j’y vais quand même ! Je vais à cette audition et la metteur en scène me voit et me dit : « Oui j’ai envie de faire quelque chose un peu à la Peter Brook, j’ai envie que ma princesse soit noire, que mon prince soit chinois » et voilà. Ça a été une très très belle aventure, j’ai été au festival d’Avignon et puis il y a des choses qui se sont enchaînées. Après, ça a été le cinéma, un premier film avec Eliane de Latour, Les Oiseaux du ciel, et puis voilà, des courts-métrages par ci et Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara. J’ai maintenant deux projets à venir mais je suis un peu superstitieuse donc…
Il ne faut pas en parler ?
Non je n’en parle pas trop, d’autant plus que dans ce métier, rien n’est sûr.
C’est avec un réalisateur français ?
Voilà. Cheick est le premier réalisateur africain avec lequel j’ai travaillé.
Il va pleuvoir sur Conakry était tourné en Guinée : comment s’est passé le tournage ?
Ce n’était pas facile. Quand Cheick m’a dit qu’on tournait en Guinée, étant née en Afrique, grandie en Côte d’Ivoire de parents béninois, je me suis dit que les pays de l’Afrique de l’Ouest se ressemblent et j’étais contente de partir en Afrique. Une fois en Guinée, on a eu beaucoup de difficultés au niveau technique et au niveau humain, mais les gens sont tellement attachants que quelque fois, on oubliait ce côté technique, encore que dans le cinéma, il faut que ce soit au point ! Ça s’est très bien passé dans la mesure où Cheick est quelqu’un de profondément humain. Je suis contente de l’avoir rencontré. Au départ, quand il m’a expliqué les conditions financières du film, j’avoue que j’ai refusé ! Ce n’est pas que je me sois embourgeoisée en travaillant en France mais je paye mes impôts en France, j’aimerais vivre de mon métier et les normes françaises par rapport au tarif syndical, c’est pas moi qui les ai inventées. Je lui ai donc dit que le projet me plaisait mais de faire un effort au niveau financier. Il m’a appelé, il m’a ouvert son cœur, on a parlé pendant une heure au téléphone et j’ai dit : « Oublions l’aspect financier, donne moi ce que tu as et faisons ce film ! » Si c’était à refaire, je le referais. Cheick est quelqu’un de vraiment vrai. J’avais une petite appréhension par rapport aux réalisateurs africains et Cheick a balayé ces appréhensions, il m’a mise en confiance.
Pourquoi vous aviez une appréhension ?
Sans savoir, c’est peut-être bête parce que je n’avais jamais travaillé avec un réalisateur africain mais en temps que comédienne j’entendais des choses, j’ai vécu des choses par procuration, le non sérieux de certaines personnes, les droits de cuissage, la mauvaise ambiance, c’est surtout le côté non professionnel qui me faisait peur. Mes appréhensions, fondées ou pas, ont été balayées par Cheick qui a ce côté très drôle mais professionnel à la fois. Ça a été une très belle expérience, professionnellement et humainement parce que j’ai rencontré Fatoumata Diawara que je ne connaissais pas, qui est aujourd’hui ma meilleure amie. J’ai rencontré Alexandre Ogou, que je ne connaissais pas, qui est maintenant un pote, on se voit une fois par semaine. Cheick, voilà, c’est devenu un grand frère, et plein d’autres personnes qui ont travaillé sur ce film. Je dirais humainement, c’était une très très belle expérience, professionnellement, un premier rôle même si c’est dans un film africain, c’est quand même un premier rôle et j’en suis fière et c’est un super cadeau que m’a fait Cheick. Grâce à Emergence, une structure cinématographique dirigée par Elisabeth Depardieu avec qui j’avais fait un court-métrage avec Claude Brasseur.
Donc l’envie de continuer avec des réalisateurs africains ?
Envie de continuer avec des réalisateurs africains, d’incarner, de jouer de beaux rôles. En même temps même si j’avais des appréhensions, appréhensions qui ont été balayées, je me rends compte qu’il n’y a que des réalisateurs africains qui nous donnent de vrais rôles, pas des rôles clichés, des rôles à la hauteur de notre image, de l’image qu’on voudrait de l’Afrique ou de la jeune femme ou des jeunes comédiens que nous sommes. Moi, je vis en France, c’est vrai que j’ai travaillé pour la télé l’été dernier, j’avais un super beau rôle dans une série mais je ne pense pas que j’aurais eu un rôle comme celui de Kesso dans un film français. Ça va venir. Mais au jour d’aujourd’hui, non.

Festival de Cannes, mai 2008, transcription : Lorraine Balon.///Article N° : 7658

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