« Je n’arrive pas tout de suite avec la carte d’identité africaine »

Entretien d'Olivier Barlet avec Maka Sidibé

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C’est à 11 ans que Maka Sidibé monte pour la première fois sur les planches et décide d’en faire sa vocation. Autodidacte dans l’âme, il touche à tous les répertoires, tient des rôles dans des longs métrages et téléfilms français et s’essaye aussi à la réalisation : après A 17H00, son court métrage Aligato est primé un peu partout. En 2005, il a lancé l’Association Autr’Horizons pour une meilleure exposition des artistes de toutes origines.

Maka Sidibé, comédien dès 11 ans, vous êtes tombé un peu comme Obélix dans une marmite quand vous étiez jeune…!
Dans une marmite de Mafé ! Avec de l’arachide etc., contrairement à une potion magique !…
Alors vous, ça ne vous rend pas gros, mais par contre cela vous rend comédien…
Exactement, voilà.
Qu’est-ce qui s’est passé à ce moment-là, comment l’avez-vous vécu ?
Une vraie immersion, alors que j’étais tout jeune : théâtre avec la pièce de Sony Labou Tansi, Je soussigné cardiaque, et ensuite Black Mic Mac de Thomas Gilou, où on met un petit garçon au milieu de cette équipe technique, projecteurs etc. et je me souviens bien avoir regardé Isaac de Bankolé, qui à l’époque ressemblait à ce que je suis aujourd’hui, il avait la trentaine, 1m 85, noir etc. et je me suis dit, c’est ça que je veux faire. Je me souviens très bien, la scripte était autour de lui, Thomas Gilou etc. On le remaquillait, les raccords etc. Je me suis dit : « tiens, j’aime bien ce métier, je veux faire ça. » Raconter des histoires, incarner un personnage, il y a une effervescence, tout ce monde au service d’une histoire, voilà.
Et à l’époque dans votre imaginaire, c’était vraiment incarner un personnage ou bien il y avait autre chose à la clef pour un jeune garçon de onze ans ?
Ah non, vraiment, c’était incarner, c’était m’échapper de la réalité dans une pseudo-réalité. Jusqu’aujourd’hui c’est le seul but ! Je ne me drogue pas, je ne bois pas, je ne vais pas aux putes de luxe, tout ça…
Vous avez déjà une biographie assez impressionnante. C’était vraiment à la force du poignet, l’envie d’aller dans une certaine direction ?
Oui, c’est vraiment la passion, la vocation. Mon père a été éboueur pendant trente ans à la Ville de Paris. C’est vraiment ma passion qui m’a poussé à suivre des cours d’art dramatique. Quant à la réalisation, je ne pouvais pas faire d’école de cinéma parce que mes parents ne pouvaient pas payer et à l’époque j’étais un cancre fini, le dernier de la classe. J’ai quitté l’école très tôt, en 3e techno, et j’ai commencé à travailler pour payer mes cours d’art dramatique, et c’est vraiment par la suite qu’est venue cette auto-rigueur par laquelle tu te dois de t’instruire, de te cultiver pour exercer ce métier qui est très difficile. Je pense qu’avec la rage et la hargne, on apprend beaucoup plus vite.
Et la réaction de vos parents ?
Impressionnés ! (rires) Vraiment, mon père ne s’en rendait pas compte jusqu’au jour où il y a eu la diffusion de La Limo avec Michel Galabru sur Canal +. Mon père adore Les Gendarmes à St Tropez. Louis de Funès, il l’appelle « commissaire ». Donc Michel Galabru, c’est une référence pour lui, et le fait de le voir me donner la réplique, à moi, sur Canal +, à la télévision, sans qu’on ait mis de cassette etc. : pour lui j’ai réussi ! Et maintenant avec Une femme d’honneur, c’est génial. Il ne manque plus que je lui achète une maison, une BMW intérieur cuir, et c’est bon. (rires.)
Vous alliez volontiers les choses : la scène et l’écriture, la réalisation et l’écriture, vous êtes un peu homme-orchestre…
En fait, ce n’est pas dans un désir d’allier les choses, c’est plutôt qu’une chose en entraîne une autre. Cette envie de raconter des histoires à travers un personnage amène aussi cette envie de la raconter moi-même : donc scénariste. Ensuite je me forme etc. Et toujours dans la continuité de raconter une histoire, transformer ces mots en images : donc la réalisation. C’est pour cela que tout s’est développé en même temps, le côté scénariste, réalisateur et acteur. Voilà qui est validé avec Aligato. Là j’ai pu démontrer que je peux écrire, interpréter et réaliser.
Et vous entendez continuer dans cette direction ?
Je l’espère bien. Là je suis en train de finir d’écrire mon premier scénario de long métrage, Opération Capucine, et je compte, outre l’écrire, le réaliser et interpréter le personnage principal. Ça va être très difficile à faire passer pour une production d’un premier long, mais j’ai toujours fonctionné de cette manière. Même si ce n’est pas ma marque de fabrique, c’est de cette manière que je travaille, et j’espère qu’on me fera confiance dans cette voie.
Mais plus la chose va se complexifier avec des équipes de long métrage, plus ça va devenir difficile…
Je suis scénariste de ces films, réalisateurs etc. mais il y a toute une équipe qui m’accompagne. Mon collaborateur au scénario, Sélim Khelil, était déjà là pour Aligato, pour Vivre les mots, un autre court métrage, et est là pour mon long métrage. Et j’ai mon équipe technique, ma première assistante, Bettina Sanchez mon chef opérateur Nicolas Bitaud, ma scripte : il y a un vrai travail en équipe, personne ne fait de film seul.
Oui, mais il y a des réalisateurs autour de qui tout tourne et d’autres plus discrets, c’est moins votre cas ?
Oui, mais il faut vraiment revenir à la source. C’est comme pour Woody Allen : c’est le désir non de tout contrôler mais de maîtriser chaque étape. Le résultat est une espèce de main-mise, c’est mon film, c’est moi qui écris, c’est moi qui fais tout, etc. Mais c’est une réelle envie d’écrire, et ensuite une réelle envie de mettre en images et une réelle envie d’interpréter, d’incarner ce personnage qui peut être fort parce que c’est nous qui l’avons créé. Pour Aligato tourné en plan séquence, le comédien a quelque chose à défendre. Si ce n’était pas moi qui l’avais écrit, j’aurais adoré interpréter ce personnage, et vu que je connais bien le réalisateur Maka Sidibé, il m’a auditionné et il m’a pris. Voilà. (rires).
Puisqu’on est dans ce type de références, quels sont vos influences ou modèles ?
Alors, Woody Allen c’était un exemple mais ce n’est pas un référent pour moi. Côté réalisateurs : Spike Lee, Daren Aranovski, Sam Peckinpah, Sidney Lumet, surtout pour le film Douze hommes en colère qui est le chef d’œuvre de tout les temps… Côté acteurs, Denzel Washington, incontestablement, Nicole Kidman, Daniel Auteuil, Zabou Breitman, que j’adore dans La Crise de Coline Serrault, mais sinon l’acteur dans toute sa splendeur pour moi, si on veut bien oublier qui il est, moi je parle uniquement de l’acteur, c’est vraiment Tom Cruise. C’est un acteur qui ne va pas spécialement changer de coupe de cheveux ou avoir une barbe de cinq mètres de long, et qui incarne ses personnages avec une vraie intensité, une vraie composition psychologique. Sans vouloir faire le malin, rentrer dans des techniques, etc. Vraiment pour moi il est très fort.
Voilà une série de références très américaines…
Oui, très américaines…
Mais aussi noire-américaine.
Aussi. En ce qui concerne le cinéma français, j’ai 29 ans, Buñuel ou Le Clan des Siciliens, ce n’est pas mon époque, et on vit avec son temps. Or, actuellement, le cinéma français, je suis désolé, on ne rentre pas en profondeur, on n’a pas Collision, on n’a pas Fight Club, on n’a pas Douze hommes en colère !. En dehors de ce film de Fontaine avec Daniel Auteuil, L’Adversaire, ou bien Jacques Audiard qui nous sauve tous les deux ans…
Vous avez aussi touché au répertoire classique. Vers quoi allez-vous le plus volontiers en tant qu’acteur ?
On peut croire que c’est la comédie, l’humour etc., parce que dans la vie je suis assez boute-en-train, espiègle et tout, mais ce que j’aime vraiment, c’est ce qui est dense, ce qui est noir, ce qui est touchant… Aligato, quand j’ai fait la projection, tout le monde s’attendait à une comédie dans la lignée d‘A 17H00 avec Jamel. L’affiche était toute rouge, il y avait juste marqué Aligato, rien de plus. Et en fait, c’était noir, dur. Opération Capucine, le long métrage que j’écris, parle des injustices financières à travers le monde, des pays riches, des pays pauvres, Bill Gates, la taxe Tobin, etc. et c’est très dur, très noir, le personnage principal est très froid, j’aspire plus à ça.
C’est un désir d’approfondir ou d’être en prise avec son temps ?
Non, je pense que dans le fond je suis vraiment comme ça : autant je peux rigoler, déconner et faire des blagues, mais dans le fond il y a des thèmes qui me touchent. Regardez tout l’argent qui a été déployé pour le Tsunami, alors qu’en Afrique le Tsunami est passé depuis des milliers d’années… Ces choses me touchent réellement. Et je n’écris que sur ce qui me touche. Même si A 17H00 était assez léger, c’était quand même en écho à mon enfance et à celle de mes potes noirs comme moi, à l’époque on n’était pas très populaires, à l’école, Mamadou et Maka, ce n’était pas très beau comparé à Julien, Jérémy, brun, blond aux yeux bleus. Mais maintenant on se venge ! Croyez-moi ! (rires.)
Oui, ça bouge en France en ce moment…
Oui il y a un vrai mouvement : toutes les modes, les musiques, les styles, ça vient de la banlieue, ça vient pas du 16e.
De l’appel des « indigènes de la République » à la remise en cause du « rôle positif de la colonisation » porté par la loi de février 2005, vous sentez-vous en phase avec le débat public ?
Je suis très optimiste et je l’ai toujours été. Je suis persuadé qu’on en viendra à une réelle reconnaissance : il faudra reconnaître que telle ou telle communauté fait vraiment partie de la constitution de ce pays. Pour moi il n’y a pas un problème, il y a une constatation. C’est bien sûr à nous de faire que les choses changent. La France a 50 ans de retard sur les Anglo-saxons et c’est inadmissible. Mais restons optimistes, proposons, et je suis persuadé que ça va rentrer dans les mœurs petit à petit : c’est contraint et forcé. C’est obligatoire !
Mais même aux Etats-Unis qui se définissent comme multiculturels, les choses ne changent quand même pas très vite ! Les noirs continuent d’être les rejetés de la Planète. Comment pensez-vous que cela puisse évoluer en France, plus fortement, plus vite ?
En proposant, sans se plaindre. C’est mon avis personnel : je pense que le fait de se plaindre ou de tout le temps le répéter, le ressasser, le souligner, fait qu’on voit toujours cette différence. Moi j’ai rarement été confronté à ce problème, sincèrement, parce que déjà je me définis en tant qu’homme dans un premier temps, en tant qu’artiste dans un second temps, et après, oui, je suis Maka, originaire du Sénégal, fier de l’être, mais je n’arrive pas tout de suite avec cette carte d’identité : ouais, je suis noir, c’est dur, etc. À chaque fois que je rencontre des directeurs de casting, metteurs en scène ou pour mes propres projets, ça ne rentre jamais en ligne de compte, il n’y a pas de blague sur les Noirs. Je suis un mec de 29 ans, je viens auditionner pour tel rôle. Pour Une femme d’honneur ou pour Canal +, il n’a jamais été question de mettre un Noir, je défends un personnage. Même dans mes propres projets, quand je les écris, le personnage peut être noir, blanc, vert, bleu, ce n’est pas la question. J’ai cette vision : un homme, une femme. Point. Après si vraiment ça doit servir l’histoire qu’il soit noir, ok, mais vraiment, sans vouloir faire le démago, un homme est un homme, point barre. C’est dans les mœurs, c’est rentré dans l’esprit de la population mondiale, mais c’est sûr qu’il reste encore des ombres ici et là. Je suis persuadé que dans 500 ans, à l’image de Star Wars, le racisme sera ailleurs, ce sera sur des bêtes féroces, avec des nez mystiques etc. Quand on regarde Star Wars, on dit : il n’y a pas de racisme dans ce monde-là, ce n’est pas possible.
Bon, oui, c’est encore de la science-fiction. Oui, donc gommer les différences et garder ses traces culturelles. Vous, vous avez l’impression que la priorité est sur le premier ou bien que les deux vont ensemble ?
Je dirais qu’on va faire un mix des deux. Je suis Français, mais originaire du Sénégal. C’est de mon éducation. Je n’avais pas de Pepito au goûter. Quand Jamel reprend ça dans son spectacle, tout le monde se marre mais pour les gosses de banlieue, c’était vraiment ça : le goûter, on ne sait pas ce que c’est, ton permis tu le paies toi-même, on ne va pas te border quand tu vas te coucher, le scooter à 16 ans ça n’existe pas, donc ça forge un caractère. Un ado qui est comme ça, forcément quand il est adulte, il se démerde. C’est pour ça que j’ai cette hargne, cette motivation supplémentaire. Après quand je l’insuffle à mes projets, ça déteint sur ma façon de jouer, sur ma façon d’aborder le monde artistique. Ça vient de ma culture et c’est un plus apporté dans une culture ambiante.
Voilà qui nous amène à votre initiative de 2005 : l’agence Autr’Horizons. Quel en est le but ?
Ce n’est pas une agence tous risques. (rires.) C’est une association loi 1901 à but non lucratif. En fait, pour Autres Horizons, je m’amuse à dire « Action visible pour les minorités invisibles », même si je n’aime pas l’expression, mais il faut le verbaliser tout de même, donc elle promet des actions visibles. En fait, elle récolte des fonds pour initier, subventionner des projets cinématographiques, audiovisuels et théâtraux, qui mettent en lumière des artistes français originaires d’ailleurs, au sein d’un casting ouvert à tous, je tiens bien à le dire. Parce qu’en fait, quand je prends mon parcours, j’ai pu exister grâce à mes projets personnels. Si je n’avais pas fait A 17H00 qui m’a permis de faire Aligato, je n’aurais pas pu rencontrer les personnes que j’ai pu voir, les directeurs de casting, on n’aurait pas pensé à moi pour La Limo avec Michel Galabru, on n’aurait pas pensé à moi pour Une femme d’honneur parce que c’est grâce à 17H00 que j’ai rencontré Max Morel, et il y a cette espèce de podium où on se dit « ah, tiens, un acteur qui défend un vrai rôle dans un vrai projet, pourquoi pas dans tel film… ». Mais vu que les Noirs ne sont pas mis en lumière, on a cet espèce de cercle vicieux qui fait que évidemment le jeune réalisateur qui fait son premier film, il ne pense pas à Eriq Ebouaney, à Toni Mpoudja, à Mata Gabin, à Aïssa Maïga, etc. parce qu’il ne les voit pas, tout simplement.
Si maintenant je fais mon one-man-show, ça se passe bien, je fais les plateaux télé, on ne peut pas plaire à tout le monde, tout le monde en parle, Arthur, etc., tiens, il y a un réalisateur qui fait son film et qui se dit, ah tiens, pourquoi pas, et c’est ce qui se passe pour Omar. Il a une vitrine, on le voit sur Canal +, donc on le voit ici et là. Mais maintenant, pour les acteurs de formation, Lucien Jean-Baptiste qui a 15 ans de carrière et qui est un grand acteur, comment susciter cette idée ?
Oui, qui ne soient pas des Noirs dans des rôles de Noirs.
Voilà, après il a tout un circuit, vu que je fais de la production je sais un petit peu comment ça se passe, aller voir une chaîne en lui disant, premier long métrage de Maka Sidibé, « mais qui c’est ? », et en plus c’est lui qui tient le premier rôle « Ah bon ? », voilà.
Jusqu’à présent, il y avait des initiatives de casting comme Afrociné d’Owell Brown ou Casting Sud de Georgette Paré, mais plutôt dans le sens d’avoir une visibilité, de répertorier les acteurs noirs et de savoir où les trouver. Vous, vous partez dans quelque chose de nettement financier, recueillir des fonds pour soutenir des projets, ce qui est quand même une œuvre particulièrement ardue !
Oui, c’est sûr, mais vu que tout le monde se plaint, pourquoi pour une fois on ne s’arrêterait pas, pause, voilà, pour créer des projets. C’est l’argent qui est le nerf de la guerre, donc on promet des actions visibles pour les minorités invisibles, et la première action, c’est un moyen métrage qui mettra en scène une pléiade d’artistes noirs, c’est l’intrigue qui veut ça, ce n’est pas pour les mettre en avant, et ça sera le faire-valoir de l’association. On a tous un peu d’argent à investir, on peut mettre ces moyens en commun, pour faire un vrai film en support 35 mm qu’on éditera en dvd et qu’on enverra aux directeurs de casting, metteurs en scène, réalisateurs, directeurs de chaînes etc., non pas pour dire « engagez-nous », mais « sachez messieurs que nous sommes là, expérimentés, formés ». Le meilleur moyen de parler de soi, c’est à travers une vraie œuvre. Vous mettez « lecture » et vous vous taisez. Les images parleront d’elles-mêmes si c’est viable.
Vous avez beaucoup communiqué quand l’initiative a été lancée. Maintenant, c’est plus calme…
Oui, il faut s’accrocher et relancer la machine. Il n’est pas toujours facile de gérer nos emplois du temps !
Je me souviens que Sonia Roland me disait dans une interview qu’elle n’avait jamais de rôle où elle puisse être autre chose que d’exercer une séduction à l’écran. Elle aurait voulu des rôles de complexité, qui aient une vraie épaisseur. Comment favoriser cela dans votre initiative ?
Donc. Petit cours de scénario. Un scénariste, il écrit essentiellement selon ses obsessions qui sont transformées en thématiques, ensuite il choisit ses personnages qui sont plus ou moins iconiques. Le médecin est forcément français dans leur esprit. Ils sont dans la normalité, sans décalage. Les médecins noirs existent mais pas sur les écrans français. On reste dans le stéréotype ou l’archétype, la norme. On ne veut pas décaler.
Sauf chez Claire Denis qui est vraiment une ovni.
Exactement. Et d’autres, mais vraiment c’est très rare. Ce moyen métrage va donc mettre des acteurs noirs dans des rôles de médecin, violoniste, avocat, etc. Et je m’amuse à inverser au niveau des castings : la dame pipi est blanche, un clochard est blanc, deux voleurs de voitures sont blancs, etc..
Cela peut déranger.
Oui, ça va déranger, mais ce sera une vraie fenêtre sur ce qu’on voit tous les jours, et le premier qui viendra critiquer se dénoncera ! Attention ! (rires.)
Cela nous amène à Aligato. Vous avez fait ce film dans quelle énergie, quelle envie ?
Dans l’envie de continuer la première aventure de A 17H00. A peine le tournage de A 17H00 achevé, j’avais déjà cette idée de ce couple qui s’engueule. J’ai écrit le scénario, et l’ai envoyé au CNC, mais ai essuyé un refus. Je l’ai envoyé aux productions qui m’ont dit que j’étais malade, parce qu’il y a un défi technique, avec le fait que je joue dedans. J’ai donc dû le produire moi-même. J’avais gagné pas mal d’argent avec le rôle dans La Beuze. J’ai repris l’équipe technique d’ A 17H00 et tout s’est très bien passé. J’ai vraiment mis un point d’honneur sur la préparation, beaucoup de répétitions, très professionnel sur le tournage, les défraiements, la post-production… Je voulais contrer l’idée que l’artiste noir fait mal, en retard, etc. Rien de bancal ou amateur. Parce qu’on se doit de faire plus. Malheureusement ! Ce n’est pas moi, c’est mon travail que je mets en avant, selon le vieil adage : bien faire et le faire savoir. Si je ne le fais pas, Gérard Jugnot ne saura jamais que j’existe. Donc j’ai édité 1000 dvd que j’ai envoyés partout. Le film a gagné 12 prix donc je réédite le dvd avec le palmarès en jaquette, que je vais encore renvoyer, non pas pour dire « Regardez, ouais, mon film etc. », mais pour dire « J’existe ! Pensez à moi sur ceci, cela. Si vous n’y pensez pas, tant pis, mais sachez que je suis là. »
Une bonne carte de visite.
Voilà, exactement.
On a l’impression que le film est une sorte d’écho à votre positionnement…
Autobiographique ?…
Oui, cela pourrait être une question, mais je voulais dire en écho avec ce dont on vient de discuter, avec cette position dans une société. Vous partez d’un paradoxe, qui est une relation, une découverte, une rencontre entre un Noir et une Japonaise, et puis…
Ah, non, non, non, ce sont un homme et une femme. Après, le fait qu’il soit originaire d’Afrique et elle d’Asie, c’est… le décor. Ils auraient pu être tous les deux hindous ou maghrébins, européens, ce n’est pas le propos. Le fait qu’ils se chamaillent sur la prononciation de aligato, ç’aurait pu être choukran, thank you, n’importe quoi, il n’y a aucun message par rapport aux origines. Je tenais à démontrer que de l’amour à la haine il n’y a qu’un détail. Qu’est-ce qui déclenche le crime passionnel ? Qu’est-ce qui a poussé cet homme à frapper cette femme à mort ? Il regrette, il avoue, il l’aimait, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Le film parle de ça. C’est pour ça qu’il pleut, c’est un peu en écho à ce qui se passe dans sa tête en ébullition.
Ce quelque chose à l’intérieur de l’humain qui est toujours là, qu’on ne mettra jamais de côté.
Voilà. Le film parle de ça.
Mais les flics se précipitent sur le Noir quand même…
Non, je ne dirais pas qu’ils se précipitent sur le Noir, ils se précipitent sur l’homme qui est debout, la femme étant au sol. Je prends vraiment garde à ça. C’est pour ça que pour les dialogues ou leur façon d’intervenir, j’avais un consultant sur le film, un vrai policier. Il y a une femme au sol, en sang, c’est normal.
Vous avez choisi de tourner en plan séquence avec une caméra très mouvante autour des personnages plutôt que de couper en plans courts. Dans quelle intention ?
Bizarrement dans les plans de coupe, même si ça se passe en temps réel, on a cette coupe dans le temps, après c’est inconscient. Et bizarrement dans le plan séquence on a cette unité temporelle qui fait qu’on est plus plongé dans l’action. Et vu qu’on parle d’un basculement en dix minutes, avec des protagonistes qui se demandent en mariage puis qui s’entre-tuent, pourquoi ne pas le suivre en temps réel dans une unité ? Pour être vraiment au cœur de ce qui se passe. Certains spectateurs dans des festivals n’avaient même pas senti que c’était un plan séquence. Je l’utilise en resserrant la focale pour aller chercher les visages, être plus proches d’eux.
Elle lui dit : »c’est le détail qui fait tout », et lui, il répond : « c’est le tout qui fait le tout ». N’est-ce pas en écho avec votre façon d’aborder les choses ?
Non, vous le sortez de son contexte. Cela repose sur les personnages que j’ai créés. Elle est très méticuleuse, lui est très général. Je ne dirais pas que c’est le tout qui fait le tout. Je serais plus du côté de l’héroïne. C’est le détail qui fait tout. C’est certain. D’où ce film.
Je posais la question parce que tout à l’heure vous disiez que c’était autobiographique…
C’est autobiographique dans le sens où ça repose sur des obsessions personnelles. J’habitais avec une jeune femme avec laquelle on s’engueulait très souvent et on switchait assez rapidement de l’amour à la haine. On s’est séparé pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ça, et ça m’est resté en tête : pourquoi deux êtres s’engueulent comme ça ? Qu’est-ce qui pousse à partir en vrille, et je voulais zoomer sur cet interrupteur au moment où on appuie dessus et où la lumière s’éteint.

Pour joindre Maka Sidibé
[email protected]
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www.autrhorizons.com///Article N° : 4350

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