HafidGood. C’est le blaze d’une société de production dont le gérant est un jeune réalisateur français qui du haut de ses 32 ans arbore fièrement un sourire mérité. Comédien, producteur et réalisateur de plusieurs courts-métrages, Hafid Aboulahyane revient avec un nouveau film intitulé La Marche des crabes. Dans cette histoire d’amour impossible entre un paraplégique et une mère célibataire, l’auteur distille beaucoup de générosité. S’il n’échappe pas à quelques excès dramaturgiques, il témoigne d’une pensée en mouvement qui ne peut être mise de côté. La mise en scène d’Aboulahyane regorge de fulgurances poétiques qui ont emmené le film dans de nombreux festivals : Amiens – Prix du public et Prix de la maison d’arrêt – Bruxelles, Dubaï, Festi’valloire – Prix du jeune public -, Agadir, Abidjan – Prix de la meilleure bande son, Festival panafricain de Cannes, Maghreb des films, Béjaïa, festival international Lumières d’Afrique de Besançon). Il nous fallait rencontrer cette figure dynamique.
Pourquoi ce titre intriguant, « La Marche des crabes » ?
Inconsciemment, cela représente la dérive de l’esprit humain. Quelque soit son origine, sa façon d’être, de voir la vie, l’être humain questionne ses doutes. Il peut alors marcher de travers, d’où ce titre qui renvoie à des gros points d’interrogations. Et à travers cette histoire d’amour, il était impératif pour moi de convoquer cette réflexion.
T’es-tu inspiré d’éléments personnels ?
Pas tant que ça. En dehors de deux ou trois choses, le film regorge surtout d’anecdotes liées à mon entourage, sans pour autant ne filmer que ça. Nous avons tous eu, un jour ou l’autre, le même souci qui est celui de l’affection.
Comment t’es venu l’idée du film ?
Suite à une rupture amoureuse. J’étais vraiment amoureux de cette fille, j’avais la vingtaine et c’est le genre d’amour qu’on n’oublie pas. D’ailleurs, je l’ai rencontrée à un mariage tout comme mon personnage de La Marche des crabes. C’est le seul instant qui ne soit pas romancé. J’ai revisité à travers cette salle de mariage tout un pan du cinéma qui me sensibilise. Quand je fais ce plan séquence au tout début du film, je pense à l’ouverture de Femme fatale de Brian de Palma. J’essaie de travailler le côté technique, d’intensifier le jeu d’acteur. Puis plus tard, j’utilise la caméra à l’épaule comme Cassavetes. Bref, pour revenir à mon histoire d’amour, nous avons malheureusement rompu. Cela m’a beaucoup marqué et progressivement, j’en ai utilisé la base pour réaliser mon film. Vers 2001/2002, j’ai écris un premier jet mais je le trouvais trop dramatique. L’écriture étant douloureuse, je trouvais que le pathos était trop présent. Un soir, dans une discothèque, j’ai croisé un paraplégique. Là, j’ai décidé d’affubler mon personnage de ce handicap.
N’avais-tu pas peur de tomber dans le pathos ?
Je ne pense pas. Il y avait des pistes de réflexion qui m’amenaient à cette conclusion : l’handicap est une métaphore. Que cela soit l’intolérance, le regard des autres, le comportement de certains. Le fait que mon personnage soit paraplégique bouscule les conventions.
As-tu réalisé ce film dans l’urgence ?
Pas du tout ! Ce film, je l’ai réalisé crescendo. Quand j’ai commencé en 2003 à faire des courts, je m’étais fixé un objectif précis : commencer mon premier long en 2010. Je n’ai pas fais de grandes études, je n’ai pas mon bac et Dieu sait qu’il faut l’obtenir pour aspirer à entrer dans une école de cinéma. Donc, muni de ce handicap, je suis allé au charbon et j’ai appris sur le tas. C’est pour cela que j’ai mis tous les moyens nécessaires dans La Marche des crabes pour réaliser un film dans les règles de l’art et enfin passer à autre chose : le long-métrage. La Marche des crabes a été refusé quatre fois par le CNC. Je suis assez satisfait du résultat final, j’entends par là au niveau de la démarche artistique. Je suis conscient de quelques soucis technique mais au final, je suis content.
La Marche des crabes est en quelque sorte un exercice de style ?
Tous les courts métrages, par définition, sont des exercices de style. Je pars du principe que je suis constamment dans l’apprentissage. C’est comme la boxe, tu remets ton titre en jeu en permanence. Quand tu écris ton premier film, il peut fonctionner
par contre, ton second peut essuyer un échec. Rien n’est acquis. Tu es tout le temps dans la stimulation. Tu repousses tes limites. Me concernant, il n’y a rien de pire que d’être dans le confort artistique.
Est-ce que le cinéma a toujours été une nécessité dans ta vie ?
Bizarrement, non ! Bon, parlons de l’école. Cette étape fut pour moi douloureuse
et puis je pense que le système éducatif ne m’était pas approprié. Et c’est en croisant l’art sous toutes ses formes, que j’ai vraiment pris conscience de mes capacités. Cela m’a sauvé la vie ! J’ai commencé la ligue d’improvisation puis ensuite les cours de théâtre. J’ai navigué entre rôles à la télé et petites apparitions au cinéma. Très vite, je me suis rendu compte que je devais réaliser des choses en toute autonomie. Si tu veux, je ne pouvais plus supporter qu’on me réduise à des rôles de « barbares », je veux dire, des gangsters, des terroristes
donc, je me suis lancé dans des objectifs plus personnels.
Réalisateur et comédien : porter deux casquettes n’a pas été difficile pour toi ?
Non. Un journaliste de France Inter m’avait choqué en me demandant si l’on pouvait me prendre au sérieux avec cette double casquette. D’autres l’ont fait avant moi, je ne vois pas pourquoi j’en serais interdit. Bien sûr, il y eut de nombreuses remises en question. Souvent, je perdais confiance en mon jeu, mais comme je te le disais, il faut se battre, prendre du recul et surtout être humble. Du coup, en tant que réalisateur, je sais exactement comment diriger les comédiens.
Tu t’identifies à certains films ?
J’aime beaucoup la thématique urbaine dans le cinéma ou bien ces comédies sociales telles que La Garçonnière (Billy Wilder, 1960) ou Affreux, sales et méchants (Ettore Scola, 1976). Sinon, en France, et toujours dans la thématique urbaine, La Haine de Mathieu Kassovitz (1995) m’a beaucoup sensibilisé. Mais le film qui m’a scotché, qui m’a donné envie de faire du cinéma, c’est La Bamba (Luis Valdez, 1987) sur un jeune rocker. Tu vois, je suis un cinéphage, je peux admirer et prendre des choses dans La Règle du jeu de Renoir comme dans un film tel que La Bamba.
Ce sont vraiment deux extrêmes !
Oui, mais ce sont des thématiques qui sont récurrentes. Je suis un spectateur qui peut être ému avec les films de Kéchiche comme ceux de Kassovitz ou Djamel Bensalah. Pour ce dernier, je sais pertinemment qu’il est assez critiqué, mais il assume pleinement son statut et ce qu’il veut faire. J’aime cette liberté.
Tu évoquais ton adolescence et surtout cette envie de jouer pour régler ses comptes
Pas tout à fait. Sans rentrer dans les détails, j’ai vécu des moments où l’amour était quasi absent. Des situations où il m’était impossible de m’identifier à cette normalité. Et c’est à travers le théâtre que j’ai pu m’échapper et surtout apprendre et découvrir des choses aussi belles qu’intrigantes. Le jeu reste encore un exutoire que je n’ai pas suffisamment exploité. Je suis encore sur le banc des joueurs, tel un remplaçant et je n’ai pas encore réellement développé ce que pouvait m’apporter un jeu.
Ne te sens-tu pas en marge de la société
quelque chose de l’ordre de l’anachronisme ?
Ce n’est pas la première fois que l’on me pose cette question. Je suis un romantique et je l’assume pleinement. Mais être romantique ne signifie pas être un idiot. Je veux raconter des histoires contemporaines. Certes, je me suis crée une espèce de bulle mais je peux y façonner un imaginaire. Le cinéma m’aide à raconter de belles histoires. Tu vois, travailler avec un comédien, c’est le fréquenter assidûment. Discuter avec lui, vivre des mois avec lui afin qu’il s’identifie à mon univers. Je me sens proche en cela d’un Cassavetes. J’aime son cinéma, cette idée de famille. J’essaie d’avoir ma propre famille, des comédiens, des techniciens. Il y a un réalisateur et écrivain avec qui je suis m’entends très bien, Samuel Benchetrit. C’est le genre d’exemple qui m’aide à concrétiser des objectifs intimes. Il y aussi Rachid Djaïdani, un grand poète et un frère pour moi. Il a une vision intelligente de la société et surtout je le trouve très en avance sur son temps. Son phrasé est juste et je n’ai pas l’impression de perdre mon temps avec lui. Cette famille, j’essaie de la développer et de ne pas la perdre.
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