Koko Komégné fête quarante années d’arts plastiques

Entretien d'Yvonne Monkam avec Koko Komégné

Douala, avril 2006
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Très attendu, le coffret de deux livres consacrés à l’œuvre et la vie du plasticien Koko Komegne, âgé de 56 ans, vient de paraître (1). Composé de  » Survivre et frapper « , monographie de ses peintures et sculptures ponctuée d’extraits d’articles de presse et d’une biographie détaillée et de  » Pas d’quartier « , recueil de poèmes signés par Fernando d’Alméida, Hervé Yamguen, Lionel Manga et Komégné, il fait suite aux différentes manifestations qui ont marqué la célébration des quarante années de carrière du père des plasticiens contemporains du Cameroun. Pratiquement tous les acteurs des arts plastiques de Douala s’étaient mobilisés à cet effet pour offrir à Koko une belle fête : L’espace Doual’art avait rassemblé quelques pièces du maître issues de collections privées pour l’exposition  » Koko Komegne, 40 ans de peinture « . La galerie Keuko avait présenté  » Koko and Co « , réunissant des œuvres de Komégné et d’une dizaine de ses amis plasticiens. Enfin, une des salles de cours du BC arts (Bonapriso Center of arts), dirigé par Annie Kadji a été baptisée du nom de l’artiste.
Son actualité se poursuit jusqu’à la fin de l’année puisqu’il sera courant novembre 2006, l’une des têtes d’affiche de  » The last pictures show III  » avec deux importantes expositions à Douala et Paris.
Artiste prolifique et généreux, bon viveur à la verve coloriée, Koko Komégné nous a livré quelques morceaux de sa carrière, de sa vie, de son rapport tumultueux à l’argent et aux femmes….

Le pinceau improvisé
Mon premier pinceau, c’était une bûchette d’allumette dont j’avais mâché le bout. Je me rappelle très bien que l’allumette était de la marque  » le boxeur « . Peu de temps auparavant, j’avais acheté tout à fait par hasard, une boîte de peinture noire, à 45 Francs – quasiment la totalité de ce que j’avais en poche – après avoir âprement marchandé avec le vendeur. Je n’oublierai jamais la marque de cette peinture non plus. Il s’agissait de  » Volendum Ename « , une marque hollandaise. J’ai soigneusement gardé cette boîte de peinture, un peu comme un trésor. Et j’ai continué à dessiner tel que je le faisais à mon habitude, sur du papier et du contre-plaqué. Cinq mois après, j’ai commencé à peindre sur ces dessins avec des bûchettes d’allumettes mâchonnées que je trempais dans la boîte de peinture. Je me suis rendu compte que la peinture était lourde et je l’ai alors diluée avec du pétrole.
Plus tard, j’ai acheté des pinceaux et de l’aquarelle pour continuer à peindre. Mais je n’aimais pas trop l’aquarelle parce que ça faisait enfant. J’ai alors acheté des peintures en émail de toutes les couleurs. J’y ai tellement pris goût que j’ai travaillé pendant longtemps avec ce type de peinture.
Je faisais essentiellement des reproductions de Picasso, Giacometti, Matisse et d’autres peintres à partir d’images que je voyais dans les journaux et magazines Elle, Jour de France, Vogue Magazine, etc. Je reprenais aussi des caricatures d’humoristes français comme Jean Belux dont j’ai été marqué par le raffinement.
La rencontre décisive
J’ai fait mes études primaires à Yaoundé jusqu’à l’âge de 14 ans où j’ai décidé de tout plaquer pour rentrer au village. J’y ai passé deux années avec ma grand-mère. Elle m’a tout appris ; la culture de chez moi, le secret des plantes, etc. L’école de la grande vie en somme !
J’ai ensuite décidé de rentrer à Douala. C’était au milieu des années soixante. Et c’est à ce moment que j’ai fait le rencontre qui allait marquer ma vie avec Monsieur Jean Sabatier. Tout de blanc vêtu, fumant d’une main une cigarette, tenant de l’autre un pinceau. Il était en train d’inscrire Coca Cola sur une plaque. J’ai été marqué par l’élégance de cet homme qui devait avoir un peu plus de soixante ans. J’ai aussi été frappé par l’immensité de son atelier. J’ai pris mon courage à deux mains et j’en ai franchi les portes. Devant le respect et la crainte qu’il inspirait, j’ai pu bafouiller un  » Je voudrais apprendre la peinture « . Il a refusé. Ce qui ne m’a pas empêché de venir chaque jour le regarder travailler, réaliser des panneaux, plaques et peintures publicitaires… Ça a été le tournant. Il a senti par mon assiduité que je voulais vraiment apprendre. Je le regardais manier le pinceau dans le moindre détail et je rentrais chez mon oncle le soir répéter ses gestes. Peu de temps après, j’avais ma première commande : la plaque publicitaire d’un coiffeur. De 1966 à 1990, j’ai fait essentiellement de la peinture publicitaire. Je réalisais des plaques, banderoles, panneaux, décoration de voiture, etc. J’ai arrêté brusquement en 1990 pour pratiquer exclusivement la peinture de chevalet. Le nombre d’œuvres produites ? Impossible à dire, sûrement des milliers, dont la plupart se trouvent un peu partout dans le monde.
Le style Koko
Mon style est né d’un refus de la représentation figurative. J’ai voulu créer une rupture. En Afrique, nous avons une autre façon de représenter, d’exprimer le visage, ne serait-ce que par les masques. En plus, mon fond artistique est combattant. Il faut pour le comprendre savoir dans quel contexte il est né. C’était en plein Festival mondial des arts nègres en 1966 à Dakar. Comment dans cette condition faire une peinture qui ressemble à celle des Blancs ? J’ai commencé par changer mon nom ou plutôt mon prénom. Gaston est devenu Koko. Ensuite, je me suis détourné de la peinture pour touristes qui représentait le Pont du Wouri et bien d’autres paysages. Le visage du monde devait changer. J’ai fait appel à toutes mes lectures : Camara Laye, Senghor, etc.
Pour finir, j’ai trouvé un style, mon style : la diversion optique dont le grand truc consiste essentiellement à tromper l’œil. Il repose sur trois valeurs essentielles : harmonie, équilibre et anonymat, auxquelles il faut ajouter la dimension militante. C’est un ensemble de valeurs spirituelles, morales et artistiques du monde noir. Un art qui brise la notion du temps et de l’espace. Un art qui en même temps qu’il se refuse de reproduire le présent, s’en inspire. Ce n’est pas un art qui flatte, mais il ne choque pas non plus. C’est un art au service de l’homme, un art qui introduit le visiteur tout en l’égarant. Le centre d’intérêt de cet art c’est l’homme dans la mesure où il cherche à atteindre le cœur, l’esprit et l’âme. La couleur devient accessoire. Ce qui compte, c’est la construction et l’émotion qui se dégagent de l’œuvre, le dialogue silencieux qui s’instaure entre le visiteur et la toile. C’est pour toutes ces raisons que mon art a duré.
L’argent gagné… et perdu
A l’école primaire déjà, je n’étais pas très bon en calcul. Cela pourrait peut-être expliquer bien de choses…
J’ai gagné beaucoup d’argent mais aujourd’hui je n’ai même pas une maison. Tout ce que j’ai gagné, je l’ai aussitôt dépensé. Tout est parti dans l’art soit pour le matériel, soit pour la survie ou la vie.
Je ne suis pas sûr qu’il y ait au Cameroun deux artistes qui ont vendu autant d’œuvres que moi. Je peux même dire que j’ai la chance de vendre pratiquement tout ce que je  » trace « . En 1987, j’ai gagné quatre millions de francs CFA pour les travaux de décorations de l’université de Dschang. Rien qu’en 2005 par exemple, j’ai vendu au moins cent œuvres, mais où est parti tout cet argent ? Moi aussi je me pose la question.
Il faut savoir que l’argent n’a pas grand importance à mes yeux. Si je m’étais vraiment intéressé à l’argent, il y a longtemps que je serais peut-être mort. Le confort m’aurait peut-être poussé à abandonner la peinture.
Les unions désunies
Trois mariages, trois échecs. J’ai de mauvais rapports avec les femmes. Le seul souvenir de ces trois unions ce sont des enfants, bien que  » confisqués  » par leurs mères. Je n’ai jamais voulu me marier, mais j’y ai été poussé par la pression de la famille.
Ma meilleure réalisation ce sont mes enfants. Ma deuxième femme m’a même donné des jumeaux. La vie de couple et de père a influencé mon art dans la mesure où elle m’a incité à ne plus peindre à comme un naïf.
Suite à un accident de la circulation en 1997, j’ai été hospitalisé pendant de longs mois, les pieds dans le plâtre. C’est grâce à la compassion et à l’amour de ma petite fille qui me suppliait de marcher que j’ai repris force. Comment oublier un tel moment ?
Le plus bel hommage
Jusqu’ici, ce sont mes quarante années de peinture. De nombreuses institutions culturelles se sont mobilisées pour un seul nom. Le centre culturel français de Douala qui a accueilli des rencontres et édité deux livres surmoi ; la Galerie Keuko avec l’exposition KOKO & CO ; BC arts qui a inauguré une salle de classe en mon nom ; l’espace Doual’art qui a accueilli une exposition de quelques-unes des œuvres produites durant mes quarante années de peinture.
C’est bien la première fois au Cameroun qu’une monographie est consacrée à un artiste de son vivant ! Même s’il a fallu attendre quarante ans, c’est le plus grand hommage que j’aie reçu à ce jour. Je remercie Nadia Derrar, directrice du Centre culturel français de Douala qui a mis en place les moyens nécessaires et mobilisé les énergies pour que l’histoire ne mente pas et je salue Lionel Manga, Hervé Yamguen, Jules Wokam, Alioum Moussa, Goddy Leye, Hervé Youmbi, Jean Emati, des artistes auxquels j’exprime tous mes remerciements
Les regrets
Le premier regret après quarante années de peinture, c’est d’en être encore à chercher qui sont les miens dans la corporation des artistes.
Autre regret : je n’ai pas encore le cadre professionnel et familial idéal, pour mon épanouissement. Un cadre qui me permettrait de donner la pleine mesure de mon talent, d’exprimer toutes mes facultés.
Sur un plan plus personnel, je regrette de n’avoir pas encore donné à ma mère ce qu’elle attend de moi, son fils unique.

(1) édité par le Centre culturel français Blaise Cendrars de Douala///Article N° : 4547

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Les images de l'article
Tableau de Koko Komégné © (collection privée) Photo de Nicolas Eyidi / Freedom images Remarque : message transféré en pièce jointe.
Sculpture de Koko Komégné © (Collection privée) Photo de Nicolas Eyidi / Freedom images
Koko Komégné (en lunettes noires) en compagnie du plasticien Mboko Lagriffe, durant Barbecuexpo 2006. © Photo de Nicolas Eyidi/Freedom images





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