Nouvelle étape dans la réflexion francophone organisée par le bureau de liaison de l’espace francophone et soutenue par la Sodec et l’Agence intergouvernementale de la francophonie. La première étape avait été la table-ronde sur la circulation des images au festival de Namur de novembre 2002 (cf notre compte-rendu sur le site). Il s’agit ici de réfléchir à une meilleure synergie entre les différents mécanismes de soutien financier nationaux et internationaux.
Autour de deux exemples de coproduction concrets que sont les films Madame Brouette de Moussa Sene Absa (Sénégal) et Pentelleria, la fille du vent de Mahmoud Ben Mahmoud (Tunisie), sont ici réunis à la tribune animée par Michèle Jacobs : Hassan Daldoul (producteur tunisien), Benoît Lamy (réalisateur et producteur belge), Mahmoud Ben Mahmoud (réalisateur tunisien), Christian Verbert (président du bureau de liaison de l’espace francophone), Henry Ingberg (secrétaire général du Ministère de la Communauté française de Belgique), Moussa Sene Absa (réalisateur sénégalais), Roch Demers (société québecoise La Fête, productrice de Madame Brouette de Moussa Sene Absa), Claude Gilaizeau (producteur, les Films de la Lanterne, Paris).
Un guide intitulé » Trait d’union : à l’usage des coproducteurs francophones » faisant l’état de toutes les aides publiques en vigueur dans les différents pays et des accords de coproduction inter-Etats a été édité par le Bureau de liaison du cinéma de l’espace francophone, avec le soutien de la Communauté française de Belgique et de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie.
Après une courte introduction par Christian Verbert :
Après le colloque de Namur sur la circulation des images francophones, c’est ici vune nouvelle étape avec la présentation d’un guide à l’usage des coproducteurs francophones. Nous constatons que nous avons des problèmes de juxtaposition des différents accords de coproduction qui sont le plus souvent trilatéraux voire davantage.
Les textes sont en principe facilitateurs. La pratique montre qu’il y a des contradictions, des blocages voire des abandons de partenariats devant les difficultés techniques qui s’accumulent. Il nous faut faire le bilan des ouvertures et des difficultés et faire en sorte que les textes rejoignent leurs objectifs : faciliter la coproduction, réduire les disparités et faciliter l’information des professionnels. Un monitoring permanent des systèmes en vigueur est nécessaire pour vérifier leur efficacité au vu de leurs objectifs. Par ailleurs, TV5 devient le partenaire le plus important comme diffuseur mais aussi comme coproducteur.
Le contexte financier : l’augmentation des crédits publics disponibles serait idéal mais tel n’est pas le cas. Les responsables des institutions nationales doivent constamment rechercher les moyens d’améliorer les mécanismes existants en jouant avec des enveloppes restant en général fixes. C’est le défi actuel pour notre réflexion. La préoccupation est l’ouverture internationale.
La prochaine étape sera au festival du film francophone de Namur où seront formulées des propositions.
Tout a commencé par une rencontre au Fespaco avec Moussa Sene Absa et la vision de Tableau Ferraille. Nous nous sommes activés pour qu’un accord de coproduction lie le Canada et le Sénégal. L’accueil a été enthousiaste de la part des différents intervenants au Canada. Il a fallu le délai normal de 3 à 5 ans pour monter le projet, c’était un peu plus complexe car le nombre de partenaires était plus important. Le travail s’est très bien déroulé aussi avec l’équipe sénégalaise, ce qui montre que ce type de collaborations sont possibles.
Si nous arrivions aujourd’hui avec ce projet, ce ne serait plus possible. Téléfilms Canada ont complètement modifié leur approche, alors que la Sodec conserve sa vue.
Faire un film, c’est une volonté. Je regrette le peu d’Africains dans la salle : nous avons besoin d’eux, ils ont besoin de nous. Depuis La Vie est belle, je reçois beaucoup de scénarios qui cherchent à plaire à un public extérieur. Problème
L’appel au Sud est important, comme l’est l’appel au Nord. Nous avons la force de la francophonie, de vouloir s’imposer avec notre âme et nos envies, pour donner au monde une autre vision de la vie. J’ai tourné en français car je suis un francophone et n’ai aucun complexe à l’être. Mon parcours est atypique : j’aime tout ce qui me rapproche de Dieu, la création nous en rapproche. L’art doit nous aider à partager le bonheur. Madame Brouette est une belle histoire car deux personnes ont cru à cette histoire qui était un coup de gueule. Le fait que Roch Demers se soit tellement engagé pour que l’accord de coproduction existe entre le Sénégal et le Canada m’a donné beaucoup d’énergie. Il a été la lame de fond qui est plus efficace que les vagues. Le monde manque de visionnaires qui nous ouvrent l’avenir. Je me suis retrouvé chez moi avec des Africains, des Français et des Québecois à travailler ensemble. Quand on est minoritaires, la force est de se donner la main et d’avancer ensemble. Notre chance est notre spécificité : si on l’oublie, Oncle Sam va nous envahir. Je ne veux pas être bouffé par Bush et Hollywood. J’ai tant à donner, qui sort de mon ventre. Ce qui nous rapproche est » cette envie de vie commune » (Senghor). Cette expérience m’a aidé à le comprendre.
Madame Brouette a été ma première coproduction avec le Canada. L’entente a été parfaite, notamment sur le traitement du film et la façon de le financer. Les rapports humains sont importants et ce n’est pas toujours le cas que cela se passe aussi bien ! L’expérience de travail avec Moussa Sene facilitait aussi les choses. Ce n’est pourtant pas aussi simple que ça : cela prend énormément de temps pour convaincre tous les partenaires dans les différents pays : environ trois ans pour arriver à boucler le budget. Toutes les institutions n’ont pas la même souplesse et il faut coordonner toutes ces exigences. Téléfilms Canada a imposé la présence d’un garant de bonne fin qui alourdit le budget. Les méthodes de travail ne sont pas les mêmes entre les trois pays, avec des différences de rigueur.
La répartition des recettes part d’un pot commun pour une redistribution équitable. Il est très important qu’aucun des partenaires n’ait une volonté d’hégémonie.
Le traité existant, d’autres réalisateurs approchent des producteurs canadiens : cela élargit le champ du cinéma africain. Le Canada a d’excellents techniciens et des infrastructures. Mon expérience m’a permis de comprendre qu’une brèche est ouverte.
(qui prépare Panteleria, la fille du vent, production tuniso-belgo-française)
Les frères Dardenne sont majoritaires dans le film et cela me décharge de m’impliquer trop dans la production. Hassan Daldoul était aussi producteur de La Promesse : cette synergie continue. J’ai cependant observé des dysfonctionnement entre les guichets qui peuvent avoir des répercussions sur les projets. La question de la langue : mon premier film, Traversée, je l’ai tourné en anglais. J’ai tourné le second en arabe et en italien. Les Siestes grenadines est en arabe avec des incursions en français. Celui que je prépare se déroule en grande partie en Italie. Le problème est la recevabilité du côté de la France, ce qui ne se pose pas en Belgique, pays multilingue. En France, nous sommes pratiquement exclus de l’avance sur recettes si on en tourne pas en français, ou bien on entre dans un jeu de pourcentages. On nous dit : rabattez-vous sur le Fonds Sud. Je découvre avec ce film (et je parle toujours en tant qu’auteur) qu’en tournant en Italie, le Fonds Sud n’est pas accessible, à moins que le film ne soit tourné en Tunisie (pas en Belgique où j’habite !). Un pourcentage de scènes à tourner au Sud a été défini qui nous obligeait à une gymnastique contraignante pour déplacer des scènes prévues en Italie vers la Tunisie. Il fallait ramener à grands frais du décor italien en Tunisie
On a peur qu’à l’arrivée, on ne puisse pas se conformer à ce que l’on a produit : les autres intervenants ne sont pas dans ces considérations (chaîne coproductrice par exemple). On est donc au cur de ces contradictions : on me demande en tant qu’auteur de modifier le scénario en fonction du guichet auquel on s’adresse. Nous sommes condamnés à ce type d’exercice. Aujourd’hui, être produit par les Dardenne me fait changer de catégorie : je ne suis plus en principe un film pauvre, difficile à boucler. Le producteur tunisien de son côté essaye de boucler sa participation et ne se retrouve pas dans la même catégorie de production. On se trouve pris entre deux catégories. C’est un véritable dysfonctionnement entre les guichets réservés aux cinémas francophones : je suis souvent sollicité pour retoucher le texte afin de cadrer avec des législations.
Vera Belmont coproductrice française sur La Vie est belle a refusé les fonds de partenaires qui s’étaient montrés racistes : je lui tire mon chapeau. Les projets passent souvent sous la table s’il n’y a que des Noirs.
J’ai rencontré aussi le problème où on me demande en aparté pourquoi il n’y a pas de rôle blanc. Et c’est vrai que c’était plus facile pour Le Grand Blanc de Lambaréné. Pour Le Silence de la forêt, c’est une coproduction Sud-Sud mais qui reste difficile : le gouvernement centrafricain s’engage mais saute et le suivant ne respecte pas l’accord
Si Charles Mensah saute au Gabon, le soutien continuera-t-il ? Nous sommes confrontés à ce type de problèmes. Des gouvernements se foutent tellement du cinéma qu’il est très difficile de leur faire signer un accord de coproduction avec le Canada ! Avec ce pays, les frais de transport changent : il ne faut pas que l’apport supplémentaire mange le budget apporté. Le Fonds Sud oblige à dépenser l’argent en Europe : les coûts de laboratoire sont tels qu’il vaut peut-être mieux travailler avec les labos marocains. C’est une histoire de machine à calculer. Le bonus est à vérifier ! Nous sommes maintenant des producteurs au Sud qui sont capables d’aller directement voir les guichets : nous n’avons plus besoin des producteurs du Nord. Un système de bonus peut-il être prévu qui facilite la production au Sud ?
Tu me tue en parlant de boîte postale : essaye de trouver des partenaires. On arrive à une image géographique terrifiante où la coproduction entre le Sud et le Nord est une affaire de boîte postale !
Le Fonds Sud oblige à avoir un producteur au Nord : rien contre un vrai partenaire, mais si c’est une question d’obligation, autant avoir ma propre adresse.
(fonds francophone Wallimages)
Dans le Nord, les aides sont conditionnées à une dépense chez nous, idem en Wallonie. Cela n’arrange pas les coproductions. C’est également difficile pour des coproductions entre pays du Nord. Il arrive que les francophones soient aussi des bandits : comment éviter l’hégémonie ? Par ailleurs, les Wallons font eux aussi des boites aux lettres en France !
J’ai une structure MSA productions à Dakar avec un gérant, des assistants de production et des stagiaires. Quand je reçois de l’argent, c’est ma société qui s’en occupe. Les bénéfices sont au prorata des apports des partenaires. J’ai envie de me confronter aux autres. Dans le cas de Madame Brouette, nous avions à Montréal des journées de montage ensemble. Dans le cinéma, on a besoin de partenaires qui ont un il, une oreille à partager. Je n’ai pas besoin de boite postale à Paris !
(réalisateur et producteur)
Pour moi, le problème réside dans une fermeture d’esprit des instances de décision au Nord comme au Sud. L’Union européenne est une nébuleuse qui me paraît encore obscure, non pas pour monter un dossier mais pour le reste. Cette fermeture me semble au détriment de la matière même des cinémas du Sud.
Je comprends très bien le problème des boîtes à lettres. Le lien avec la question de l’hégémonie me semble évident.
Un autre aspect de la coproduction : quand un film est terminé, la moitié du travail est fait. Pour faire exister le film, cela prend autant de créativité, de talent, de temps, et de l’argent. On oublie souvent cette deuxième moitié. J’aimerais que cette dimension soit prise en compte. Quand je suis allé présenter Madame Brouette à Montréal à un distributeur que je pensais ouvert à ce type de film, il m’a répondu : » Les films de nègres, ça n’intéresse personne « .
Les fonds ne nous permettent d’accepter que 25 % des projets présentés. Quand le Québec est minoritaire, nous regardons moins le contenu car nous ne pouvons imposer notre vue. Des coproductions n’ont pu se monter car les critères étaient différents dans les autres pays. Bienvenue au Québec en tout cas.
Il y a quatre films soutenus par nous à Cannes mais un seul d’un réalisateur belge. La souplesse et largesse d’examen des dossiers est de mise : un accord de coproduction avec le pays n’est pas nécessaire, seules les règles de coproduction sont à respecter, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’autre sens. C’est souvent le langage administratif qui bloque les coproductions.
La Francophonie est une famille politique (convention de 1970), qui reconnaît la diversité culturelle et le dialogue des cultures. La majorité des pays francophones est dans le Sud, la démographie aussi mais la francophonie est souvent au Nord. Le Fonds francophone est un fonds de soutien à la production audiovisuelle du Sud, car c’est encore plus difficile de faire un film au Sud qu’au Nord. Nous visons à soutenir l’émergence d’une véritable industrie audiovisuelle au Sud. On retient environ le quart des projets, comme au Québec ! On est fortement centrés sur l’aspect artistique. Mais on veut que l’argent rééquilibre la part du Sud dans la coproduction.
Ce qu’on essaye de faire à travers les réunions comme celle-ci est de savoir s’il y a un fait cinéma francophone. On considère qu’il y a un fait télévisuel francophone et qu’il était important de tisser des liens de coopération. Le fait de s’organiser sera-t-il un renforcement de chacun ?
Dans beaucoup de pays africains, la culture a été considérée comme un secteur non-productif. C’est en train de doucement changer. Dans le cas du Sénégal, on commence à penser qu’il faudrait aider les créateurs nationaux. Mon film a été inscrit dans le Programme indicatif national de l’Union européenne. L’existence d’un comité d’experts proposant des projets de qualité est un grand pas. Avant, il fallait être copain du ministre, ce qui ne m’arrangeait pas avec ma grande gueule. Le bureau d’assistance de l’UE, s’il permet de passer outre les barrages politiques, tant mieux !
Un sentiment de suspicion plane sur les films comme s’il s’agissait de films produits pour le Nord. Nous sommes confrontés à des films qui marchent bien au Nord et qui sont très mal reçus au Sud. Chacun a ses propres casseroles, mais il y a là un bémol. Nous sommes interpellés par le public et la critique sur le fait de savoir si nous ne répondons pas aux critères des producteurs du Nord. Il est temps de penser à rapprocher les regards et de s’interroger pour savoir ce qui cloche. C’est valable aussi du cinéma iranien qui ne plaît qu’à un public extérieur.
(Coproducteur tunisien sur le film de Mahmoud Ben Mahmoud)
J’ai coproduit presqu’une trentaine de films. J’ai toujours été derrière le cinéma d’auteur ou le cinéma d’une culture minoritaire. Il est vrai que nous avons pu en Tunisie créer un sens important de solidarité entre notre pays et d’autres comme la France, la Belgique, le Maroc, l’Algérie pour créer des relations permettant de trouver des financement et conjuguer des efforts. Notre difficulté est que notre cinéma n’a pas de marché : il perd celui qu’il avait au Nord et les salles de cinéma se raréfient au Sud. A part quelques expériences de solidarité entre pays maghrébins, le marché arabe n’existe pas : l’Egypte est complètement fermée.
Dans Les Siestes grenadines, la jeune fille tunisienne n’est pas la jeune fille arabe battue, violentée etc : nous avons eu d’énormes difficultés à trouver le financement au Nord car cela ne correspondait pas à leur vision. Ce quiproquo est permanent : nous faisons des films très difficiles à financer mais ils sont nécessaires car c’est la seule mémoire que nous proposerons à nos enfants alors que nos responsables politiques confisquent les autres créations.
La question d’un outil juridique européen se pose-t-elle ? La francophonie a-t-elle un rôle à jouer ? La réflexion continue à Namur en novembre.
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