On connaît le travail remarquable qu’accomplit l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (achac) depuis 20 ans. De l’histoire de la colonisation française à celle de l’immigration des Suds en France en passant par le dévoilement des zoos humains, on lui doit l’émergence de multiples sujets dans le débat public. Son dernier ouvrage, La France noire. Trois siècles de présences, vient de paraître avec plus de sept cents documents issus de fonds d’archives. Rencontre avec le président de l’achac et directeur de cette publication : l’historien Pascal Blanchard.
Sur les traces de l’ouvrage incontournable du sociologue britannique Paul Gilroy Black Britain (2007), La France noire se profile déjà comme un ouvrage anthologique, racontant cette histoire trop méconnue des Noirs de France, depuis les affranchis du code noir de 1685 jusqu’à nos jours. « Il y a 20 ans, on nous aurait traités de communautaristes. Mais cette histoire n’est pas juste « noire » : Joséphine Baker appartient au patrimoine national comme Charles Trenet. Les GI noirs de la première guerre mondiale appartiennent à la France comme à l’Amérique, et au jazz aussi. Nos histoires sont partagées », explique Pascal Blanchard, historien à la tête de l’ACHAC, auteur de nombreux ouvrages et coauteur de documentaires.
Pour la jeune génération, l’histoire des parents et du cheminement migratoire ne suffit plus. Il lui faut se situer dans l’histoire nationale : que s’est-il passé ici, sur ce sol ? « On ne l’apprend pas à l’école, ni à la télé, nos inconscients collectifs ne l’ont pas digérée. Pourtant, c’est l’une des plus anciennes immigrations, avec ses moments charnières, ses expulsions : Napoléon a beaucoup plus expulsé qu’Hortefeux ! En 1905, L’Invasion noire du Capitaine Danrit était un best-seller. C’est une histoire de Maghrébins musulmans armant des hordes noires pour envahir Paris. Rien n’a changé. Nous sommes toujours dans les mêmes imaginaires, les mêmes peurs », poursuit Pascal Blanchard. C’est aussi cela que raconte ce livre. Il nous permet de comprendre un peu mieux le regard porté aujourd’hui sur les Noirs en France, cet héritage qui se cristallise dans des débats comme celui sur l’intégration, sur l’immigration ou sur l’identité nationale. « Pour fabriquer une société, il faut construire non pas de l’identité nationale, mais de la passion commune. Du vivre ensemble. Pour cela, il faut comprendre ce qu’on fait là ensemble. Les Noirs n’ont pas débarqué de la lune, ils ont une histoire. Celle de l’esclavage, de la colonisation. Il faut expliquer pourquoi c’est important dans les mémoires présentes », martèle l’historien.
À qui ce livre est-il destiné ? La question fait sourire le directeur de l’ouvrage : « Un jeune d’un couple métis offrira le livre à sa belle-mère pour Noël. Un jeune de la 3e génération guadeloupéenne en métropole découvrira l’histoire de la biguine en France. Un passionné de photo trouvera de magnifiques clichés du Paris noir de Brassaï. Certains découvriront l’ambiguïté totale de l’histoire des zoos humains, qui inspira à Picasso ses demoiselles d’Avignon. D’autres comprendront la permanence du combat des Noirs de France. Toute une génération politique, de droite comme de gauche, qui a beaucoup de mal car elle ne comprend pas cette question de la diversité pourra découvrir l’histoire de cette France pluriculturelle ».
Une diversité qui est toujours extrêmement sous-représentée politiquement. Georges Pau-Langevin, député PS du XXe arrondissement de Paris, est encore aujourd’hui la seule députée originaire d’outre-mer élue en Métropole. Pascal Blanchard rappelle : « En 1904, le vice-président de l’Assemblée nationale était un élu noir de Guadeloupe. En 1952, il y avait 46 élus africains et antillais au Parlement. En 1959, le président du Sénat était noir ! La France était certainement le pays le plus avancé sur la question de la diversité au début du XXe siècle. Nous sommes en train de régresser ».
Pour raconter cette histoire longue de trois siècles, Pascal Blanchard ne s’est pas limité au livre. Un film documentaire sera bientôt diffusé sur France Télévisions, avec une quarantaine de témoignages. Et pour toucher aussi les enfants, une exposition traversera la France pendant six mois, dans les écoles et les médiathèques, relayée par des personnalités locales et nationales. À suivre donc
Journée exceptionnelle le 9 décembre au Rocher de Palmer, à Cenon, pour clore les Apéritifs d’Origines Contrôlées (AOC). Coorganisé par MC2a, cet événement propose une série de manifestations sur le thème « Noirs d’Aquitaine/Noirs de France » de 17 heures à 2 heures du matin.
Cela commence par une rencontre-débat « Être Noir dans la France de 2012 », animée par Pascal Banchard avec, entre autres, Rokhaya Diallo et Souleymane Diamanka. Puis place à la Nuit noire avec démonstration de lutte sénégalaise, nuit du court-métrage, concerts et le fameux Bal de l’Afrique enchantée. L’entrée est libre et l’on peut se restaurer sur place. À noter également, l’exposition « Vues du Ring » dans le cadre d’une carte blanche à MC2a, toujours au Rocher de Palmer, du 1er au 17 décembre. On pourra y admirer des uvres de Bruce Clarke, Diagne Chanel et Jean Lascoumes. Que du bon !
La France Noire se décline aussi en une grande série documentaire qui nous plonge en trois volets dans l’histoire des Noirs de France : depuis la fin du XIXe siècle à nos jours. Trois heures d’archives inédites et de témoignages avec Lilian Thuram, Christiane Taubira, Manu Dibango, Elikia M’Bokolo, Claudy Siar, Rokhaya Diallo, Alain Mabanckou, Pap Ndiaye, Pascal Légitimus, Françoise Vergès
Les témoins et les passeurs de cette mémoire indispensable. Ce film de Pascal Blanchard et Juan Gélas, produit par la Compagnie des Phares et Balises, sera prochainement diffusé sur France 5 et disponible en DVD courant janvier.
Article également paru sur Afriscope, lundi 14 novembre 2011///Article N° : 10489