Les 700 places de la salle dévolue au théâtre au Palais de la Culture d’Abidjan ne se remplissaient que rarement pourtant, il y avait de quoi remplir son panier en ce Masa 2001.
Laissons de côté le présentateur catastrophe au micro qui pensait bien faire en présentant des pièces plutôt graves avec un humour style radio du dimanche matin et continuait alors même que les comédiens étaient déjà sur scène
Insistons par contre sur le problème d’éclairages peu maîtrisés qui assombrissaient par exemple durant toute la durée du spectacle les marionnettes multicolores de la Compagnie Danaye d’une lumière orangée inchangée. Avec des délais trop courts pour permettre aux troupes de préparer la balance, les éclairages furent le parent pauvre de cette édition.
Les grands débats concernent bien sûr comme toujours la sélection où des spectacles ayant déjà tourné ou même carrément réchauffés voisinent avec de nouvelles créations. Sans compter les deux ou trois erreurs fatales qui viennent décrédibiliser l’ensemble. Mais évitons de colporter les bruits de couloir qui ne sont pas forcément vérité et insistons sur le progrès consistant à confier à un professionnel (Ambroise Mbia cette année, directeur des Rencontres Théâtrales du Cameroun, les RETIC) – comme pour la danse (Agnès Kreidy) et la musique (Manda Tchebwa) – la mission de coordonner la sélection en liaison avec des correspondants sur place, ce qui permet une plus grande cohérence. Jusqu’en 99, elle était confiée à des équipes diverses sans coordination envoyées à grands frais dans différents pays. Mais il reste difficile de garantir la qualité d’un spectacle au moment du processus de sélection, six mois avant la représentation, alors même que tout est encore à peaufiner
En l’absence de notre spécialiste Sylvie Chalaye, empêchée par ses obligations universitaires, nous avons confronté nos notes, Marie-Louise Mumbu Bibish et moi-même, que nous vous livrons ci-dessous sans prétentions aucune, accompagnées des interviews de quelques metteurs en scène.
En dehors de deux spectacles du « off », c’est la sélection officielle du Masa 2001 que nous vous présentons ici. Elle confirme la tendance notée en 99 d’une volonté d’aller à la rencontre de son public. Cela passe souvent par l’humour, la parodie et la dérision, certes, mais aussi par une conscience tragique des souffrances actuelles et de la nécessité d’un travail sur soi pour trouver les voies d’un renouveau africain. Même drôles et faisant rire la salle, les spectacles sont graves, tant ils sont pénétrés de réalité. La tension politique ressentie à Abidjan ne faisait bien sûr qu’accentuer cette perception.
Nous connaissions déjà le récit de Yolande Mukagasana, rescapée du génocide de 1994, qui prenait place elle-même place sur scène dans « Rwanda 94 » pour témoigner (cf compte-rendus complets dans Africultures 32 et 20). Cette adaptation est donc le récit d’un infirmier traqué par les génocidaires et dont toute la famille sera massacrée. Entrecoupé de chants et de danses, le témoignage est émouvant et terrible. « Vous avez dit démocratie : je m’en moque et je pisse dessus ! » car « Moi, je dis violence ! » Le terrain est posé : haine, violence et amour s’entremêlent dans « la calamité la plus intégrale depuis la colonisation ». Après le rejet des appels à l’aide par les organisations internationales, l’homme réunit sa famille et la prépare à l’idée de mourir. Car déjà, « la radio égrène les morts comme des résultats électoraux » et annonce un beau jour la nouvelle de sa propre mort. « Le génocide a commencé à diffuser son poison dans tout le corps : tous les organes sont atteints ».
C’est pourtant avec humour que le narrateur témoigne de l’horreur, au point que la salle rit et applaudit, s’identifiant parfaitement avec lui. Le décor est très simple : un pneu, deux petits tréteaux, un rideau rouge marqué d’un carré arrondi qui pourrait être le cadre d’une télévision. Car Ignace Alomo remplit l’espace scénique, criant, sautant, mimant tout son récit, impliquant la salle par l’émotion et le rire, développant remarquablement une impressionnante énergie dans une impeccable diction.
Ce macabre suspense (va-t-il aussi perdre ses enfants après avoir vu mourir sa femme ?) n’est ainsi pas un récit en retenue : il est un témoignage cru, sans analyse et sans jugement, concluant sur leur dernière phrase : « Si tu vois Papa, dis-lui que nous sommes tous morts. »
Un pauvre gardien d’usine raconte avec humour ses déboires de militant révolutionnaire. « Quand ils m’ont demandé d’être rouge, je ne savais pas s’il s’agissait de la couleur des vêtements ou de la couleur de la peau ». Il la choisira jusqu’à l’absurde, s’appliquant même à porter des slips rouges ! Le monologue est empreint de poésie, joue sur les mots avec bonheur, déclenche le rire, mobilise l’acteur qui s’anime en tous sens. Il n’occupera pourtant pas l’espace, tant son récit le préoccupe, ce qui confère à ce texte très fort un côté étonnamment statique. Placé à côté d’un tonneau dont il sortira mais n’utilisera plus comme instrument scénique, ne décollant pas de sa place, sous un éclairage constant. Pourtant, la vie le traverse, celle des mots, celle d’un corps qui les exprime, d’un regard fixé sur la salle. Ce dispositif minimaliste tend à servir le texte et seulement le texte, parfaitement dit, et d’une grande finesse. Et l’on comprend vite ce qu’ose ce choix de mise en scène et quel travail il suppose (Nicolas Bissi fut le cofondateur du Rocado Zulu avec Sony Labou Tansi).
« Pour gravir les chemins ardus de la rougeur, il faut savoir être incolore » : le militant tente de faire partie des « forces vives » de l’Etat révolutionnaire : « J’étais compétent, j’étais rouge, il ne me restait plus qu’à me faire remarquer ». Il y réussira, commettant bourde sur bourde ! Lançant par exemple comme slogan dans un meeting : « Jusqu’à la mort, le président ! » que la foule reprendra « A mort le président ! » Le public ravi applaudit cet humour ravageur, parodique. Car c’est bien la parodie que manie ce texte magnifique, réflexion sans concessions sur une idéologie sans issue.
Déception malgré l’intérêt du texte de Mouketa. Créé en 1990 par Alougbine Dine, primé et ovationné dans différents festivals, le spectacle a largement perdu en qualité : diction approximative, textes ânonnés, répliques déplacées par rapport aux gestes
Le metteur en scène exprime dans notre entretien son étonnement de retrouver au Masa ce spectacle toujours signé de sa mise en scène et qu’il n’a pu revoir que deux jours avant la manifestation.
L’expérience est bien sûr difficile, avec ce texte méditation que Dine avait choisi pour faire rupture avec les écritures habituelles du théâtre africain. Les mots s’alignent en un brain storming permanent, traçant l’évolution de la pensée. Evocations, réactions du langage débouchant sur des affirmations, des slogans, des questions en tous sens
Restent les traces d’une mise scène qui tentait d’accompagner par un ballet corporel le ballet des mots.
Un artiste sur son lit de mort. « Mort, n’y a-t-il rien à faire pour préserver ma pauvre vie ? » Une alliance est envisagée, et la négociation de l’éternité ne va pas sans un certain humour, tant une connivence s’inscrit entre les deux personnages. Mais pour continuer à vivre, l’artiste devrait transmettre le sida au plus grand nombre
Il lui faudra donc accepter la mort. Le duo nous entraîne ainsi dans une réflexion sur la vie dont les fines évocations font réagir les spectateurs. Une mise en scène soignée bien qu’un peu conventionnelle accompagne un texte plein d’humour gommant quelque peu la dualité un peu systématique qu’il instaure.
Deux clochards à moitié saouls discutent et s’affrontent à propos de la mort de Yasmina, provoquée par un geste fatal : celui de l’un des deux, le père. Fable sur la révolte et la folie que peut provoquer le ventre creux, le texte d’Ahmed Benaissa se pose comme une allégorie actuelle de l’Algérie.
Mais l’Algérie se sentirait-elle représentée par ce texte larmoyant joué sans grande mise en scène par un duo terriblement statique et monotone ? Catapulté par le CCF d’Alger, ce spectacle repose la question de programmations « sous commande » au Masa, ou du moins du manque d’exploration organisée dans certains pays.
Deux prisonniers : le 707 A et le 707 B ! L’un est condamné à mort, l’autre à perpétuité. L’un est résigné à mourir, l’autre persuadé qu’il faut l’aider à mourir et va s’y employer durant toute la pièce, avec une détermination et un humour qui nous accrochent au siège. L’un, le condamné à mort, a tué. Il finira par dire comment. L’autre, le perpétuité, est là pour ses idées. La cellule de 4 m2 devient métaphore des relations internationales, l’exiguïté et la rareté de l’air servant de base à des considérations sur la gestion de la couche d’ozone
« Le prochain est celui qui est le plus proche de toi : je suis ton prochain ! » Le perpétuité parle bien, il a été idéologue, mais l’autre lui révèle qu’il a appris la marseillaise en croyant apprendre l’internationale ! Ils jouent avec les mots et les situations avec un grand bonheur, en un bal excellemment réglé et interprété.
Pour soutenir le condamné à mort, le perpétuité joue le professeur, l’autre accepte le rôle de l’élève. Il en apprendra beaucoup, belle affaire, sur la liberté : « le geôlier n’est pas libre : il est à perpétuité avec moi, puisque je suis là ! » On pense au Petit prince de St Exupéry à qui la rose apprend tant de choses. On a la même finesse, mais l’humour en plus, un humour ravageur, un humour tragique car le perpétuité indique au condamné qu’il a le droit de choisir comment il sera exécuté : pendaison, peloton d’exécution, chaise électrique, guillotine
Les quatre éventualités sont analysées en détail, à chaque fois avec toutes les connotations possibles (la guillotine comme instrument francophone
).
Vient la religion : on assiste à une mise en scène de cirque ou Monsieur Loyal demande à l’Auguste de répéter les gestes. Comme au cirque, on comprend ce que demande M. Loyal mais on est du côté de l’Auguste qui nous fait rire car il fait tout de travers. Le jeu du cur et de la raison : on a la raison mais on est du côté du cur. Belle allégorie des politiques de coopération et du rapport Nord-Sud !
Ce duo réussi à tous points de vue nous emmène sur leurs 4 m2 dans un très beau voyage : au théâtre de la vie.
« Devant moi, l’assemblée des hommes et des femmes, en face de vous les griots musiciens, à ma droite les griots parleurs, à ma gauche les griots répondeurs » : une nombreuse troupe crie et gesticule en tous sens, elle va nous raconter sur ce mode bouffon une histoire terrible, l’irrésistible ascension d’une dictature. On se croirait chez Jérôme Savary et son Grand Magic Circus : le spectacle est une fête, les spectateurs participent, les narrateurs expliquent les situations tandis que les autres la jouent, les accessoires sont nombreux, la musique omniprésente, les chants et les danses émaillent le texte, la parodie est la règle, l’effet dramatique permanent.
Défileront les différents personnages qui font le dictateur : la mère, le marabout, l’homme de communication autant de fous autour du roi qui profitent de son ascension tant que celui-ci reste leur « homme de destin ». L’histoire des Paléos se confond à celle de l’Afrique depuis les Indépendances. De Gaulle, Sekou Touré, Mitterrand sont de la partie puis la série d’attentats, et les autres dictateurs, l’homme au totem caïman, l’homme au totem hyène, l’homme au totem léopard
chacun reconnaît très vite de qui l’on parle et la connivence s’installe entre la scène et le public. « Si quelqu’un t’a mordu, il t’a rappelé qu’il a des dents ! » Les jeux de pouvoir sont tellement bien démontés que l’on sent bien que ce sont effectivement les bêtes sauvages qui sortent de la forêt pour voter à la place des hommes qui refusent de réélire le dictateur dans le grand jeu démocratique internationale
Portrait craché de l’histoire d’Eyadema, la pièce fut interdite de représentation au Togo. Mais dans les autres pays, une ovation l’accompagne : le théâtre sait se faire bouffon du roi pour lui dire ses vérités en face, pour le plus grand plaisir de l’assistance.
A l’initiative de l’Ymako teatri qui habite dans le quartier, des séances de théâtre de rue sont régulièrement organisées au village Blokos, en plein air, dans un espace libre entre les cases miséreuses, avec l’autorisation du chef du village. Le public grouille en cercle autour du spectacle, les enfants se marchant dessus en tous sens, tandis qu’avec un éclairage de fortune, la troupe de 12 comédiens arrive en dansant à grands cris et prend possession du centre : « Tous les étrangers viennent chercher richesse et liberté » à Libreville, ville moderne et paradisiaque ! Les Abidjanais ne peuvent que s’identifier ! Surtout quand les acteurs précisent que la ville a deux paysages et deux visages, martelant tous ensemble en leitmotiv « une répétition de maisons en contreplaqués, en planches et en tôles » : les quartiers populaires, les matitis.
Quand une maison s’enflamme, c’est tout le matiti qui part en cendres
Le décor est posé. Et pourtant, c’est sans aucun décor que les comédiens donnent à sentir l’ambiance de ces matitis de toutes les ethnies : lutte, travail des femmes, violence et passions. Les femmes recherchent un mari sérieux, les hommes leur répondent, le tyranisme est conspué, la recherche d’emploi objet de sketchs hilarants. Les personnages défilent, qui dressent un tableau vivant et coloré des matitis. Du grand spectacle, sans cesse émaillé de chants et de danses, dans la chaude nuit africaine, sous l’il éberlué des habitants du village Blokos réuni.
Une erreur de programmation. Orphée devenu poète solitaire après la mort de sa femme recherche Euridice aux enfers. Le texte est très pauvre. De très longs moments de silence où l’acteur terrassé par le malheur mime ce qu’il ressent dégagent une pesanteur dont l’absence de mise en scène et de direction d’acteur font une redoutable épreuve. L’espace de méditation que semble vouloir dégager la pièce devient alors une descente aux enfers pour le spectateur.
« L’angoisse est devenue un panneau publicitaire » : l’ambiance est dure. Des barbelés déclencheurs d’alarme traversent la scène, qui séparent le forts et les faibles un ordre qui ne vient pas de la nature mais de la médiocratie. Pourtant, l’humour gagne ses droits à travers ce personnage qui a du mal à joindre les deux bouts et se trouvera confronté aux enfants, anciens ou nouveaux qui arrivent dans sa vie, et qu’il faudra nourrir. Car derrière le rire (« tu es enceinte ? Je te l’interdis ! ») se profile la difficulté de vivre, un tragique que l’on retrouve dans toutes les pièces émanant de RDC (qui sombrent souvent dans le pathétisme), à l’image d’un pays en proie aux démons de la dictature et de la guerre. « Aurions-nous la peste ? » Effectivement, les nouvelles ne sont pas bonnes ! « Dans mon dos, les morts inutiles ; devant moi, les chemins de l’impasse. »
Ces personnages qui tentent de vivre n’échappent pas au contexte socio-politique malgré leur volonté d’être utiles : « Le passé est flou et l’instant instable ». Un garde-frontière, sorte de cowboy pantin qui s’anime soudain derrière ses barbelés au moindre bruit, est là pour rappeler l’enfermement qui mène à la folie : « Les places publiques sont devenues des places fortes ». Mais c’est dans la tête que se situe la barrière et ce n’est que lorsque le personnage central en prend fatalement conscience que « les rapaces qui tournent autour de nos têtes ne nous font plus peur ».
Alliant comédie de murs impliquant efficacement la salle et incantations politiques ou sociales, la pièce porte un regard sans concessions sur la société congolaise. Un constat pessimiste dont la pesanteur demanderait d’être équilibrée par une grande énergie de jeu et une fluidité de mise en scène. Il est alors dommage de voir de grands acteurs comme Jean Shaka aussi peu mobiles, laissant le texte prendre le dessus sur la vie du corps.
Dans une gare parsemée de déchets, un homme et une femme sont poursuivis par les moustiques. « »C’est ici la gare ? Oui, mais il n’y a pas de rails. Ça ne fait rien, c’est le train qui m’intéresse ». L’absurde décapant de l’écriture de Sassine s’impose en une immense poésie. « C’est une gare qui fait un train ou un train qui fait une gare ? » Car cette gare et les sept personnages qui s’y rencontrent vont retracer en de magnifiques descriptions où la langue joue sans cesse la parodie et le contrepoint l’Histoire de l’Afrique contemporaine.
Sans cesse menacés par les bruits de canon d’un conflit tout proche, ils décident de se raconter des histoires, des morceaux de vie : « Peut-être à la fin comprendrons-nous que nous sommes frères ». C’est donc l’Afrique en morceaux qu’ils nous content en une minutieuse introspection dont l’écriture parodique appelle la bouffonnerie du jeu.
Du théâtre à secousse, admirablement mis en scène, joué par des acteurs au meilleur de leur forme et qui trouvent avec ce texte de quoi exprimer leur talent, déjà révélé au Masa de 1999 : une continuité s’installe entre le travail d’observation et de mime de Moments privés et Visions de l’avenue Ponty (cf Africultures 18) et cette interprétation très physique d’un texte dérangeant. Pleurs, rires, cris, mimes et mimiques participent d’une mise en scène respectant l’hyperbole du langage et jouant sur sa dynamique. Et s’ils tanguent tous selon les aléas de l’Histoire et de la vie, c’est pour mieux illustrer cette écriture de soûlerie.
La fin ajoutée au texte inachevé de Sassine, mort beaucoup trop tôt, restaure une unité dont le corps de langage portait l’angoisse : en une belle trouvaille de mise en scène, les personnages en étoile joindront leurs mains pour chanter puis danser « Ayé Afrika, liberté ! » « La vie comme un grand livre doit se lire à l’envers, » signale encore l’albinos en qui se reflète Sassine le métis. C’est bien à l’inversion du regard, l’inversion du rapport entre les être comme entre les continents que convie ce texte parfaitement servi par les 7 Kouss pour une fois de plus reposer la question qui nous tiraille : « Quel nouveau saladier nous prépare l’avenir ? »
Des hommes habillés et masqués de sacs plastiques noirs envahissent la scène jonchée de détritus. Leur danse-plaidoyer contre les ordures se fait manifestation. Reste un homme qui ramasse peu à peu toutes les ordures en silence. Deux autres se disputent pour savoir s’il est fou ou non. « Je parle, donc j’existe ! dira l’un d’entre eux. J’ai le droit à la parole ». La pièce est effectivement très parlée, clamée même tant le jeu des acteurs est réduit à une exclamation permanente (qui finit par gêner). Tout est farce, invective, lutte, engueulade, poursuites dans une mise en scène survoltée qui ne manque pas de brio. Tous veulent renvoyer le fou chez lui. Lequel n’accepte aucune compromission ni corruption. De cette dualité bien manichéenne naît une tension représentative de la problématique africaine, les avantages et les inconvénients du nettoyage des ordures faisant apparaître les jeux d’intérêts. « L’essentiel n’est pas d’être le premier à la chasse mais de ramener du gibier » : un homme doit savoir changer d’idée quand c’est nécessaire. Et ça l’est pour appliquer le programme proposé alors que les hommes-sacs plastiques redéploient les ordures : leur industrialisation par autosuffisance.
Un appel à l’autonomie et la détermination dans un spectacle dynamique qui gagnerait au stade où nous l’avons vu à ménager des moments moins en force, des respirations.
Un sol jonché de feuilles mortes, un banc, un coq vivant et une cage : un homme errant dans une impasse à la recherche d’un remède au chômage se voit confronté à un balayeur qui pourrait bien être un ange-gardien
« Peu importe d’où je viens, l’important est où toi tu vas ! » Car ce balayeur a pour vocation d’apprendre à nettoyer. L’homme accepte sa proposition et tous deux se donnent pour mission de débarrasser l’impasse de ce qui l’empêche d’exister. Mais pour vivre cette aube nouvelle, il faudra se regarder en face : « Je te regarde dans les yeux et je me vois dans un miroir. Je vois un nègre errant
» Il faudra changer de combat, s’attaquer aux préjugés, aux idées reçues : un véritable examen de conscience.
Le texte de Pliya est difficile et très parlé ; il laisse peu d’air au metteur en scène et cela se sent ici. Pourtant, cette opposition entre Nicolas le rationaliste et ce balayeur maniant une dérangeante introspection ne manque pas de force : un sens à la vie se dégage, direction mais aussi sens moral, un message pour le temps présent.
(cf également la critique de Sylvie Chalaye sur la mise en scène qu’en avait fait Ruddy Sylaire dans Africultures 30).
Du fond de la salle arrive une troupe grimée dansante et drolatique : cinq acteurs convergeant vers les échafaudages disposés sur la scène ; chacun a le sien et s’y installe. Le mime et la farce dominent pour décrire la vie d’un chantier. Un femme arrive, qui distribue le repas. Elle rencontre un à un les personnages : un ouvrier s’anime, un absurde s’installe qui ouvre les espaces du désir : châteaux en Espagne, plans de carrière
Mais elle est déconsidérée par le contremaître qui, au lieu de lui payer ses arriérés, cherche dans ses poches et finit par en tirer son mouchoir. Elle fait grève d’approvisionnement. Les ouvriers conspirent pour le faire plier, révélant aussi leurs contradictions. Un texte corrosif, un jeu très café-théâtre, un peu gros, un peu longuet, un peu guignol mais plein d’humour
Ce théâtre fait penser aux vidéos de Jean-Miché Kankan, très appréciées au Cameroun un théâtre populaire bouffon en phase avec les problèmes quotidiens.
///Article N° : 1953