Comment se confronter à ses origines ? On voit émerger chaque année des dizaines de films sur le voyage retour où le/la réalisateur/trice retrouve avec émotion ou problèmes sa famille au pays natal. C’est en général assez ennuyeux, ces films peinant à sortir de leur singularité familiale. Mais si le sujet du film était justement de faire un film, ça s’anime, surtout sur un sujet aussi casse-cou que les apparitions de la Vierge Marie chez les Coptes en Égypte ! Voici donc un jeune réalisateur se cassant le nez sur ces apparitions miraculeuses mais insaisissables, trop sceptique pour suivre la croyance de ses interlocuteurs et se heurtant donc à un mur, au grand dam de son producteur qui le lâche en cours de route. Sa très possessive mère le remplacera et mobilisera tout le village natal pour recréer, au-delà du blasphème, purement et simplement une apparition. Et voilà que le film, déjà drôle par le recul du réalisateur sur son sujet et sa capacité de l’aborder, sans compter les galères pour le faire avancer, devient hilarant dans cette mobilisation d’un village pour faire du cinéma. Ce que les entretiens de l’enquête sur les apparitions ne pouvaient faire sentir, cette mise en scène va le manifester.
On pense aux comédies de Daoud Aoulad-Syad sur les attentes suscitées par le tournage d’un film au Maroc, En attendant Pasolini et La Mosquée, mais l’originalité du film de Namir Abdel Messeeh est de naviguer ludiquement sur le « je sais bien mais quand même » que décrivait Octavio Mannoni (puis Jean-Louis Comolli en l’adaptant au cinéma) pour évoquer la croyance en un fétiche ou un masque : on devine bien qu’il y a illusion mais on veut y croire. Puisque même en écarquillant les yeux, il n’y a pas moyen de voir la Vierge sur les vidéos (« vous la voyez, vous ? », sa mère oui mais pas Namir
), on va la mettre en scène ! Ce village qui se mobilise pour recréer ainsi avec costumes et poulie une apparition conforme aux images pieuses n’accepte de le faire que parce qu’il croit fondamentalement que cela existe. C’est parce qu’il ne peut forcer la Vierge à apparaître au bon moment qu’il prend le parti de répondre à cette demande de spectacle, mais il rejoue ainsi la symbolique de sa croyance qui soude sa communauté dans un pays où les rapports inter-religieux sont tendus, sujet évoqué en filigrane dans le film. Il se rejoue ainsi son contrat social à travers la manifestation d’une croyance.
C’est là que se loge et se légitime un rire sans mépris dans ce qui devient une sorte de making of : sans devoir se départir de leur crédulité, le réalisateur – autant que le spectateur emmené par son drolatique commentaire – voient ce village nous faire savoir que cette croyance structure leur être au monde. Il n’y a là aucune naïveté malgré l’imagerie convoquée, mais un choix délibéré puisque chacun pourrait dire « je sais bien ». C’est dans le « mais quand même » que réside la portée et la beauté de ce documentaire qui intervient finalement largement sur le réel pour mieux en faire connaître le tissu. Voici donc comment Namir Abdel Messeeh revient sur sa terre natale, mesure la distance qui s’est creusée mais aussi sa solidarité profonde avec ces villageois qu’il aurait été si sa mère n’avait pas émigré, et en profite pour nous proposer un très attrayant voyage en cinéma.
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