Un homme est retrouvé mort dans une voiture, pénis à l’air, capotes et ongles de femmes dispersés : son assassinat est grossièrement maquillé en drame sexuel. C’est ainsi que la police congolaise avait cherché à masquer l’élimination de Floribert Chebeya, courageux et historique militant des droits de l’homme qui dirigeait l’ONG La Voix des sans-voix. Sa mort a déclenché de vives réactions aussi bien en RDC qu’à l’étranger, un mois avant la commémoration de l’indépendance et alors qu’il s’apprêtait à déposer un dossier à la Cour pénale internationale contre le général Numbi, chef de la police, homme fort du régime et conseiller du président Kabila, sur son implication dans la répression brutale du mouvement Bundu dia Kongo dans le Bas-Congo avec le trop fameux bataillon Simba.
Thierry Michel, qui connaissait bien Chebeya, se rend à Kinshasa dès l’annonce de sa mort et y reviendra sept fois pour documenter l’enquête et le procès des accusés du crime qui durera huit mois. Il retrouve dans ce film cette approche journalistique qui fait sa pâte personnelle et assure le succès public de ses films : regard extérieur assumé mais caméra efficace, point de vue sans jugement mais qui s’articule dans les faits et ne fait guère de doute, respect des personnes filmées mais dont il met les contradictions en exergue, le tout dans une dramaturgie soigneusement construite, qui profite ici de la tension du procès et de l’attente du verdict. Une musique répétitive et plutôt pesante soutient cette dramatisation. Il joue de la théâtralité du procès, renforcée par un français imagé, pour en dénoncer les limites mais sans forcer le trait : ni caricature, ni mépris, et surtout pas la démobilisation d’un constat sans appel. Car au contraire, une certaine justice est à l’uvre : elle balaye la thèse policière et révèle les manipulations pour prononcer un verdict contraire à ce que demandaient les avocats de l’État. Le général Numbi, seulement cité comme témoin malgré l’acharnement des parties civiles, suspendu de ses fonctions mais sûr de son impunité, ne sera cependant pas inquiété, alors même que son ombre plane sur tout le procès. Quant aux familles de Chebeya et de son chauffeur disparu, elles sont condamnées à l’exil pour ne plus être menacées.
« Une tragicomédie », dit Thierry Michel, mais si, comme dans tous ses films en terre congolaise, le tragique et la farce sont bien présents dans ce pays qui peine à sortir de ses vieux démons, c’est plutôt un hommage à celui qui a lutté pour les faire évoluer qu’il nous livre. Grâce à ce film, Floribert Chebeya est encore présent. Michel n’en dresse pas le portrait, qui serait forcément complexe et contradictoire, et ne s’appesantit pas dans des panégyriques, mais le situe simplement dans la gloire de son engagement à hauts risques. C’est ainsi que face aux manipulations et menaces qui accompagnent ce procès, qui lui ont même fait perdre une partie de son équipe habituelle, Michel ne suit pas la voie des attaques rhétoriques à coups de massue des documentaires politiques dénonciateurs qui supposent de partager une croyance univoque et font du cinéma une croisade s’aventurant sur le terrain de la propagande. Il met cependant en place, par les choix de son montage et une caméra qui s’intéresse souvent davantage aux expressions des visages silencieux qu’aux discours, une démonstration au scalpel qui balaye le point d’interrogation du titre, mais où, si une connivence est recherchée avec le spectateur, c’est plutôt dans le partage d’une interrogation, parfois exprimée par un commentaire discret, mais aussi d’une détermination documentaire à voir et à communiquer. C’est alors que ce film dépasse son sujet et que cet hommage s’étend à tous ces journalistes assassinés auxquels il est dédié, et à travers eux, à tous ceux qui se battent pour les droits de l’homme. Car en définitive, ce n’est pas la certitude de l’oppression qui mobilise, mais la confiance dans la capacité de la transformer.
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