L’africanité chez Were Were Liking : de l’Afrique-musée à l’Afrique-laboratoire

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La critique littéraire, comme toutes les disciplines scientifiques, n’est pas le lieu de l’unanimisme, on le sait. La science évolue par contradiction, c’est une lapalissade. Mais l’on ne peut résister à la tentation de relever, pour faire le bilan de l’actualité sur la réception critique des œuvres de Liking, un ensemble de traits qui font l’unanimité au sein de la critique. Le colloque organisé du 3 au 4 mai 2005 à Douala sur l’œuvre de cette auteure, permet d’identifier entre autres points de convergence : l’africanité, l’universalité, la spiritualité et la dimension initiatique.
Le trait qui bat les records de l’unanimité, c’est le caractère spirituel et ésotérique de l’écriture de Liking. C’est donc à raison qu’un des initiateurs du colloque, devant le programme qu’on lui présente à la veille des travaux et qui affiche le thème  » WereWere Liking, médiatrice des savoirs lumineux « , estime qu’on est passé à côté du thème initial. Pour lui,  » lumineux  » doit être remplacé par  » numineux « . Surprise des organisateurs du festival en marge duquel se tient le colloque ! Ils n’ont pas pensé au paronyme de l’autre, qui est rare et absent de la plupart des dictionnaires de langue française et qui se rapporte à tout ce qui fait partie de l’occulte et de l’inviolable, donc au sacré. Pourtant, rien n’a été perdu. Le numineux s’est imposé dans la plupart des communications. Pour ne citer que quelques unes, de Mbombog Nkoth Bisseck qui ouvrira les séances avec  » Les dimensions initiatiques de l’œuvre de WereWere Liking  » à Yvette Balana qui scrute le lien entre les mécanismes initiatiques traditionnels et l’esthétique romanesque de Liking en passant par Joseph E. Mwantuali dont l’intervention fait de Liking une  » exorciste  » qui oppose les  » mots du pouvoir  » aux  » maux du pouvoir « , le détour par le numineux et le spirituel est apparu comme incontournable. Mais l’unanimité n’est pas restée la reine de ce colloque. Il y a eu débat et les deux mots qui ont crée la controverse sont africanité et universalité.
Le débat, parfois violent et virulent, a opposé les tenants de l’africanité à ceux de l’universalité. La grande question s’est donc posée pour cette écriture qui postule l’évènement d’une race de jaspe où les hommes ne seront ni Blancs, ni Noirs, ni Aryens, ni Sémites, et qui n’est pas moins enracinée dans une certaine africanité. L’argument du colloque met d’ailleurs l’accent sur ce double aspect africain et universel :  » L’hypothèse à partir de laquelle s’élabore notre projet est que cette œuvre synthétise et traduit, dans les langages et formes contemporaines les savoirs séculaires africains porteurs de valeurs universelles. Elle pourrait donc être fortement recommandée à la consommation, à titre principal, des publics d’Afrique soucieux de retrouver les fondements de leur civilisation « . Les mots que nous soulignons dans cet argument montrent que les organisateurs ont su résumer la démarche militante de WereWere Liking. Il ne s’agit pas de tomber dans la manie très africaine de courir dans l « universel  » avant même d’avoir cherché le particulier. Ailleurs, on n’a pas besoin de prouver qu’on fait dans le cosmopolite et l’universel. Le métissage culturel, c’est l’Afrique seule qui semble l’avoir adopté. L’autre veut être lui-même, il revendique sa patrie et impose ses valeurs comme universelles à une Afrique toujours en quête de légitimation exogène. L’autre n’a pas peur d’être chauvin. Mais l’Afrique fuit l’africanité, elle rejette la négritude. Certes, il y a une négritude à fuir comme la peste, c’est africanité du folklore, récupérée par les politiques, de l’extérieur comme de l’intérieur. Les premiers pour maintenir dans la dépendance, les seconds pour mourir au pouvoir. On comprend pourquoi Jean Eudes Biem, participant au colloque de Douala, dont l’intervention s’intitule  » Esthétique du holisme et cosmopolitisme « , refuse d’adhérer à cette africanité qui a permis à Mobutu de faire dans  » l’authenticité  » pour entrer dans  » l’éternité  » et laisse mourir le Congo-Zaïre. WereWere parle d’une africanité qui est  » prétexte à bassesse « .
Si l’africanité est au centre de l’œuvre de Liking, celle-ci est culturelle, et non folklorique. La culture n’est pas dans les musées, elle est à l’extérieur, en l’Homme. Ce sont les traditions qui habitent les musées et l’Homme, être culturel par essence, est appelé à dépoussiérer les objets des musées pour nourrir le culturel. C’est la démarche de WereWere Liking. Certes l’écrivaine s’insurge contre une certaine africanité. Elle refuse que l’artiste africain soit le  » musée d’une africanité révolue « . Mais l’Afrique reste la priorité des priorités chez l’écrivaine camerounaise. Elle est en amont comme fondement de sa créativité ; elle est en aval comme principal destinataire. L’Afrique est pour Liking le laboratoire à explorer pour réinventer une Afrique qui ne sera plus celle des nécessiteux, de la dépendance et de l’assistance. C’est dans ce sens qu’on peut lire avec Michelle Mielly qu’il s’agit d’une  » aesthetic of necessity « .
L’Afrique reste aussi le détour essentiel sur le chemin de cette errance qui a commencé avec la traite négrière et qui se poursuit aujourd’hui avec l’immigration et toutes sortes d’exil. Le cosmopolitisme de Liking, il faut le voir dans le fait que l’Afrique a le droit de butiner partout pour se réinventer. D’ailleurs, aucune partie du monde ne lui est étrangère. Dans les quatre coins du monde, la sueur et le sang de l’Afrique ont coulé et continuent de couler. Alors pourquoi, s’interroge Liking,  » la dernière des paysannes africaine «  ne choisirait-elle pas  » le mixer-broyeur à la place du mortier, le gratte ciel et la villa à la place de la case ? « . Cependant, avant de se donner le droit à l’errance, il faut s’arrêter en Afrique. Le préalable n’est pas la quête de l’universel, mais la quête du particulier car comme dit l’écrivaine,  » En amour comme en art, c’est toujours soi que l’on cherche. «  Les autres peuvent se donner le droit à l’errance, voire à l’oubli de leurs racines et à l’amnésie, mais pas l’Afrique. C’est le mot de fin de Liking, écrit dans sa dernière production, La mémoire amputée, qui apparaît déjà comme une synthèse de son testament :  » Ceux qui peuvent se payer le luxe de jouer les amnésiques ont leur histoire déjà écrite, conservée en sons, images et microfilms, et en diverses versions : les subjectives, les trafiquées, les revues et corrigées, les profanes, les ésotériques et les sacrées, etc. ils pourront toujours s’y retremper le moment venu, pour témoigner de leur passage sur cette terre et de leur part de l’humanité. Alors que nous autres, nous n’avons pas suffisamment formulé notre expérience pour nous permettre l’amnésie. Aussi, pour nous, se souvenir ne devrait-il pas être un combat de tous les instants ? « 
Liking a donc tranché le débat : nous devons trouver l’universel dans l’africanité, nous devons travailler à inventer la négritude qui entrera dans la culture universelle à venir. La  » négritude  » n’est pas morte. Il ne s’agit pas toujours de jouer au nègre. Il ne s’agit pas pour le tigre de proclamer sa tigritude. Il ne s’agit pas de retourner à des  » sources  » qui n’ont pas été sauvegardées et adaptées au contexte actuel. Il est question d’interroger ce qui reste, de fouiller la mémoire, de dépoussiérer les pièces de musées d’entrer dans les marres du sous-développement, de chercher le savoir dans l’analphabétisme, toutes choses qui font l’Afrique  » authentique « , pour réinventer une nouvelle Afrique. L’Africanité et l’Afrique deviennent des laboratoires, des espaces de travail et non des lieux figés où se ravitaillent sans esprit de culture, dons d’invention permanente, des  » artistes  » qui veulent faire  » authentique « , des commerçants qui vendent des masques grimaçants dans des magasins  » africains « , et des politiques qui  » aiment  » la culture sous forme de danses traditionnelles et de pagnes bariolés au bas des passerelles.
La course vers l’ « Universel  » qui hante les africains, confirmant ainsi que le  » moi est haïssable  » peut nous être préjudiciable, car l’universel se réduirait alors à l’histoire et aux valeurs de ceux qui ont assumé leur moi et qui ont entretenu leur mémoire. Liking semble nous dire qu’il nous faut faire du chauvinisme. Elle le confirmera d’ailleurs dans l’entretien avec les étudiants de Douala, en guise de clôture au colloque, elle qui achète chez l’autre pour 5francs quand elle achète chez  » elle  » pour 10.000francs ; l’auteure répondait ainsi à un étudiant qui l’interrogeait sur la place du pantalon dans son  » accoutrement  » très africain.

///Article N° : 4174

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