Lors de l’événement Africamania à la Cinémathèque française, à Paris du 16 janvier au 17 mars 2008, Gaston Kaboré présente une leçon de cinéma. Une version courte de cet entretien est publiée dans le catalogue de l’événement tandis que l’on trouve ici son intégralité où le cinéaste burkinabé revient sur son uvre, sa démarche de cinéma, ses responsabilités au sein de la FEPACI et les actions de formation qu’il met en uvre avec le centre Imagine de Ouagadougou
1 – Gaston Kaboré, vous aviez fait des études universitaires en histoire avant de venir au cinéma. Pour vous comme pour beaucoup d’autres cinéastes, il était important de changer le regard porté sur l’Afrique, déconstruire les préjugés, reconquérir son regard et sa mémoire. Tous vos films portent ainsi sur la recherche de l’identité, un concept controversé. Diriez-vous que c’est encore aujourd’hui une question nécessaire pour les cinémas d’Afrique ?
Je ne crois pas que mes films portent sur l’identité en tant que telle mais plutôt sur la quête d’identité, de la mémoire, de la compréhension de notre trajectoire historique, cette compréhension étant la seule façon pour moi d’appréhender notre présent et de le construire. Je ne crois pas que l’identité soit quelque chose de figé et qu’elle serait un lieu statique à redécouvrir. Il s’agit plutôt d’un parcours, d’une quête à la rencontre de soi-même. Il faut être curieux à soi-même non pour trouver l’homme parfait qui aurait existé mais pour se dire qu’on n’est pas le fruit du hasard et qu’on a une charge mentale, psychologique, culturelle, historique et imaginaire qui conditionne notre attitude, consciente ou non, à un moment donné vis-à-vis des événements et du monde qui nous entoure. Travaillant au départ dans le champ de l’histoire, je me suis aperçu progressivement que l’histoire de l’Afrique était dite, écrite et racontée presque exclusivement par les Européens et je me suis senti de plus en plus inconfortable devant cette situation. Il devenait insupportable à mes yeux, à mon esprit et à ma conscience, que l’Afrique soit autant aveugle et muette à elle-même. J’avais le sentiment que l’Afrique était littéralement noyée et étouffée dans le regard omnipuissant des Occidentaux et que cela nous handicapait mortellement. J’ai commencé alors à ressentir un besoin urgent d’agir contre ce processus de défiguration et de dépossession ; c’est là que le cinéma s’est présenté à moi comme un véhicule propice à un voyage au cur de la conscience d’être des Africains. Je suis tendu vers le futur, mais je sais que je viens de quelque part et c’est ce que je désire interroger car cela éclaire le futur. Je me méfie des mots « identité » et « authenticité » car ils sont fortement connotés et même piégés en raison des relations traumatiques d’hier et des rapports ambigus d’aujourd’hui entre l’Afrique et l’Occident. Ce qui m’intéresse, c’est comprendre qui je suis, c’est me découvrir de façon dynamique tout en me construisant et en participant à une entreprise de refondation d’une mémoire collective plurielle et en mouvement permanent. J’aimerais croire qu’il y a une raison pour laquelle je suis sur terre. Je n’en fais pas une question obsessionnelle mais elle m’habite en permanence car elle me donne l’énergie d’aller vers les autres et de comprendre le monde qui m’entoure. Je crois profondément que tous les Africains ressentent confusément ce besoin vital de se réapproprier leur propre expérience historique, leur vision et leur interprétation du monde. Les peuples africains doivent retrouver une sorte de souffle propre à eux-mêmes.
2 – On part de la magnifique phrase d’Aimé Césaire « qui et quoi sommes-nous ? Admirable question ! » pour arriver à une quête de soi qui se définit comme permanente.
Absolument. Et je pense que nous ne pouvons pas vivre sans une conscience aiguë de notre existence. Ce qui nous manque c’est une plus grande vulgarisation de l’histoire et de la philosophie : on n’a plus le temps de réfléchir, c’est ça le plus grand drame. Nous perdons pied au milieu des certitudes qu’on ne cesse de nous proclamer car le vrai salut de notre raison et de notre âme profonde réside dans l’interrogation. Seule l’interrogation et le questionnement nous transportent sur de nouveaux rivages d’où notre quête nous emportera vers d’autres ailleurs.
3 – Face aux dérives identitaires actuelles, votre cinéma – comme les cinémas d’Afrique – n’est-il pas poussé à se marginaliser ?
Ce qui est surprenant, c’est qu’on ne pose pas ce genre de question pour les cinémas européen et nord-américain. Les cinémas d’Afrique seraient éventuellement en train de se marginaliser aux yeux de qui ? Toute la question est là. C’est toute l’Afrique elle-même qu’on ne cesse de mettre à la marge en la comparant toujours et encore à d’autres sur la base de critères et de paramètres définis hors des systèmes de pensée et des échelles de valeur familières à l’Afrique
. En fait, ma conviction est que l’Afrique doit d’abord et avant tout répondre à ses propres nécessités de création et de communication culturelles et sociales. Il y a un travail urgent et massif de réappropriation de nous-mêmes, de notre regard, de notre perception du monde et de remobilisation de nos énergies mentale, psychologique et sociale ainsi que de reconquête de notre imaginaire et de notre génie. Le cinéma doit y contribuer de la façon la plus incisive et l’Afrique a à peine commencé à générer le cinéma qu’elle mérite sur les plans qualitatif et quantitatif. Les Africains ont à peine commencé à se voir par leurs propres yeux et à se raconter avec leurs propres mots et leurs propres images. Le seul danger que je vois n’est pas que nous nous marginalisions par rapport à un territoire qui nous exclut mais que nous sombrions corps et âmes dans l’absence de nous-mêmes. C’est ce que je crois.
4 – Vous aimez dire qu’une image vaut mille mots. En quoi pour vous et dans votre oeuvre ce travail de déconstruction du regard de l’autre et la construction de son propre regard passe-t-il mieux par le cinéma ?
Le cinéma est un art mais aussi un moyen de communication de masse. La façon dont il se consomme lui donne un impact particulier. En Afrique, nous étions consommateurs d’images et de récits fabriqués par d’autres et nous étions en somme réduits au statut de spectateurs privés de leur propre regard cinématographique sur la réalité qui les entoure.
Dans le flot d’images diffusées sur les écrans du continent africain (cinéma, télévision et vidéo), l’Afrique elle-même est sous-représentée et cela a pour danger de rendre les Africains invisibles à eux-mêmes. L’Afrique doit absolument amplifier de façon exponentielle sa capacité de production d’images afin de corriger ce déficit de représentation sur son propre sol.
Dans un tel contexte, nos films ont fatalement un positionnement particulier, car les spectateurs ont des attentes singulières ; nos images leur parlent différemment de toutes celles dont ils sont majoritairement abreuvés au quotidien. J’ai la conviction que les films des cinéastes africains interrogent de façon singulière les spectateurs et les amènent sur des territoires spécifiques de conscience, de mémoire et d’imaginaire
C’est pourquoi nous devons nous battre, quoi qu’il en coûte, pour continuer de faire des films car ils ont une fonction irremplaçable au regard et à la conscience de nos spectateurs. Si d’aventure on arrêtait notre combat et notre travail de producteurs d’images et de récits à destination de nos propres peuples, cela n’empêcherait pas la terre de tourner mais il s’en suivrait des dommages incalculables pour une jeunesse africaine à la recherche de repères, de sens et de projets de sociétés.
5 – Vous avez commencé à faire du cinéma dans les années 80, époque de désenchantement après le rêve des indépendances. Vous avez cependant puisé dans le conte une énergie autant qu’un mode de récit. Etait-ce pour vous un moyen de voir plus loin ?
Je l’espère. Je crois que le travail de refondation de la mémoire est long et quasi imperceptible mais conditionne tout le reste. Il faut bien sûr vivre avec son temps et agir politiquement pour aller de l’avant vers un meilleur épanouissement et accomplissement de nos sociétés, mais je crois que nous sommes des êtres de conscience, ce qui implique d’agir et réagir en permanence. Le plus difficile est d’arriver à gérer le temps dans une profonde perception de la durée, une durée qui nous dépasse vu que la mort nous limite. S’inscrire dans ce temps limité est dérisoire : nous agissons pour avoir un prolongement, de même que j’existais potentiellement avant même mon arrivée sur terre car des gens m’ont précédé et que je suis leur héritier. Je finirai par quitter cette vie sans le sentiment d’avoir fait beaucoup de chemin mais le fait de tendre vers quelque chose constitue déjà le début de la transformation en un autre moi. Le conte a une force et cela n’est pas spécifique à l’Afrique. Les soirées de contes se multiplient sous toutes les latitudes dans le monde et des auteurs redeviennent des conteurs oraux comme dans les temps anciens. A l’heure des nouvelles technologies, les gens ont besoin de se rencontrer, de se regrouper dans un lieu donné pour entendre ensemble une parole, un récit. Le besoin d’histoires et de récits est constitutif de la conscience humaine. Il est à parier que l’on va de plus en plus assister à un retour en masse vers ce type de réunions autour du conte. La force du conte est de se renouveler en permanence et de s’ancrer dans la réalité contemporaine.
6 – Le conte est-il ainsi une relecture permanente de la réalité du monde et des rapports sociaux ?
Tout à fait. Et je tends à croire que les gens ont la capacité de procéder instinctivement à cette réactualisation. Cela leur parle aujourd’hui et de façon très spécifique pour peu qu’ils prennent le temps de s’y ouvrir. Je crois beaucoup à l’intelligence intuitive du spectateur. Il était pour moi évident que pour pouvoir exercer ma première parole cinématographique, j’avais besoin de trouver une forme de récit, qui soit une des plus ancrées dans l’aventure humaine et le conte en était une. Wend Kuuni est une histoire simple qui a soulevé un intérêt au-delà de mes espérances les plus folles. Ce qui m’intéressait était de raconter une histoire dont la compréhension serait immédiate pour les gens de chez moi. Derrière cette simplicité du film, les gens pouvaient se comprendre de façon complexe. C’est le paradoxe. Le conte laisse la place aux parcours individuels : chacun y puise ce qu’il désire en fonction de son histoire personnelle et peut se raconter autre chose.
7 – Cela introduit un projet de cinéma spécifique. Il y a dans Wend Kuuni comme dans Buud Yam une farouche volonté d’échapper à la fatalité. Pourtant, les personnages ne sont pas des héros. L’apprentissage de la parole dans Wend Kuuni, la recherche du père dans Buud Yam ne sont que des tentatives de se comprendre pour appréhender le monde. Plutôt que de mettre en scène une crise, préférez-vous ainsi figurer une initiation ?
Oui probablement, mais notre existence n’est-elle pas une crise en soi ? Le caractère initiatique est permanent. Tout le cours de la vie est initiatique. Je n’exclus pas votre formulation mais nous sommes dans un monde qui n’est fait que de variables. On essaye de planter des repères mais on se rend vite compte qu’ils bougent aussi. La résolution d’une crise ne constitue qu’un moment vite dépassé et aussitôt d’autres crises commencent à se nouer qui connaîtront à leur tour des résolutions toute autant éphémères.
8 – Alors que Zan boko la théorise, tous vos films suggèrent la perte que les pratiques modernes font subir aux valeurs rurales. Le grand-père de Rabi lui conseille d’écouter la nature. Environnement et respect de l’humain sont ainsi étroitement liés. Pourrait-on dire que cela est programmatique pour vous comme pour les cinémas d’Afrique ?
Je n’oppose pas modernité et humanité de façon absolue mais dans Zan Boko je me pose la question d’une amélioration de notre mode de vie tout en préservant la dimension humaine.
Le message de Zan Boko n’est pas tant de condamner le bourgeois qui recoure à des moyens condamnables pour déposséder Tenga le paysan de sa terre, que de dénoncer l’erreur tragique qui consisterait à disqualifier purement et simplement le monde rural de sa légitimité à prendre part à la définition d’un projet social dont l’être humain serait le cur. L’insignifiance économique du monde rural n’entraîne pas ipso facto son insignifiance morale et philosophique. Il y a des richesses qui ne peuvent pas s’acheter. Il n’y a pas à être contre la modernité, mais il faut absolument éviter de se réduire au seul signe matériel et somme toute dérisoire, de cette modernité qui elle-même est en attente d’acquérir son statut de tradition.
9 – La place laissée à la durée dans le traitement du temps qui marque votre écriture filmique procède-t-elle davantage de l’intuition culturelle ou d’une volonté théorique ?
Cela relève davantage du vécu et donc de l’intuition. Je ne crois pas qu’on puisse fabriquer une théorie sans expérimentation. J’ai essayé de communiquer de la façon la plus profonde et intuitive possible : les choses me sont apparues petit à petit incontournables. J’ai compris que lorsque les gens prennent le temps de se saluer, ce n’est pas une perte de temps. Ce n’est pas venu d’un coup. Dans un premier temps, j’ai voulu comprendre les pratiques sociales et creuser les apparences pour aller à la rencontre de la substance, de l’esthétique et de l’éthique. Dans un second temps, j’ai commencé à rechercher la façon appropriée de traduire ces choses dans mes films. Tout naturellement, cela conduit à l’ouvrage d’une expression et d’un style toujours en devenir.
10 – Y a-t-il des scènes où la question s’est posée, en conflit avec la monteuse par exemple ?
Dès le début de ma carrière de cinéaste, j’ai eu la chance et le bonheur d’avoir Andrée Davanture comme chef monteuse de mes films si bien qu’un tel conflit ne s’est pas posé car c’est une personne et une professionnelle très curieuse de la culture des autres. Elle a toujours respecté les tentatives d’expression, les sensibilités et les traditions de récit des auteurs avec lesquels elle a travaillé. Andrée Davanture croit que chaque film développe sa propre nécessité à vivre et à rencontrer les publics et que chaque auteur exprime un désir incompressible de communication et de témoignage ; et que par conséquent chaque « être cinématographique », chaque film mérite d’atteindre à sa singularité propre et unique. La conséquence de cette philosophie professée par André Davanture est qu’elle se met au service des auteurs et des films dans un partenariat créatif très fécond ou découverte, étonnement, fulgurances, profondeur, nuances, force et complexité, poésie se conjuguent.
Flaubert disait « appuyez-vous fortement sur les règles, elles finiront bien par céder », et pour moi c’est une invitation à l’insoumission, à l’académisme, au standardisme et au dogmatisme, et un appel à l’exploration, à l’inventivité et au risque qui féconde. Il me semble que Andrée Davanture a toujours agi comme un ferment et un révélateur pour les réalisateurs qui travaillent avec elle et cela dans un respect total pour leurs désirs, leurs envies, leurs quêtes de sens, leurs volontés et aspirations à compter et à se raconter. A y penser de près la salle de montage, quand on travaille avec André Davanture, devient un laboratoire vivant à partir duquel on entreprend un voyage initiatique aux confins de son désir d’être
11 – Vous avez souvent dit que pour les cinémas d’Afrique, « la réalité est toujours le corps et le coeur des films ». A une époque où les cinéastes, en réponse à l’attente sociologique européenne, refusent la nécessité de témoigner, pensez-vous que cela est encore vrai ?
La réalité est le matériau premier de l’immense majorité de nos films. Tout ce que l’Afrique a vécu est une charge inévitable. Nous sommes dans une urgence de poser des éléments de notre propre définition, tant nous sommes noyés dans le regard de l’Occident. Nous avons été conditionnés et nous devons travailler à la déconstruction et nous débarrasser des prothèses qu’on nous a fabriquées ! C’est la condition de notre expérience singulière qui aura les incidents de parcours inévitables mais qui nous permettra de retrouver la clef de redémarrage du moteur de nos imaginaires ! Chocs et cohabitation persisteront, c’est cela qui nous aide à nous constituer. Il faut apprendre à nous débarrasser des excédents de bagages qui nous alourdissent et nous empêchent d’avancer, nous libérer de la nasse ou nous maintient le regard de l’Occident. Quoi qu’il en soit, si la liberté de création doit demeurer un credo vital, il ne demeure pas moins que nous créons toujours à partir de lieux qui nous habitent et nous traversent de part en part… Nous sommes condamnés à témoigner et le refus de le reconnaître constitue en soi le témoignage d’un trouble profondément significatif, toute chose incluant son contraire.
12 – Avez-vous l’impression qu’il y a aujourd’hui plutôt des blocages ou des espoirs ?
On a peur de trop se questionner par peur de ce que ça nous révélerait de nous-mêmes ! Nous ne faisons pas des films pour nous seuls. Mes films, tout en n’étant pas autobiographiques, parlent néanmoins de moi tout en débordant sur un ensemble infini de territoires concentriques animés du reste d’un double flux, d’un double mouvement centrifuge et centripète. Y a-t-il blocage aujourd’hui ? On se définit souvent de façon trop étroite. Mieux vaudrait se situer dans la dynamique d’une initiation sans cesse renouvelée. Je ne sais pas grand-chose mais j’ai le devoir de chercher à me comprendre, comprendre les autres et comprendre le vaste monde. On a voulu prématurément catégoriser et créer des tiroirs dans l’expression cinématographique du continent africain et cela a été très dommageable à plus d’un titre. Combien d’élans n’ont pas été coupés ? Combien de personnalités d’auteurs n’ont pas été étouffées ? Combien de fausses oppositions n’ont pas été artificiellement créées entre des cinéastes qui pouvaient se féconder mutuellement ? Combien de générations de familles, de clans et de statuts de cinéastes n’ont pas été hâtivement installés, semant confusions, frustrations et vaines acrimonies au sein de la communauté des cinéastes africains ? Les blocages les pires sont ceux qui nous empêchent de nous ouvrir aux autres et à leurs uvres, de considérer que leurs succès et leurs conquêtes, loin de nous priver de quoi que ce soit, nous enrichissent tout au contraire. Bien sûr, toutes les autres questions non résolues relatives au financement de nos films, à leur distribution et leur exploitation sur notre continent, à la formation de jeunes professionnels, à l’émergence d’une critique endogène, au déficit d’exposition des récits africains sur les chaînes de télévision, etc. constituent eux aussi de réels blocages mais je fonde beaucoup d’espoir sur notre capacité à les lever peu à peu. Je suis foncièrement optimiste parce que je crois que l’Afrique dispose de toutes les ressources humaines et économiques, de toutes les énergies et du talent pour inventer sa propre destinée. Cela peut prendre du temps mais peu importe, le mouvement est amorcé et mille feux féconds couvent déjà. Des images, des récits et des histoires attendent de surgir en flots continus que rien ne saura contenir. L’Afrique va nécessairement trouver son tempo et son souffle bientôt.
13 – De 1985 à 1997, vous avez tenu avec beaucoup d’implication les rennes de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI). Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
Si la FEPACI n’existait pas, il faudrait l’inventer aujourd’hui ! Depuis 1970, date de sa création à Tunis, on n’a pas trouvé une meilleure formulation du désir des professionnels africains de cinéma de travailler ensemble à mettre le 7è art au service du développement culturel, historique, politique et social des peuples d’Afrique. Sensibiliser, convaincre et motiver à agir avec cohérence des partenaires aussi divers que les gouvernements africains, les institutions et les organismes de coopération continentale et régionale, les opérateurs économiques et les investisseurs ne sont pas des tâches aisées et c’est pourquoi d’aucuns expriment leur lassitude et leur impatience, mais on ne peut pas faire l’impasse sur ce travail obligatoire de conscientisation et de lobbying de longue halène et seule la FEPACI a la légitimité morale et technique pour le faire. C’est pourquoi, je demeure un militant convaincu de la FEPACI. Si aujourd’hui on supprimait la FEPACI sous prétexte qu’elle ne parvient pas à transformer rapidement la réalité, on perdrait tous les acquis de quarante années de travail mené par au moins trois générations de cinéastes revendiquant pour l’Afrique le droit à son Image et à son Regard pluriels.
14 – Vous avez créé en 2003 à Ouagadougou la structure de formation Imagine pour fournir des enseignements de haut niveau mais aussi pour stimuler une réflexion pluridisciplinaire et critique susceptible de féconder la création cinématographique africaine. Peut-on déjà en tirer un bilan ?
L’institut Imagine aura cinq années d’existence le 28 février 2008
Pas moins de quatre cent dix-huit (418) professionnels ont bénéficié de formation au sein de l’institut Imagine et nombreux sont ceux qui sont restés en contact avec nous persuadés qu’ils sont d’avoir séjourné dans un lieu exceptionnel sur le plan humain et créatif. Les contenus techniques des formations tout autant que les échanges et le partage d’expérience font de Imagine un creuset singulier qui contribue très certainement à donner une stimulation nouvelle à tous. Beaucoup d’entre eux ont pu mettre en pratique les acquis des formations reçues à l’institut Imagine et émettent le vu de pouvoir bénéficier d’autres sessions de formation. Nous sommes régulièrement interpellés par des jeunes qui ont le sentiment de ne pas être pris en compte dans leur besoin de formation et il n’est pas aisé de leur faire comprendre qu’Imagine souhaiterait faire trois à quatre fois plus d’ateliers qu’il ne le fait actuellement. De fait, l’ambition de l’institut est de parvenir à partir de 2009 à organiser vingt-quatre (24) ateliers par an pour environ trois cent (300) participants. Donc on peut dire que compte tenu de toutes les contraintes et de toutes les limitations que nous subissons les résultats déjà obtenus sont plutôt satisfaisant mais qu’ils sont encore très éloignés de nos ambitions et de nos objectifs initiaux.
15 – Qu’est-ce qui différencie Imagine d’une école de cinéma ?
L’institut Imagine s’est spécialisé dès le départ et par choix philosophique dans l’offre de perfectionnement et de formation continue aux métiers du cinéma, de la télévision et du multimédia ; en conséquence et jusqu’à nouvel ordre nous ne dispensons pas de formation initiale de longue durée ce qui nous distingue d’une école classique. Je dirais que nous sommes, toutes proportions gardées, plus proche du statut pédagogique de l’INA en France, que de celui de Louis Lumière ou de la FEMIS ; du reste au Burkina, nous nous positionnons en complémentarité avec l’Institut Supérieur de l’Image et du Son (ISIS), une école de formation initiale sur deux ans, créée par le gouvernement du Burkina Faso et qui reçoit également des étudiants francophones en provenance de toute l’Afrique.
Cet entretien réalisé en décembre 2007 a été corrigé par Gaston Kaboré avant publication///Article N° : 7209