Le Barrage, d’Ali Cherri

Expérience hypnotique

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Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes de 2022, Le Barrage est le premier long métrage du plasticien Ali Cherri. Politique et fascinant.

Né à Beyrouth, Ali Cherri est un plasticien et cinéaste vivant à Paris. Combinant films, vidéos, sculptures et installations d’art contemporain, il explore la construction des récits historiques. Le Barrage s’inscrit dans un travail plus large sur la généalogie de la violence pour lequel il a été primé à la Biennale de Venise avec dessins, sculptures et vidéos (Of Men and Gods and Mud) réalisés sur le barrage de Merowe, une catastrophe environnementale et humaine au fort impact sur la gestion de l’eau du Nil, construite par les Chinois dans le nord du Soudan, sous le régime dictatorial et violent d’Omar el-Bechir, renversé par un coup d’Etat militaire en avril 2019 à la suite de quatre mois de manifestations populaires. Ali Cherri rencontre Maher El Khair en 2017, un ouvrier d’une briqueterie proche du fleuve. Il en fera le protagoniste principal de ce film presque silencieux et fortement contemplatif.

Maher fabrique des briques en terre, selon les mêmes techniques qu’à l’époque pharaonique : un travail ancestral harassant de moulage, séchage et cuisson. Ou bien il enduit les murs à mains nues, toujours pour un salaire de misère. Il emprunte quand il le peut une moto pour construire une sorte de pyramide en plein désert. Lorsqu’il se lave au ruisseau, l’eau devient rouge. Les nouvelles des émeutes contre le régime remplissent les radios, des graffitis recouvrent les portraits du tyran….

La terre et l’eau sont la matière des mythes fondateurs. Leur mélange donne naissance à la vie. Le déluge, par contre, force à redémarrer l’Histoire. Le parcours initiatique de Maher, annoncé dans un rêve, passe comme le combat politique par la blessure, la douleur de l’échec et les funérailles des sacrifiés. Le soufisme nubien établit un rapport très étroit avec la nature où tout est sacré. Le régime, au contraire, cherchait avec le barrage à dompter la nature comme il assouvit les hommes. Face aux caresses du pouvoir, la rupture ne peut être que brutale, comme pour le chien. Tout prend feu…

Maher doit donc reprendre possession de son imaginaire pour dépasser sa condition. C’est cette stratégie politique que cherche à promouvoir ce film, que confirment ses nombreuses références à l’actualité. Il adopte pour cela une esthétique de type expérimentale (longueur des plans, quasi-absence de dialogues, approche contemplative) qui n’est pas sans le couper d’un large public mais s’assume en tant que proposition d’expérience, à prendre ou à laisser. Dans le cadre d’une salle de cinéma, espace clos et obscur permettant l’attention aux détails et la concentration sur le sens, le spectateur est invité à accepter une certaine ascèse pour entrer dans une démarche proche de la méditation, en rupture avec le flux actuel des images multi-écrans.

 

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