Tout écrivain rêve. Bon nombre d’entre eux aimeraient écrire l’uvre d’une vie, en un volume. Or, la littérature, comme murs des gendelettres, ne se prête guère à cet improbable calcul.
Écrire au sujet de » l’horizon » est un pari difficile. Non seulement ce projet alimente le rêve, mais il se révèle être aussi une gageure. Nos savants, à défaut d’en faire un objet de connaissance, distillent allégrement à son propos l’inaltérable métaphysique de l’événement en proclamant une phénoménologie de la » chose « telle qu’elle nous apparaît
En somme, rien de tangible.
Gageure, car, la ritournelle de » l’apparaître » – des phénoménologues (honnêtes) en conviendront – est un discours ordinairement performatif. Il ne nous apprend rien sur le sujet.
L’horizon est la clef de voûte de l’opuscule de Nimrod, Le Départ. Le poète, romancier et essayiste y explorent les origines de sa vocation – depuis un territoire singulier appelé horizon. » J’habitai le pays mouvant du bleu, dont la particularité est de susciter du frais au sein du chaud, (
) « . » Or, habiter l’horizon, c’est transgresser la borne « .
Grâce au faste du rêve, il fait émerger des tranches de vie : » L’horizon n’est pas une frontière, je l’ai toujours su. Nos maisons ne peuvent avoir que lui pour vis-à-vis. Il n’était pas aussi effrayant que je l’avais cru. Pour l’instant il symbolisait le site où j’allais bientôt me réfugier loin de Sara-de-Gaulle « .
Comme des variations musicales, l’écrivain commue l’horizon en discours : c’est sa ressource de langage, et l’exercice s’apparente à une anamnèse. » L’horizon n’est pas limpide, où, plutôt, sa forme de clarté est tout intérieure « . Il met au jour son enfance africaine, laquelle marquée, lorsqu’il s’avançait sur le chemin, par la » présence de l’adulte dans le dos « . Plus tard, cette présence sera déterminante et elle atténuera sa peur dans la marche vers l’horizon. Et l’on entend la supplique paternelle lors de ses premiers pas : » Mbo zin (marche devant) « . Souvent, elle est synonyme de l’injonction : Sois pionnier. Chez les mômes au bord de l’épuisement, cette supplique se veut sommation, et Nimrod semble nous donner la réplique dans une forme en ellipse : » Le nocturne de l’horizon est tendre et brouillé « .
Son approche de l’horizon instruit sa sollicitation du » grand dehors » : » L’horizon est un appel, et nous sommes ses captifs « . Au demeurant, il illumine » Le Départ » : à savoir, sa quête de la vie bonne. Car, Nimrod examine dans » LE DÉPART « , le processus de l’écriture, ce piétinement du nommable.
Ce récit se lira comme un oracle du destin. Il nécessitera différentes approches. C’est évidemment une tâche indispensable : lire entre les lignes et en creux. Car la fulgurance des événements dissimule l’appétence de l’écrivain : écrire – non pas » écrire en pays dominé » (Patrick Chamoiseau), mais depuis le vis-à-vis qu’est l’horizon – loin des soubresauts de l’Afrique.
Du père, lui vinrent la découverte et l’amour des livres : » Mon père est un homme du livre. Dans le milieu, il est le seul de son espèce à vivre entouré de bouquins. Même au loin, je sais qu’il les feuillette. Cette passion devrait m’irriter ; elle me fascine.
Cette mention est l’hommage et l’adieu de l’écrivain à son géniteur – en plus, une occasion de revisiter son enfance de lettré – a fortiori en Afrique ! Elle nous rappelle l’enfance de J.-P Sartre dans Les Mots : » J’ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres « .
Chez Sartre, à défaut d’un père, la reconnaissance se rapporte sur son grand-père. Sans celui-ci, sa destinée aurait été différente.
Le Départ, de Nimro, Actes Sud///Article N° : 6808