Alors que la Biennale africaine de la photographie bat son plein, nous diffusons une chronique publiée le 2 novembre dernier dans l’hebdomadaire malien Le Challenger par Minga Sigui Siddick, journaliste indépendant et administrateur du Centre de formation en photographie de Bamako (CFP).
Vous avez dit frontières ?
C’est le 7 novembre prochain que sera donné le top départ de la huitième biennale photo dans sa version « Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie ». Un grand événement sur le continent pour les chasseurs d’images du monde entier. Une occasion pour le Mali d’être, encore une fois, sous le feu des projecteurs de caméras photo et vidéo, au sens propre et plein du terme.
Cette année, ce sont au total quarante photographes et treize vidéastes du continent qui seront exposés dans l’espace « international » des Rencontres. Cependant, de nombreux autres photographes et vidéastes auront l’opportunité de faire découvrir leurs talents sur plusieurs autres sites dédiés à l’événement. Excellente opportunité pour donner une plus grande visibilité aux jeunes professionnels de l’image qui souffrent encore de bien des préjugés, leur métier restant trop méconnu. En effet, pour une large frange de la population, la photographie, tout le monde peut en faire ; il suffit d’avoir entre les mains un appareil photographique. D’ailleurs, ça se voit tous les jours, les photographes, lors des mariages, des cérémonies de baptême, des anniversaires. Au-delà de cette photographie alimentaire qui se contente de figer un événement ou une posture dans un temps, il reste difficile pour le Malien moyen, d’imaginer la dimension artistique du travail des « preneurs de vue », et la portée du message véhiculé par leurs uvres au même titre que celles des peintres, des plasticiens ou des écrivains.
Les Rencontres de Bamako sont un appel à l’inspiration de ces photographes qui sont capables de traduire un thème donné en images-discours, en images-pensées, en images-concepts, méthodiquement agencées et densément allusives.
FRONTIÈRES. Voilà le thème traité cette année. Un thème qui veut tout dire et qui peut tout dire ! Parce que nous vivons dans un monde de frontières. Un monde où, quoi que nous disions, quoi que fassions, nous traduisons toujours notre appartenance à un côté d’une frontière, physique, mentale, sociale, culturelle, raciale, politique, économique, religieuse ou philosophique. Des frontières que nous rappellent constamment la duplicité d’un regard, l’hypocrisie d’un compliment, la condescendance d’un jugement ou la profondeur d’un préjugé. Des frontières tracées jadis par des personnages qui, s’estimant plus intelligents, voulaient se créer des territoires pour dompter des sauvages sur qui ils tenaient à exercer leurs talents d’éducateurs universels. Des frontières que, devenus indépendants, les soi-disant pères de nos prétendues nations ont bien voulu conserver pour confirmer l’occidentalisation de leur intelligence et pouvoir jouir à en mourir de leur part de déité. Des frontières que respectent les riches face aux pauvres, divisant la société en classes isolées. Ces frontières entre privilégiés, assistés et délaissés que personne ne peut franchir sans être stigmatisé, rudoyé ou condamné
Mais nous ne faisons pas que vivre dans un monde de frontières, nous sommes esclaves des frontières. Convaincus que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin et que tout ce qui vient d’ailleurs est meilleur, nombreux sont ceux qui, parmi nous, préfèrent confier leur sort à l’autre côté de la frontière. Surtout quand, de l’autre côté de la frontière, il y a ceux qui nous ont révélé notre statut de minus habens, de bons à rien, d’éternels dépendants. Une des meilleures preuves de ce mal qui s’apparente à un « complexe de la frontière », c’est le fait que les Rencontres de Bamako, instituées depuis 1994, âgées donc de 15 ans, sont toujours pensées, préparées, organisées et dirigées depuis la France. Au point où le Mali ne ressemble qu’à un pantin dans l’organisation d’un événement qui est censé lui appartenir. À quoi sert alors cette Maison africaine de la Photographie créée en 2004 ? Une Maison qui, cette année, n’a même pas été associée ni à l’appel à candidatures, ni à la réception des dossiers de candidatures, ni à l’organisation matérielle des Rencontres de Bamako à proprement parler ! Parce qu’on aura trouvé sur place, une personnalité plus apte que le Directeur de cette Maison, pour gérer l’événement. Aberration administrativo-politico-relationnelle qui admet implicitement que l’on peut être reconnu incompétent et garder son poste. Abracadabrantesque ! D’autre part, pourquoi confier les tirages des photographies des Rencontres de Bamako à un laboratoire français quand il y a sur le sol malien, un centre de formation en photographie doté de matériels modernes et performants ? Fascination de l’au-delà des frontières, certainement. À moins que cela ne soit l’expression du manque de foi traditionnel dans les compétences locales que l’on ne veut pas soutenir.
Bref, les frontières, ça mérite d’être vu en exposition. Pour une fois, les photographes vont briser toutes les frontières de l’imagination et de la création en traitant d’un thème qui donne le cafard aux politiciens et qui fragilise nos rapports à l’autre. Si seulement, au-delà du mot et de ses limites, ces images sans frontières peuvent tuer toutes les frontières dans notre esprit. Alors, vous avez dit frontières ? Pour le moment, nous y sommes et
nous en sommes !
Journaliste indépendant
Administrateur CFP / BamakoMissira, 604 Rue 43BP E 5290 Bamako / Mali Téléphone : (223) 221 39 33
Courriel : [email protected]
http://www.afriblog.com/blog.asp?code=eburneennes »///Article N° : 8995