En 20 ans d’existence, le festival de Clermont-Ferrand est devenu le rendez-vous le plus important pour les professionnels du secteur et attire un public de plus en plus nombreux : le festival de cinéma le plus fréquenté en France après Cannes : plus de 120 000 spectateurs cette année ! Cette manifestation, née d’une association d’étudiants cinéphiles » Sauve qui peut le Court Métrage « , a pris aujourd’hui une dimension mondiale.
Un nouveau filon qui, bien sûr, n’a pas échappé aux professionnels et aux » marchands d’images « . La télévision est la première à s’intéresser de près à ce phénomène : les chaînes se battent pour pré-acheter les films et en acquérir l’exclusivité, notamment le réseau câblé qui va sensiblement augmenter sa diffusion de courts dans les mois à venir. Arte et Canal +, tiennent également une place importante sur ce marché, sur le plan de la production.
Canal + met la pression depuis plusieurs années sur les organisateurs pour s’octroyer les droits de la soirée de clôture… D’autre part, un réseau de distribution (Mk2) est en train de se mettre en place pour rediffuser à nouveau des courts métrages dans les cinémas avant le film en début de séance. Enfin, le CNC reçoit chaque année plus de 1400 demandes d’aide à la production, il ne pourra en satisfaire que 300…
Cet engouement des spectateurs pour les courts métrages ne peut être que profitable aux jeunes réalisateurs et aux nouveaux talents, en espérant que le festival de Clermont arrive à préserver face à l’ampleur des nouveaux enjeux financiers et commerciaux cet esprit de convivialité, de » grande famille « , qui fait sa popularité.
Roger Gonin, membre de l’association » Sauve qui peut le Court Métrage » et du comité de sélection pour la compétition internationale, est l’un des pères fondateurs du festival. Moustache fournie et inséparable casquette marquent un personnage depuis toujours passionné de cinéma. » Le comité de sélection, dit-il, à toujours eu la volonté de représenter à sa juste valeur le film africain, conscient des difficultés de production cinématographique propres à ce continent. Si les structures de diffusion et de commercialisation des longs métrages africains sont faibles, elles sont quasi inexistantes pour le court : pas de dossier de presse, peu de publicité, ni d’action commerciale réellement organisée… Ainsi sur le marché du film, c’est le stand de l’Audecam, de l’ancien Ministère de la Coopération (rattaché maintenant aux Affaires étrangères), qui va représenter l’Afrique. Devant cette pénurie de moyens, l’équipe de sélection ne peut qu’accueillir avec bonheur les trop rares courts métrages de réalisateurs africains (trois films en compétition internationale). D’où cette année encore, la programmation de deux cycles » Regards d’Afrique « , hors compétition, pour la seule joie du public. « .
Une volonté de laisser la parole aux jeunes réalisateurs d’Afrique du Nord ou de culture arabe, souvent confrontés à une réalité difficile, avec toujours le besoin de revendiquer leur propre identité. Ils traitent de sujets d’actualité, des sujets graves, sans tomber dans les clichés. Souvent, ils visent juste : leur regard sur le monde est sans pitié, et on reste là sans plus oser respirer, pendant que défile le générique, à laisser passer l’émotion…
L’actualité, c’est la triste situation algérienne : le terrorisme intégriste, la tradition réactionnaire contre la libéralisation des moeurs… et toujours la population qui subit.
Avec son film Aïd El Kebir, la réalisatrice Karin Albou raconte l’histoire d’une famille vivant dans l’Est de l’Algérie qui prépare l’Aïd El Kebir (la fin du Ramadan). Le père, sur le point de mourir, souhaite que sa plus jeune fille, Hanifa, se marie. Pour elle, cette fête devient un affrontement entre la vie et la mort.
A travers Hanifa, déchirée entre ses devoirs familiaux et ses sentiments, et qui choisit finalement de fuir son pays pour rejoindre sa sur installée en France, c’est la révolte d’une jeune femme musulmane qui est représentée, sans autre solution pour elle qu’une rupture violente et irréversible avec sa religion et ses racines. Un film très fort, tourné avec de superbes images et une grande sensibilité.
Rachida Krim (réalisatrice de Sous les pieds des femmes, cf. critique dans Africultures n°3 et entretien dans le n°5) nous dépeint la situation des femmes en Algérie sous un autre angle, avec La Femme dévoilée. Cinq jeunes désoeuvrés d’Oran passent leurs journées à tuer le temps et l’ennui. Un jour, un pari est lancé : suivre et draguer la première femme qui passera. Harath relève le défi…
L’actualité c’est aussi la guerre, la folie meurtrière des hommes, le fanatisme aveugle… et puis l’après-guerre, la reconversion, l’oubli et la convalescence ; deux films sur Beyrouth après la guerre :
Le premier d’Hassan Zbib : Comment t’expliquer mère ? Dans une maison d’un autre temps, une mère écoute la lettre de son fils, un franc tireur, qui lui raconte sans le moindre remords et avec tous les détails le récit de son activité meurtrière…
Le second, Raddem de Danielle Arbid raconte l’histoire d’une jeune femme qui cherche dans Beyrouth ravagée par la guerre et la reconstruction, un homme qui a pris avant la guerre des photos de sa maison. Maison qu’elle n’a jamais connu qu’à l’état de ruines.
Plus proche de nous, l’actualité c’est encore la violence dans les cités, la réalité du chômage, la vision glauque d’une seringue dans une cage d’escalier : tel est le ton qu’a voulu adopter Nordine Halli dans son court métrage Sans Cité. L’histoire d’un jeune qui ne trouve pas de travail, qui tombe dans le piège de l’argent facile de la drogue et se fait poignarder. Désespoir et fatalité : un cliché ou une réalité ?
Plus intimiste, Amina, le premier film du réalisateur Thierry Jozé (voir entretien) aborde les sujets de l’intégration et du conflit des générations : une jeune » beur » essaie de » s’européaniser » mais la tradition familiale est trop intense. Un jour, le père la découvre dans un café, sans le voile, avec un garçon français. On peut voir dans le comportement du père la survivance d’une mentalité archaïque en décalage avec l’évolution du monde. Un film très apprécié.
Egalement en compétition Le café de la plage de Mohamed Ulad-Mohand, sur une plage de Tanger… (bof…)
Kinkeliba et biscuits de mer d’Almahdou Sy (Sénégal) : abandonnés à leur sort, des pères de famille s’inventent spontanément chacun leur petit dieu. Ainsi Saer, afin de préserver son emploi, doit offrir des clous à un mendiant aveugle et Ngalla, un poulet à un faux mendiant… Un petit film très réussi et amusant sur les fétiches improvisés et la superstition à outrance, caricature d’un comportement typiquement africain. On rit beaucoup lorsque la femme de Saer oblige son mari, qui casse une dent du peigne en se coiffant le matin, à garder le peigne dans ses cheveux toute la journée pour conjurer ce mauvais présage. Et toute la journée le pauvre Saer se promène avec son peigne cassé sur la tête, sans que personne ne le remarque ! D’ailleurs dans ce film, ce sont les hommes surtout qui subissent les excentricités » maraboutistes » de leur femme… Almahdou Sy avait déjà réalisé Crépuscule (1992, 26mn) et Venus de Nulle part (1995, 52 mn).
Le Truc de Konaté de Fanta Régina Nacro (Burkina Faso). De retour en ville, Diénéba offre un préservatif à Konaté, son mari. Furieux, celui-ci refuse de l’utiliser, mais Diénéba se refuse à lui. Auprès d’une autre femme, Konaté découvre son impuissance.
Des deux programmes » Regards d’Afrique » (en fait d’Afrique noire) présentés cette année, l’un est constitué de films récents soumis à la sélection des organisateurs, l’autre est une carte blanche à l’Audecam.
A1 : La Sodina de Camille Marchand (France-Madagascar, 1997), Les Bijoux de Khady Sylla (France, 1997), L’étranger venu d’Afrique de Joseph Kumbela (France-Suisse, 1998), Souko, le cinématographe en carton d’Issiaka Konaté (Burkina Faso-France, 1998).
A2 : Un certain matin de Fanta Régina Nacro (Burkina Faso, 1992), Fary l’ânesse de Mansour Sora Wade (Sénégal, 1989), Les Malles (Trésors des poubelles) de Samba Félix Ndiaye (Sénégal, 1989), Le Jeu d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie, 1998), Lunettes Noires d’Owell Albert Brown (Côte-d’Ivoire, 1997) et Le Franc de Djibril Diop Mambéty (Sénégal, 1994).///Article N° : 748