Le monde réenchanté de Moshekwa Mokwena Langa

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L’écrivain Abdourahman A. Waberi poursuit sa collaboration à Africultures en se penchant sur les oeuvres présentées en confrontation Afrique-Europe à la 7ème Biennale de Stuttgart (Allemagne), et notamment celles du jeune artiste sud-africain.

Les cartes géographiques biffées (1) pour retracer les contours fragiles d’un monde réinventé seul capable de supporter une mythologie toute personnelle, tel a été le premier travail remarqué du jeune artiste sud-africain né en 1975. Un monde réenchanté qui n’a de cesse de donner des coups de coude aux mythes de la pureté, de la justesse et de l’exaltation d’une race blanche et chrétienne qui tenait, il n’y a pas si longtemps, les rênes du pouvoir sous l’apartheid. Et Moshekwa Langa de défigurer rageusement les mappemondes comme pour gommer à jamais les conquêtes et les colonisations de la surface du globe.
Enfant précoce dans un milieu peu propice à l’éclosion artistique – il a été élevé par sa mère dans le KwaNdebele rural -, Moshekwa Langa s’est forgé tôt un alphabet, composite et astucieux, fait de cartes, de photos extraites de l’album familial, de feuilles arrachées aux cahiers de brouillon, de pages dérobées à l’annuaire et d’autres encore couvertes de symboles mathématiques et de formules chimiques. Ces signes, pour banals, économiques et universels qu’ils soient, n’en accomplissent pas moins un long voyage sous nos yeux car notre jeune homme est assez doué pour le détournement et les travestissements. Ses travaux ressemblent, à certains égards, à un jeu d’enfant et pourtant des artistes plus expérimentés et dotés de moyens autrement plus riches, n’en feraient pas autant. Elle est, peut-être, là l’une des clefs de sa réussite rapide et phénoménale (2) – l’inventivité alliée à l’économie des moyens. Même si, eu égard à sa jeunesse, son oeuvre, n’est pas à l’abri de la redondance et des errements. L’autre explication, c’est que Moshekwa Langa est intuitivement en phase avec les grandes interrogations historiques et artistiques de l’époque marquée profondément par le déconstructionnisme post-moderne. Les lieux, les réseaux de territoires, les peuplements et leurs inscriptions, la mondialisation des goûts, la migrance des codes artistiques, l’affaiblissement voire la disparition des anciens temples de la culture ou l’absence d’un discours unificateur en sont les saillies. Attardons-nous un instant sur trois exemples de son travail.
Ici, Moshekwa Langa réinvente à sa manière les vieilles routes commerciales qui ont fait, il y a quelques siècles déjà, la puissance de l’Europe et de l’Amérique par rapport au reste du monde. L’histoire et la géographie se donnent souvent la main pour faire éclater les tracés physiques et les frontières mentales. Là, s’appuyant sur son expérience rurale, il brouille les différences entre la ville et la campagne, le centre et la périphérie. Là enfin, des gribouillis d’écolier font écho à de vieilles photos de fermiers africaners -. l’ensemble tente de faire émerger une généalogie souterraine, en forme de palimpseste (3). Une nouvelle manière de dire l’ère post-apartheid et la « Nation-arc-en-ciel » dont il est devenu l’une des icônes modernes ? Ou l’esquisse « d’une patrie imaginaire » (Salman Rushdie) pour enfants rêveurs ?
Souvent, la part ludique est très importante chez lui. A preuve, les puzzles montés et exposés comme autant de tableaux aux côtés d’autres démontés et étalés sur une grande table blanche. Le tout est sobre – pas d’énigme à résoudre, point de discours. On ne bride pas l’imagination, mieux, on tire parti des contraintes du lieu et du moment :  » my work has no logical narrative « , dit-il à l’occasion.
Ce travail (4) a été présenté à la 7ème Triennale des arts plastiques de Stuttgart (5) dont le thème était justement la confrontation des artistes africains à leurs collègues européens. L’Afrique en question ne comprend pas le Maghreb, c’est dommage mais pas étonnant puisque 1’université allemande rattache aussi les pays maghrébins au monde arabe.
Le commissaire de l’exposition Werner Meyer, galériste dans la région, dit avoir voulu échapper au déjà-vu en ne misant pas sur la confrontation euroaméricaine attendue par le public et les institutions. On ne peut que tomber d’accord avec ses choix puisque la plupart des grands noms de la scène africaine actuelle (Mickaël Bethé-Selassié, El Loko, Jane Alexander, Tayou, Romuald Hazoumé, Abdoulaye Konaté, Moustapha Dimé, Douglas Camp etc.) sont présents, ce qui n’exclut pas, du reste, l’absence regrettable d’autres comme le Sénégalais Ousmane Sow. Les Européens ne sont pas en reste avec des valeurs sûres comme les Français Christian Boltanski et Fabrice Hybert ou encore l’Ukrainien Ilya Kabakov pour ne citer que quelques exemples.
On retrouve, bien sûr, des choses déjà vues ailleurs (Ah merci Revue noire !) comme les maquettes conçues par les ex-Zaïrois Body Isek Kingelez et Pume, les itinéraires philosophiques de Georges Adéagbo ou le bestiaire superbement colorié de Bethé-Selassié. On peut être agacé par les masques kitsch de Hazoumé. On est touché par l’exposition itinérante multimédia Difumbe de Fernando Alvim (des inquiétantes têtes de bébés-janus coulées noyées dans des aquariums) évoquant l’interminable guerre de l’Angola.
Le spectateur peu averti perdra souvent pied en s’évertuant à chercher des signes extérieurs d’africanité dans les oeuvres exposées. Cette triennale, abritée par une riche institution bancaire, sert au moins à battre en brèche la vieille rengaine de l’authenticité et ses alibis culturalistes qui reste encore utile pour justifier les exclusions et les cloisonnements qui ne montrent pas toujours leur vrai visage.

1. Les cartes, les dessins et les collages(sans titre) ont été présentés notamment à la Maison des Cultures du Monde de Berlin en 1995. Cette première sortie du jeune artiste a suscité des polémiques. Certains commentateurs ne l’ont pas trouvé « assez africain » tandis que d’autres lui ont reproché de reprendre à son compte la phraséologie absconse des artistes conceptuels blancs. Lui se joue des étiquettes et laisse dire.
2. On se l’arrache littéralement (« everyone wants a piece of him » note un journaliste sud-africain). En 1997 par exemple, le jeune prodige a répondu présent aux grands rendez-vous de la profession, notamment aux biennales de La Havane, d’Istanbul, de Johannesburg ainsi que Berlin et Linz (en Autriche) tout en étant en résidence à Amsterdam.
3. The Huntingpiece (installation avec photos, puzzle, aluminium), 1998.
4. La Triennale der Kleinplastik (Südwest LB Forum, Stuttgart) s’est déroulée du 17.10.1988 au 17.1.1999. Malheureusement, le catalogue n’est disponible qu’en allemand.
///Article N° : 681

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