Le Pari de l’amour

De Didier Aufort

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Les petits livres de poche de la collection Adoras édités par les Nouvelles Editions Ivoiriennes (NEI) se vendent comme des petits pains dans toute l’Afrique francophone. Calqués sur le modèle de la collection Harlequin, ces romans à l’eau de rose sont essentiellement lus par des femmes jeunes. Elles y trouvent une image positive d’une femme qui travaille et réussit – et mène de façon autonome sa vie amoureuse. Une femme qui agit à égalité avec les hommes. Mais quand elle se laisse aller à l’amour passionnel, elle s’y fait berner – nœud de l’histoire – et retrouve finalement la voie de la raison pour une saine happy end.
Dans Le Pari de l’amour, Caroline est coiffeuse, gagne un gros pactole à la loterie, est propulsée d’un coup dans le monde des gagnants, se laisse séduire par un homme qui en veut à son argent et la trompe, quittera l’homme avec qui elle allait se marier, mais doit douloureusement se rendre à l’évidence et revient à son premier amour qui l’attend les bras ouverts.
Avec des costumes d’Alphadi, Claire Kane et autres stylistes célèbres, des acteurs et actrices plus beau les uns que les autres, du champagne dans chaque verre et des palaces au bout du monde (Abidjan, Paris, Dakar), ce qui arrive à Caroline est l’impossible soudain possible : l’énonciation d’un rêve parfait que ne vient assombrir que les aléas de l’amour. Car le sujet du film, loin de toute sociologie réaliste, hors de toute crédibilité, est là et n’est que là : à la manière d’une chanson d’amour, il conte une tranche de vie bien délimitée où la chance sourit, la passion égare et le retour à la réalité est triste mais heureux puisqu’il permet de découvrir où se situe le vrai amour.
Retour à la réalité ? Non, car il faut préserver l’image d’un amour parfait auquel chacun a droit, et qui ne peut déboucher que sur le mariage. Le problème est seulement de ne pas se laisser duper par l’homme, mais aussi par ses propres envies. Et l’exercice est difficile, puisqu’il faut interpréter son trouble pour l’autre, identifier son amour. Car, même si Le Pari de l’amour est très prude, le désir et le sexe y sont présents : Caroline succombe alors qu’elle restait raisonnablement à distance de son futur mari – et bien sûr, c’était divin. Le dénouement sera donc un sauvetage, une rédemption éthique, un retour à une norme qui reste quand même l’illusion de l’amour idéal.
Certes, le couple de départ, Caroline et Jean-Baptiste, a changé dans l’expérience de la séparation. Elle a appris à maîtriser ses pulsions et lui s’est décoincé : ils ont en fait convergé vers davantage d’égalité.
Si le retour de l’enfant prodigue est bien orchestré par le scénario, il n’en reste pas moins que la relation amoureuse (y compris sexuelle) était de l’ordre de l’éblouissement, du ravissement, du merveilleux. Le seul défaut du séducteur est d’être un filou, un goujat infidèle, trompeur et menteur (le scrabble joué dans le film donne même le vocabulaire).
Opium des femmes ? Aliénation mercantile ? N’accablons pas de notre mépris intellectuel ou politique une production vibrant d’évasion et de rêve. Certes, le message est parfaitement intégrant (trouver l’homme idéal), apolitique (la sourde réalité est détestable), misogyne (seules les femmes sont dupes) et mensonger (l’amour comme solution à tous les maux) ! L’anathème est-il de mise ? Voyons-y plutôt une chance parmi d’autres d’une production endogène d’images alternatives aux soap et telenovelas dont sont abreuvés les publics africains par télévisions interposées. A quoi bon produire des images africaines si c’est pour répéter la même aliénation ? Parce que même extrêmement normatives, les histoires d’Adoras ont aussi leur dose de modernité : une positivité contre l’afropessimisme, la revendication égalitaire des femmes, l’apprentissage de la méfiance face au désir des hommes, le couple comme libre association de deux êtres autonomes. C’est à ce niveau que l’histoire de Caroline est initiatique et que de jeune fille influençable elle devient femme capable de choix. Son amour passionnel est un voyage : elle en accepte l’aventure, les risques inhérents à une plongée dans les sentiments, mais aussi l’épreuve et l’enseignement.
Le Pari de l’amour a les contradictions d’un griot des temps modernes : il est à la fois initiation émancipatrice et aliénante intégration.
Tourné et interprété avec soin, il se laisse regarder avec plaisir et bien que fort prévisible, sait tenir le spectateur en haleine.

Côte d’Ivoire, 97 min, 35 mm, 16/9, avec Isabelle Beke (Caroline),Djedje Apali (Jean-Philippe), Virgile M’Fioulou (Armand), Aissatou Thiam (Kady), Patrick Kodjo Topou (Guy), Virginie Racosta (Lucie). prod. Dialogue Production, Martine Ducoulombier ([email protected], +225 22 44 18 49)///Article N° : 2739

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