Le Sexe des morts

De Emmanuelle Ohniguian et Tobie Nathan

épisode 1 : Cynthia / épisode 2 : Le Cafre
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Dans L’influence qui guérit (Ed. Odile Jacob, p. 332), Tobie Nathan résumait la position de l’ethnopsychiatre : respecter le patient en respectant ses divinités, ses manières de faire, ses docteurs, ses objets de culte et en considérant qu’il est aussi un exilé. Les deux heures passées ici autour d’une table en sa compagnie, celle de son assistante et d’une famille réunionnaise confrontée aux comportements dérivants de leur jeune fille sont un étonnant et passionnant témoignage de cette méthode. Le père et la mère sont à la première séance. Une sœur et deux frères de la mère viennent se joindre à eux pour la deuxième. Il est d’abord question de Cynthia, 8 ans, qui a des comportements sexuels anormaux. Mais un grand absent se fait peu à peu présent : le grand-père, mort et enterré mais qui revient et, obsédé par la douloureuse expérience des nègres marrons, réclame la parole…
Jamais la rationalité n’est évoquée : on accepte ici des données irrationnelles et Nathan propose des solution traditionnelles, respectant la culture des personnes qu’il tente d’aider. Nathan est au milieu, fort d’une expérience que l’on sent énorme, y puisant une impressionnante intuition, s’appuyant sur son assistante créole (on sent derrière le travail d’une équipe) à qui il demande des références culturelles supplémentaires. Tout tourne autour de ce personnage central qui appelle la parole et la distribue. On sait que cela en agace certains : le film peut apparaître comme une auto-célébration. Il est pourtant bien autre chose : la visualisation par l’exemple d’une méthode. La vraie famille n’est pas exposée à l’écran : des acteurs professionnels la remplacent. Il s’agit donc d’une reconstitution – et cela aussi est une marque de respect.
Il se passe là quelque chose de fondamental : l’édifiante révélation de l’irréductibilité d’une culture, de l’importance de la prendre en compte pour soigner, de la confiance dans les instruments thérapeutiques qu’elle a su développer au cours des âges. C’est cette humilité d’une thérapie qui ne se prend pas pour universelle qui émeut, une approche de l’humain qui ne l’enferme pas dans une conception unique.
C’est aussi la conscience que face à cette disponibilité, les patients s’expriment plus librement, modifient moins leur discours pour s’adapter à l’interlocuteur. Le groupe familial autant que l’équipe clinique sont là essentiels : ce n’est pas une relation duelle mais une vérification, une contradiction permanente.
A la vue d’un tel film, je le répète si étonnant qu’on en reste scotché à son siège (on voit le grand père véritablement posséder chacun des membres de la famille), on revient sur le rejet des pratiques ancestrales de sacrifices sanguinolents, voire de ces thérapeutes de fortune, ces marabouts des cités HLM qui tirent les cauris aux déprimés de passage. Après tout, ne trouve-t-on pas un peu partout des personnes parfaitement sensées et rationnelles s’adonner à des rites que tous s’accordent à qualifier d’archaïsmes irrationnels ? Ce que nous dit Nathan n’est pas de tout prendre pour argent comptant mais de chercher à comprendre pourquoi elles y croient, sans forcément revenir à son propre schéma explicatif, c’est-à-dire de sans arrêt soumettre ses conclusions à l’expertise des personnes considérées. Une belle leçon dans un monde en globalisation accélérée où l’on finit par croire que tout être n’est plus que le produit du système global au détriment de sa propre origine, celle-ci évoluant à grande vitesse sous la pression de l’information et du marché planétaire. On en a pas fini avec les groupes et ce n’est pas à Africultures (où nous luttons contre le communautarisme et les identités figées mais défendons la richesse de la trace culturelle) qu’on ira nous dire le contraire.

///Article N° : 3045

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