Le Soleil assassiné

D'Abdelkrim Bahloul

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La mer s’étale au grand soleil dès les premières images. Visible par les fenêtres, elle  » s’encadre  » pour reprendre l’expression de Braudel dans L’Histoire de l’Algérie et l’iconographie. Elle marquera tout le film. Cette mer est la Méditerranée, à la fois lien et distance entre l’Algérie et la France. La voix de Souad Massi envahit l’écran, soulevant une immense mélancolie :  » une mélancolie profondément méditerranéenne. Solaire. Un peu tragique aussi. Terriblement fin de siècle  » (Raphaël Millet, Cinémas de la Méditerranée, cinémas de la mélancolie, L’Harmattan 2002).
Un vrai fado. Parce que ce film est un constat d’impuissance face au massacre des espoirs de l’indépendance. Histoire de jeunes algériens proches de Jean Sénac, poète français resté en Algérie et encourageant la jeunesse à s’affirmer, Le Soleil assassiné est une initiation à l’âge adulte. En assassinant Sénac dans la cave où il s’était retiré en 1972, le régime assassine les illusions d’une génération qui avait toutes les chances de son côté.
 » La poésie doit avoir pour but la vérité pratique « , disait Sénac dans son émission radiophonique  » Poésie sur tous les fronts « . Ce groupe de jeunes à qui l’on interdit de jouer la pièce de théâtre qu’ils ont écrite sous prétexte qu’ils la jouent en français perçoit à quel point Sénac est un personnage emblématique de la force naissante de l’Algérie : la richesse de sa diversité culturelle et linguistique.
L’énergie des jeunes confère bien sûr à la biographie de Sénac une sensibilité que n’aurait pas eu la froide exposition des faits, si bien que le film passionne de bout en bout. Il apporte une pierre non-négligeable à la compréhension de la dérive algérienne et complète par cette éloge de la diversité le regard des femmes tel qu’on le trouve par exemple dans Sous les pieds des femmes de Rachida Krim qui montre en quoi la condition rétrograde de la place faite aux femmes contribua aux blocages de la société.
L’homosexualité de Sénac ne semble pas être un sujet pour Bahloul qui la traite avec distance, se contentant de la signaler comme faisant partie de la richesse de son personnage : sa façon de la vivre renforçait sa dignité. On imagine ce qu’un Chéreau ou un Pasolini auraient fait du film, rendant au personnage la corporalité que cette distance lui soustrait. Bahloul préfère s’appuyer sur la forte présence de l’acteur Charles Berling et ne pas en rajouter. Et table sur le beau physique de son jeune acteur Mehdi Dehbi (tout à fait convaincant) pour montrer qu’en ne lui faisant aucune avance, Sénac respectait totalement les jeunes qu’il soutenait.
Bien sûr, des trucs de scénarios sont un peu trop visibles, comme le briquet ou la photo de la plage. Bahloul n’a pas résisté non plus à mettre une bonne dose de théâtralité dans la tirade autobiographique de Belkacem en fin de film. Mais ce ne sont là que défauts superficiels : il reste un film poignant, au ton juste et captivant, où à travers le personnage de Sénac, c’est la dignité d’un peuple qui est rappelée comme un devenir encore possible.

///Article N° : 3069

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