Plus se développe à l’extérieur le marché de la photographie africaine, et plus il est question de savoir si celle-ci existe en soi, cohérente dans une présentation panafricaine et introspective, marquée par l’absence de l’image de l’Autre. Est-il encore possible de s’identifier dans la photographie africaine? Véritable symposium international, ces rencontres ont fait état des enjeux artistiques à saisir par une profession à la fois dynamique et fragile.
Cette édition 2001 des Rencontres de Bamako se décline sous la forme de très nombreuses expositions. Autour du noyau constitué par l’exposition internationale Mémoires intimes d’un nouveau millénaire, sont articulées des expositions nationales, monographiques et thématiques. Le circuit officiel propose aussi ses « contours », ou expositions annexes conçues par des structures officiellement partenaires, ainsi que de nombreuses animations. C’est en tout plus de 2000 clichés exposés, 140 photographes et 35 pays représentés. Une petite semaine ne suffira finalement pas pour sillonner la ville et faire le tour de la manifestation. Car de son coté, le off est composé d’une constellation de petits lieux, restaurants et galeries de circonstances qui montrent, en cette première semaine, de la photographie.
Fruit d’un financement essentiellement européen, coordonné par l’Association Française d’Action Artistique, la manifestation mobilise aussi toutes les énergies de la logistique culturelle de l’Etat malien. Pour la première fois, signe d’une volonté d’implication grandissante, le Mali s’est investi financièrement dans cette opération. Du côté de la conception artistique et des choix de présentation, ce sont deux directeurs artistiques africains, le Camerounais Simon Njami (Revue Noire), doublé du Malien Chab Touré (Galerie Chab à Bamako), qui ont collaboré afin de donner une tournure populaire à cette nouvelle édition.
La majorité des uvres exposées portent un regard sensible, en noir et blanc, sur des faits quotidiens, des fragments de société, sans que soit fortement affirmé un parti pris artistique. La fonction de « capture visuelle » des photos en définit alors les thématiques : ambiance de rues, intérieurs, activités diverses. Mais cette photographie se manifeste alors comme intégrée dans un ensemble qu’elle ne cherche pas particulièrement à raconter ou à expliquer. On peut citer pour exemple les espaces de l’ivoirienne Hien Macliné, entre l’homme et l’eau, qui font l’affiche des rencontres. On retient l’efficacité du travail d’enquête de certains ténors tels que Ricardo Rangel (Mozambique), qui saisit l’âme nocturne de la prostitution du Maputo des années 60, de Bill Akwa Bétoté (Cameroun) qui traque l’instant magique des musiciens africains modernes, ou encore de David Damoison qui dévoile les aspects les plus africains de la Martinique. D’une manière générale, les travaux les plus accrocheurs y gagnent face à la quantité des uvres plus nuancées. Ici, une poésie du minuscule grâce à la photo macro de Mamadou Konaté (Mali) ; là, le jeu provocateur et iconoclaste d’une photographe marocaine (Yasmina Bouziane), qui parodie le style de la photo de studio en mélangeant des registres culturels et commerciaux.
Est-ce cela qui pourrait faire une des particularité de la photographie « africaine », un regard endogène qui ne se soucie pas de son accessibilité pour des regards extérieurs ? Ou est-ce tout simplement l’effet produit par la gratuité d’un regard artistique ? Cette impression est renforcée par le parti pris de l’accrochage, à savoir l’absence généralisée de légende ou de titres aux photos, leur ôtant ainsi tout caractère documentaire. A l’inverse, le format standard des tirages de presque tous les exposants, 30 x 40cm, est une contrainte qui atténue le particularisme des uvres dans leur perception. Les artistes échappant à cette mise en forme sortent d’autant plus du lot.
La tradition du portrait est bien sûr très présente, issue des studios photos ou de l’activité des photographes itinérants, avec les générations qui suivent ceux qui, comme Seydou Keïta et Malick Sidibé, ont fait le renom de la photo africaine. C’est sans doute dans ce domaine, que l’on ressent le plus un sens esthétique africain et populaire, dans la manière dont les gens souhaitent être représentés. Dans l’exposition nationale de RDC, les photos en studio de la jeunesse zaïroise des années soixante-dix montrant fièrement ses biscotos témoignent d’une photo qui se popularise, loin des poses endimanchées sur fond de décor peint hérités de l’époque coloniale. On continue constamment de découvrir de nouvelles personnalités de ce genre photographique. Dans toute l’Afrique, nombreux sont ces anciens, photographes ignorés, qui ont accompli dans quelque ville reculée le travail d’une longue carrière d’artisan. Suivant l’exemple du Malien Sadio Diakité révélé cette année, ils sortiront de l’ombre.
A l’inverse, dans la photo contemporaine, des jeunes, tels Eileen Perrier (Ghana), Angèle Etoundi Essamba (Cameroun) ou Omar D. (Algérie) s’investissent déjà dans un portrait plus subjectif, reflet de la volonté de l’artiste plus que celle du modèle. Patrick-Felix Tchicaya (Congo/France) en vient, lui, à bouleverser directement le procédé du portrait, filmant des modèles figés dans un face à face psychologique avec la caméra, tendance photomaton (installation vidéo). Alioune Bâ, photographe bamakois, reconnaît quant à lui avoir une démarche si personnelle dans son travail sur les détails de ses modèles qu’il ne peut souvent pas leur en montrer le résultat, au risque de susciter l’incompréhension. Les rencontres ont dans ce sens le mérite de donner un espace de présentation aux travaux singuliers, de leur conférer une certaine reconnaissance qui fait aussi son chemin au sein d’un public malien.
Dans les expositions nationales, on perçoit globalement différents niveaux de sensibilité et de vitalité qui marquent les contextes nationaux. La création au Nigeria, exposée dans les salles lumineuses du Mémorial Modibo Keïta, est sans doute l’une des plus forte grâce à ses jeunes artistes : la sensualité du travail de Kelechi Amadi-Obi, l’humour anecdotique d’Uchechukwu James-Iroha ou le regard vigilant de la photographe Toyin Sokefun. L’Afrique du Sud se démarque de même par l’originalité des démarches artistiques, avec une mise en avant des contributions féminines, sans parler de la prégnance du travail testimonial de la photographie sous l’apartheid. Ces deux pays sont aussi ceux qui ont le plus d’avance en matière de technologie photographique, à la portée de la bourse des artistes, et cela crée une sérieuse différence avec les autres. Mais les expos de la Côte-d’Ivoire, du Maroc, du Mali et de la RDC créent aussi moins de surprise.
Dans l’ensemble, le créneau de la photo journalistique ou de reportage est évacué, même si la violence reste un thème abordé : celle des manifestations abidjanaises (Fatogoma Silué) et sud-africaines, ou encore celle d’une justice populaire, crémations nigérianes réglant le sort des voleurs pris sur le fait (Yemi Odebunmi). Les problèmes du photo-journalisme, du statut des professionnels, de la diffusion et conservation des photos auront été abordés au cours des 4 jours de séminaire, avec des représentants des grandes structures internationales publiques ou privées telles que les agences de presse. Afriphoto (www.afriphoto.com), la photothèque initiée par Africultures, est présentée aux professionnels dans la perspective d’un outil opérationnel servant la diffusion de la photographie issue du continent. Deux photographes exposés, du Congo-Kinshasa, Simon Tshiamala et Anicet Labakh, y trouvent une première solution pour pallier aux manques de débouchés locaux de leur travail. Le statut du photographe de presse, le respect de ses droits d’auteur restent de nos jours problématiques dans la plupart des capitales africaines. L’image numérique, via internet, offre dans ce domaine des perspectives d’avenir sur le marché international.
Plusieurs initiatives ont fait preuve d’un sens de l’innovation pour privilégier l’accès du public bamakois à la photographie. Les projections en extérieur et sur écran géant d’un diaporama des photos du catalogue ont été accompagnées musicalement par différents groupes maliens tels que Néba Solo, Djagwara Sali, Koko Dembélé et Roberto Magic. La perception des uvres en changea radicalement, qui purent capter l’attention d’autant plus que l’image rentrait en vibration avec la musique d’accompagnement, synergies imprévisibles.
Autre diversité des lieux, les mairies des six communes de la ville présentent aussi la production des photographes locaux, alors que le marché du village de Dialakoroba, excentré à 50 km de Bamako, reçoit l’exposition du travail du photographe Diango Cissé sur la vie de ce village.
Enfin, l’esprit le plus novateur nous vient de la « rue photo » initiée par la Galerie Chab, avec des expos accrochées à même les devantures des concessions avoisinantes. Le quartier est en fait sollicité par le travail des photographes de la galerie et fréquente en retour les expositions de celle-ci. La curiosité volatile des enfants du quartier s’y exerce volontiers. De plus, cette galerie est pratiquement le seul lieu à exposer aussi de la photographie occidentale pour elle-même. C’est l’occasion pour les professionnels et le public bamakois d’appréhender les préoccupations artistiques et le niveau d’une production photographique étrangère, surtout lorsqu’on sait que les moyens de productions photographiques y sont nettement supérieurs. La présence du travail du Collectif Tendance Floue, ouvre à cette occasion une fenêtre sur l’expérience originale d’un dialogue entre l’Afrique et sa diaspora, où les photographes et les médias (RFI) jouèrent le rôle d’intermédiaire.
Cet aperçu de ces rencontres ne saurait être exhaustif, tant elles ont créé de ramifications dans divers lieux de la ville. Souhaitons que nombre des photographes auront trouvé de nouveaux débouchés à leur travail, qui puissent améliorer leur vocation au quotidien. Car la profession reste précaire et il est rare qu’elle subvienne entièrement aux besoins de ceux qui la défende, en témoigne l’exposition sur les photographes ambulants du Togo, Bénin, Nigeria, où la plage est le dernier lieu où pratiquer à moindre frais.
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