Ce colloque s’est tenu les 27 et 28 octobre 2010 durant la 23ème édition des Journées cinématographiques de Carthage. Il était organisé par Hamid Aïdouni (Université Abdelmalek Essaadi, Tétouan), Kamel Ben Ouanès (Institut Supérieur des Langues, Tunis), Patricia Caillé (Université de Strasbourg, LISEC 2310), Florence Martin (Goucher College, Baltimore) et Karine Prévoteau (IRCAV, Paris 3). Les actes du colloque seront intégrés à un dossier d’Africultures sur les cinémas du Maghreb courant 2011. On n’en trouvera donc ci-après qu’une courte synthèse.
Il était intéressant, après le mot de bienvenue de Tarek Ben Chabanne, délégué artistique des JCC, de laisser Pierre-Noël Denieuil,directeur de l’IRMC de Tunis, introduire le colloque. (1) Il a en effet restauré l’importance du cinéma en tant que fait social total, miroir des sociétés que les chercheurs en sciences humaines ont tendance à sous-estimer en pensant qu’on rend mieux compte du réel par l’écrit que par l’image.
Pour préciser l’esprit du colloque, Patricia Caillé (Université de Strasbourg, LISEC 2310) l’a inscrit dans l’espace de production et de circulation des films, et dans le rapport des individus aux films, en écho au colloque des JCC 2008. Que recouvre l’expression « cinémas du Maghreb » ? Quels imaginaires y sont rattachés ? L’enjeu du colloque est dès lors de faire émerger un réseau favorisant l’échange entre universitaires, critiques et réalisateurs, avec pour perspective une circulation et mobilité plus grande des films, chercheurs et étudiants. Mais comme l’a souligné Florence Martin (Goucher College, Baltimore), les cinémas du Maghreb constituent une catégorie à part, « en devenir » comme le disait Tahar Chekhaoui en 2009. Un colloque tenu à Paris a pris les films de femmes comme objet d’étude. Les dix dernières années ont en effet vu 24 longs métrages de fiction réalisés par des femmes. Ce ne sont pas des histoires de femmes convenues. Farida Benlyazid disait qu’elle « allait là où on ne l’attend pas ». Par le biais de l’intime, des formes nouvelles sont recherchées tandis que certaines réalisatrices refusent le carcan d’un « cinéma des femmes ».
Nour-Eddine Saïl, directeur général du Centre cinématographique marocain, a insisté dans son introduction générale au colloque sur la grande mutation du numérique. Cependant, « si un peuple n’a pas envie de s’exprimer par le cinéma, on se passera de lui », a-t-il remarqué pour en appeler à l’action : « Un pays qui ne décide pas de façon prioritaire de produire ne résoudra aucune des interrogations que nous posons ». La question de la diffusion vient derrière, car sinon « c’est la consommation de produits fabriqués par d’autres ». Et d’affirmer que « la salle est immortelle », lieu de « consommation intelligente qui constitue un partage qui donne à l’individu social une existence confortée dans son individualité car il éprouve la même chose que d’autres. Le dvd est un plaisir onaniste à domicile mais ne comporte pas ce partage qui est un vrai plaisir ». Le numérique ne change pas la donne : « Laissons la quincaillerie à sa place et parlons cinéma ! Le film ordonne la vie. La façon qu’a l’auteur qui me regarde dans la salle d’ordonner mon regard pour le mettre en adéquation avec le sien, seul le cinéma a cette puissance. »
L’Etat doit participer et les succès des films marocains confirment le bien-fondé de cette volonté. La numérisation des salles est une nécessité, mais « sans jamais oublier qu’il ne faut jamais négocier à la baisse la nécessité de produire nos propres images. » Ensuite, des multiplexes comme au Caire qui comporte ainsi 280 écrans, des salles de qualité et de la vie autour des salles assurent le succès : le Mégarama est maintenant rentable alors qu’il ne l’était pas il y a six ans.
Lors de la loi de 1975 de marocanisation des entreprises qui obligeait de faire passer 51 % aux Marocains, les propriétaires souvent étrangers des salles (40 millions de tickets vendus à l’époque, moins de 4 aujourd’hui) ont laissé la place aux exploitants « qui se sont faits de l’argent qu’ils ont investi ailleurs ». Fin années 80, la poule aux ufs d’or s’est tarie avec la montée du cinéma à domicile avec 2M, sosie de Canal +. Il n’y avait pas la passion de l’exploitant de salle qui accompagnait le spectateur. Les salles ont péréclité. « La responsabilité assassine est là : ils n’ont pas saisi l’opportunité de diviser les salles et de les entretenir. On paye les manques du passé ! ».
Sur une question de Solange Poulet (Aflam, Marseille) sur la numérisation des fonds d’archives, Nour-Eddine Saïl indique que la vie du numérique est de dix à vingt ans : il n’y a que le négatif qui est éternel. « Notre mémoire marocaine est en France », a-t-il poursuivi en référence à l’INA. « Il y a quatre ans, j’ai demandé au directeur de l’INA à qui appartiennent les images : à celui qui a filmé. Mais quel est le propriétaire des images tournées dans un pays où on n’avait pas le droit de filmer quand on était du pays ? Les images tournées au Maroc devraient appartenir au Maroc. Et quand on dit cela, on devient antipathique ! » Il a cependant été décidé récemment de mettre en dvd toute la production marocaine (environ 300 films) pour une large diffusion.
Cette table ronde réunissait directeurs de salles et de festivals. Mahjouba Aït Bennasser (Festival de Fameck) cherche depuis vingt ans à impliquer les jeunes des quartiers pour découvrir la richesse cinématographique du monde arabe en travaillant avec la Ligue de l’enseignement. Différents projets tout au long de l’année permettent un contact de proximité avec une soixantaine de salles du département, et des actions auprès des scolaires permettent de toucher 2000 enfants.
Habib Bel Hedi, producteur et distributeur qui dirige la salle Cinémafricart à Tunis, signale que ce sont les jeunes qui tiennent la salle. En programmant des films tunisiens et des documentaires, il a pris un risque, a perdu de l’argent au départ mais les choses se sont développées, notamment grâce à un ciné-club qui propose un film par semaine. Le Cinémafricart est devenu un laboratoire de recherche. Les cycles ont fait salle comble, même Godard a bien marché. Un noyau dur de 50-60 personnes ne rate aucun ciné-club. Sur 180 salles à l’Indépendance, 18 salles survivent, dont 12 à Tunis, et seulement 2 en dehors du centre-ville.
Melik Kochbati a créé le Festival du film tunisien à Paris en 2008 car les films tunisiens n’étaient pas distribués en France. Les salles y sont pleines d’expatriés tunisiens.
En rappelant que le Festival des cinémas d’Afrique d’Angers(150 000 habitants) a 26 ans, Myriam de Montard a indiqué que tous les mois, le festival organise des projections de films d’Afrique à l’université et des projections exceptionnelles en salles de cinéma, en lien avec des associations angevines. Le festival regroupe environ 15 000 spectateurs.
Mouloud Mimoun, qui dirige le Maghreb des films à Paris et en Province, estime que la mode des festivals a défavorisé la distribution en salles. Aux Trois Luxembourgs, salle du quartier latin, le festival a drainé 4000 spectateurs en 2009 sur trois semaines, mais sans mobiliser le public maghrébin.
Marseille a 830 000 habitants dont au moins 150 000 d’origine maghrébine, mais sans que les films maghrébins y soient montrés. Comme le rappelait Michel Serceau, Aflam organise des cycles thématiques depuis près de dix ans, relais de la Biennale des cinémas arabes de l’IMA au départ, avec une caravane des cinémas arabes dans la région. Une convention est passée avec une salle privée mais aussi avec des salles associatives, tandis que des rencontres professionnelles et des séances scolaires viennent compléter ce travail. La collaboration avec des associations (notamment l’Union des femmes musulmanes) permet de toucher les publics des quartiers, mais « un public se construit : il ne vient pas de lui-même, c’est un travail constant ! ».
Comme le signale Naceur Sardi, l’ATPCC (association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique) organise des journées du court métrage qui connaissent un engouement extraordinaire (7 séances sur 3 jours), ainsi que les journées du cinéma tunisien depuis 2005 pour présenter les films tunisiens du patrimoine. Une enquête a montré que tout le monde se souvient de son premier film en salle mais personne de son premier film vu en dvd !
Le Maroc se dégage par ses 56 festivals annuels qui reposent avec acuité la question des salles. Mohammed Bakrim (CCM, Maroc) note que les salles de proximité peuvent aider les jeunes à présenter leurs travaux mais sont aussi souvent des patrimoines architecturaux. Mais, comme le souligne Patricia Caillé, on tend à opposer le festival et la salle de cinéma alors que chacun contribue à développer l’autre. Cependant, selon Yazid Khodja, les300 festivals en France ne contribuent guère à la carrière d’un film. Les festivals préparent l’arrivée en salles avec, indique Karine Prévoteau, des équipes qui travaillent dans le temps, mais « en tant que distributeurs, nous ne donnons plus le film gratuitement aux festivals : il y a des minimums garantis car ils épuisent le film dans leur région ». Pour Michel Serceau, « il faudrait non construire mais reconstruire le public, alors que la critique est devenue un cénacle qui ne touche plus personne ».
Morgan Corriou (Université Toulouse-le-Mirail) a réalisé un travail historique sur le cinéma tunisien qui montre qu’au départ, les salles de cinéma sont des lieux de rassemblements et de fêtes, plutôt urbains ou périurbains. Il n’y a pas de croissance du public à l’Indépendance, ni de réelle explosion du film égyptien : le film hollywoodien continue de prédominer (40 %) et la France suit (30 %), tandis que le cinéma tunisien est le grand absent. Le cinéma non-commercial (scolaire, cinébus, ciné-clubs) est très important et on parle d’un esprit ciné-club comme lieu de formation de l’individu, souvent animé par des enseignants et militants de gauche comme Tahar Cheriaa à Sfax. Les films de Chahine et Abu Saïd, l’importance du cinéma néoréaliste font de ces ciné-clubs des lieux d’éveil social et de formation initiale pour de nombreux réalisateurs tunisiens.
Pour Karine Prévoteau (IRCAV, Paris 3), le lien est fort entre la diplomatie culturelle et le champ du cinéma. En France, la part des films américains est relativement égale à celle des films français, ce qui laisse 12 à 15 % pour les autres films. Les entrées ont remonté grâce aux multiplexes et la croissance du nombre de films, mais la structuration du public ne bouge que sur les spectateurs occasionnels (88 millions des entrées, soit 40 %). Certains films maghrébins sont de grands succès, notamment tunisiens, comme Halfaouine.
Moulay Driss Jaïdi (enseignant-chercheur en cinéma et audiovisuel, Maroc, blog cinemaroc.wordpress.com) a questionné la notion même cinéma maghrébin. C’est un cinéma dont la créativité est reconnue mais qui se développe différemment selon les pays et qui souffre de problèmes de distribution. Le cinéma marocain fait figure d’exception depuis la reprise amorcée par A la recherche du mari de ma femme de M. A. Tazi (1993) qui a réalisé une recette de 3 528 885 Dh. 450 000 spectateurs marocains ont vu Ali Zaoua avant qu’il ne soit programmé dans vingt pays, Casa by night a été vu par plus de 340 000 spectateurs marocains. Cette renaissance est liée à une volonté politique qui s’est avérée payante depuis l’instauration du fonds de soutien : 10 à 15 longs métrages par an, mais la promotion des films reste à faire à l’étranger.
Après la télévision (1970) et l’invasion satellitaire (1995), le phénomène du piratage est venu enfoncer le clou : le cinéma n’est plus la « culture du pauvre ». Le Maghreb reste divisé. Maghreb cinémas fut fondé au festival de Locarno en 2005 par une trentaine de réalisateurs pour représenter tout le Maghreb et dialoguer avec l’Europe.
Tandis que Carrie Tarr (Kingston University), spécialiste du cinéma issu de la diaspora maghrébine en France, se demandait si le film Marock, tourné avec un financement français, est un film maghrébin, j’intervenais pour indiquer que cela me semblait secondaire. S’il me semble essentiel de faire appel aux théories postcoloniales, c’est en tant que théories critiques analysant les traces des représentations coloniales plutôt que comme la source d’une essentialité identitaire ou de la définition d’un territoire. Dans le cas de Marock, c’est la critique de son contenu qui importe.
Selon Kamel Ben Ouanès, si la cinéphilie a disparu et que les salles disparaissent, c’est peut-être que le cinéma est au centre d’un enjeu politique. Pour le peuple, le cinéma fut un instrument d’éducation de masse et de prise de conscience. Les enjeux du cinéma sont ceux du statut du citoyen dans la cité.
Patricia Caillé (Université de Strasbourg) a réalisé une très intéressante étude sur le Panorama des Cinémas du Maghreb à Saint-Denis pour appréhender les termes et les enjeux de la réception. La tradition française de la sociologie de la culture s’appuie sur les classes sociales et se construit sur une conception hiérarchisée de la culture qui s’attache davantage aux pratiques qu’aux activités des individus. Les cultural studies rejettent ce légitimisme culturel et tentent de sortir des hiérarchies en restant attachées aux méthodes empiriques tout en restant sceptiques sur l’analyse des contenus.
Le projet national français vise à une démocratisation de la culture tandis que le Panorama est lié au fait minoritaire de cultures qui ne sont pas représentées à leur juste valeur, pour combler ce manque. Le Panorama ajoute un enracinement local, contre la dictature de l’audiovisuel dans la démarche de vivre ensemble, au carrefour de publics différents : il rappelle l’importance du cinéma comme pratique culturelle légitime, et reproduit les pratiques de la culture de cinéma (exigence de contenu, de forme, valorisation du débat). Un écart sépare ceux qui se positionnent contre l’absence de visibilité des cultures et ceux qui affirment un intérêt pour les films. Le positionnement met en avant un ici qui est le lieu du débat et un là-bas qui est le cur du débat. Les débats portent sur ce que devraient faire les cinémas de ces pays. C’est en définitive plus l’émigration génératrice de réflexions fortes sur le pays d’origine que l’immigration qui est en cause.
C’est ainsi que, comme le rappelle Will Higbee (University of Exeter), Denise Brahimi (50 ans du cinéma maghrébin) identifie les trois lieux du cinéma maghrébin : les pays du Maghreb (géographique), la France (relationnel), et un lieu intermédiaire / multiple / construit qui ouvre un cinéma transnational et diasporique. On voit alors des films maghrébins à succès et les stars d’origine maghrébine s’imposer à l’écran.
Pour Kamel Ben Ouanès, le film maghrébin n’existe pas en Tunisie : on devient maghrébin quand on va en France ! Sauf festival, on ne voit pas les films marocains. Comme le rappelle Patricia Caillé, c’est au sein de l’Histoire de l’immigration en France que l’expression trouve son sens : « Quand un film circule, on le déracine mais on le réenracine ailleurs en établissant des liens avec ceux qui le voient ». Cela peut aussi faire référence à des préoccupations partagées par des cinématographies nationales.
Mohamed Bensallah (Université d’Oran, festival du film amazigh)insiste sur le manque d’une critique qui ne soit pas superficielle. Le métier est dévalorisé car les médias ne cessent de propulser des personnes qui n’ont pas la qualité. On tombe sur une critique acerbe, sans fondement, nuisible ou parfois élogieuse. Une rigueur est nécessaire, et de remettre en action des lieux de convivialité où une éducation est à l’uvre, dans l’acceptation du point de vue de l’autre.
Intervenant à cette table-ronde, j’eus l’occasion de revenir sur la dévalorisation de la critique qui me semble liée à sa position d’Hermès, bienveillant guide et conducteur des âmes, médiateur, « passeur » pour reprendre l’expression de Serge Daney, en somme dotée d’un pouvoir pastoral envers les cinéphiles, alors même qu’aujourd’hui, l’enjeu est de détrôner une culture qui se croit supérieure à un public devant recevoir la lumière. La culture se fait horizontale, participative, immédiate (blogs, réseaux). Cette spontanéité peut cacher l’absence d’argument, la méconnaissance du passé, la superficialité, le conservatisme : de nouvelles formes sont à trouver qui remettent en cause la hiérarchie de la transmission.
Mais c’est aussi la légitimité de la critique qui est en cause. Y aurait-il une « interprétation maghrébine » ou une « interprétation africaine » ? Expressions sans fondement mais qui rassurent devant la peur du retour colonial. Une origine commune avec le film ne fonde aucune authenticité pour en parler mais permet de mieux comprendre des spécificités, de mieux dégager influences et parentés, de fonder dans une sensibilité partagée une force de conviction. L’enjeu reste, au-delà du discours affectif, de prendre le film comme un objet d’étude à part entière et d’y déceler en quoi il déconstruit ou non les visions réductrices qui fondent les discriminations. Car c’est en définitive la place du spectateur qui est en jeu, sa liberté de combler les vides que lui laisse le film pour construire son propre regard, de façon à tous ensemble, dans une critique partagée, construire la culture.
Pour Michel Amarger (Afrimages, France), ce n’est pas l’identité de la personne qui fait le film mais la démarche d’un artiste. Quand Merzak Allouache, fait Chouchou, ce n’est pas un film d’auteur : ne mettons tous les films dans la même optique. Avec en France quinze nouveaux films chaque semaine, des films qui disparaissent à toute vitesse, le rôle de la critique est moins utile. On lui demande de faire de la promotion en amont. Les sites internet permettent une démocratisation de l’exercice critique et d’enrichir la réflexion, tandis que beaucoup de critiques ont un prolongement d’enseignant et de pédagogue.
« Une régression est à l’uvre », indique Noura Borsali (ATPCC, Tunis) à propos de la Tunisie, la critique étant liée à l’histoire du cinéma, du pays et à l’état des libertés. Les cours sur la critique cinématographique ont disparu de l’IPSI (Institut de Presse et des Sciences de l’Information), si bien que les journalistes écrivant sur le cinéma n’ont aucune formation cinématographique. Le paradoxe est que des écoles de cinéma se créent, que le pays connaît un regain d’intérêt pour le cinéma, mais que les critiques sont avant tout des journalistes cinéphiles. Les sites internet pullulent et facebook prend la place. La télévision a supprimé les émissions sur le cinéma. Les écrits sont plutôt thématiques, loin de l’analyse filmique. La question esthétique est mise de côté, les films devant être un message.
De même, pour le critique Mohammed Bakrim (Centre cinématographique marocain), « la critique est en situation critique ». Un nouveau lieu de la critique est le Parlement où l’on voit des interventions virulentes autour de films qui ont marqué l’espace public : Marock et Casablanca. Les films sont devenus des phénomènes de société. Maintenant que le cinéma marocain se développe, le concept de critique a disparu. Par contre, des manifestations du pays profond organisent des tables-rondes sur des thèmes très pointus. Les jeunes, dans la continuité des ciné-clubs, sont très impliqués. L’association marocaine des critiques de cinéma organise en novembre un colloque dont les actes sont publiés (première parution autour de Farida Benliazid, la suivante sur Jillali Ferhati). Des sites apparaissent et des rencontres thématiques se multiplient. Mais les journaux, eux, cherchent le sensationnel, notamment autour de scènes osées : un nouveau discours de cinéma apparaît par des gens qui n’ont pas vu le film.
Thierno Ibrahima Dia (modérateur du site Africine.org de la Fédération africaine de la critique cinématographique) rappelle que la FACC a 280 membres à travers 20 pays d’Afrique, ce qui lui donne du poids pour intervenir par exemple contre la censure, comme ce fut le cas pour Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo. Les grands festivals sollicitent la présence des critiques. La base de données, commune entre Africultures et Africiné, mise à jour au quotidien, permet la visibilité des films, tandis que le site témoigne de l’écriture sur les films africains. Tous les intervenants de la table ronde sont rédacteurs à des degrés divers d’Africiné. Et si les journalistes ne parlent pas de cette rencontre, qui saura qu’elle a existé ?
En Tunisie, indique le critique et universitaire Ikbal Zelila, la production critique en arabe reste très faible, si bien que la critique en français s’adresse à une élite intellectuelle. Il y eut une dynamique de la critique qui s’est étiolée : il serait important de savoir quel était l’impact de ces revues, ses effets sur la réception des films. La question de la réception est complètement mise de côté en raison des contrecoups politiques possibles.
La réalisatrice marocaine Farida Benlyazid indique la difficulté des coproductions Sud-Sud entre pays du Maghreb : « On nous dit que c’est une question de langue, qu’on ne se comprend pas ». Ce que souligne la réalisatrice tunisienne Selma Baccar : elle a coproduit La Danse du feu avec l’Algérie, qui a bien marché en Tunisie mais n’est pas sorti en Algérie, et a coproduit Fleur d’oubli (Khochkhach) avec le Maroc où il n’est jamais sorti malgré le prix du public à Rabat.
Côté réception, Florence Martin (Goucher College, Baltimore) cite le cas d’une critique dans le New-York Times disant que Satin rouge était un film courageux sur la libération des femmes, la danse effaçant les frontières, mais ce papier ne contextualisait rien : tous ses référents étaient américains. Annick Gendre (Université Paul Verlaine, Metz) confirme que son étude sur les critiques françaises de Satin rouge et de Marock reflète des discours présumés attendus, écrits pour un public français. Quant à Naceur Sardi, il souligne que les critiques tunisiens qui avaient attaqué Satin rouge ont modifié leur position et le considèrent maintenant comme un des meilleurs films de la décennie.
1. L’IRMC publie la revue Maghreb et sciences sociales dont le dernier numéro porte sur les cinémas du Maghreb.///Article N° : 9867