Les quartiers populaires dans l’entre-deux tours : entre instrumentalisation et désarroi

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17,90 %. Le chiffre résonne comme un gong. Le 22 avril 2012, le score de Marine Le Pen, troisième homme de ce scrutin, était le plus élevé jamais atteint par son parti lors d’une élection présidentielle. Comment ignorer près de 20 % des votants dans la course au second tour ? Pour les deux candidats encore en lice, la pêche aux électeurs FN s’est ouverte pour deux semaines. Au détriment des quartiers populaires et des revendications de leurs habitants.

À la pêche aux frontistes
« Le vote FN n’est pas répréhensible. Marine Le Pen est compatible avec la République« , lance Nicolas Sarkozy à Longjumeau, mardi 24 avril 2012. Il clarifie encore son positionnement deux jours plus tard, lors de son meeting au Raincy, en Seine-Saint-Denis. Le président sortant insiste alors sur toute une série de mesures propices à charmer les électeurs FN. En tête de liste, la fameuse « présomption de légitime défense » pour les policiers, non-sens juridique mais tactique politicienne efficace, en réaction au fait divers tragique qui a eu lieu la veille à Noisy-le-Sec. Puis suivent la réaffirmation de la préférence nationale, la restriction des flux migratoires, l’encadrement strict du regroupement familial, l’interdiction d’accès aux aides sociales pour les immigrés qui n’ont pas dix ans de présence en France assortis de cinq ans de cotisations. Et l’opposition ferme au vote des étrangers aux élections locales, défendu par François Hollande. « Si c’est pour demander, comme à Lille, des horaires différenciés dans les piscines pour les femmes et les hommes, nous disons non. Si c’est pour demander, dans les hôpitaux, des médecins différents pour les femmes et pour les hommes, nous disons non. Et pour nos cantines scolaires, nous disons que nous voulons les mêmes menus pour tous les enfants de la République parce qu’elle est laïque », lance Nicolas Sarkozy dans son discours. Un distinguo bien particulier entre étrangers européens, qui, on oublie souvent de le rappeler, ont déjà le droit de vote lors des élections locales, et les non Européens – ou faut-il dire africains et maghrébins ? – dont le vote serait donc nécessairement « communautaire ». Tout en réaffirmant les racines chrétiennes de la France et de l’Europe, Nicolas Sarkozy s’avance de nouveau sur la pente glissante de l’identité nationale et son refus de la « mettre en danger ». Lorsque les commentateurs l’accusent de draguer les électeurs du FN, Nicolas Sarkozy dément, en affirmant que c’est bien lui, la cible principale de Marine Le Pen.
Du côté de François Hollande, l’affaire est plus délicate. Il s’agit de ne pas perdre sa gauche tout en se penchant à droite. Pour le PS, il semble y avoir deux types de votes FN. D’un côté, les votes racistes et xénophobes, qu’il est inutile d’aller chercher. De l’autre, des votes de détresse des électeurs, qui en quelque sorte se tromperaient de colère. C’est à ceux-là qu’il faudrait prouver que le PS peut les défendre. « J’ai entendu les cris de colère, j’ai répondu par un message d’espoir », a déclaré François Hollande. Plutôt que d’insister comme son rival sur l’identité, la laïcité, l’immigration et la sécurité, en stigmatisant les immigrés et les quartiers populaires, François Hollande a donc choisi de jouer la carte de la ré-industrialisation, la lutte contre la finance, les privilèges. Il a néanmoins montré une certaine fermeté sur la question de l’immigration, en affirmant que « dans une période de crise que nous connaissons, la limitation de l’immigration économique est nécessaire, indispensable »et qu’il « maintiendrait, bien sûr, la loi sur la burqa ».
Pour Fatima Hani, secrétaire nationale du collectif ACLEFEU, les deux candidats vont droit dans le mur : « Ils vont chercher un électorat en essayant de lui parler tel qu’il a envie qu’on lui parle, sous couvert de quelques mots que même le plus tartuffe des tartuffes sera capable de comprendre. Mais personne n’est dupe. Les deux candidats œuvrent de façon très maladroite, le message qu’ils font passer est dangereux, ils attisent les haines. L’entre-deux tours, c’est chasse et pêche, chacun dans son style ». La militante regrette que les problématiques des quartiers populaires soient victimes de cette pêche à l’extrême droite : « C’est effrayant. En février, on avait réussi, avec ACLEFEU, à mettre la question des quartiers au cœur du débat en occupant le ministère de la crise des banlieues. Mais après ces 18 % du FN, on se retrouve dans l’entre-deux tours avec des quartiers totalement oubliés. On ne veut plus parler des vrais problèmes et on est à la recherche des extrêmes ».
Le parti socialiste peine à se positionner sur la question des quartiers
Le parti socialiste avait annoncé un « Grenelle des quartiers populaires » pour le mois de mars. C’est Kamel Chibli, ancien secrétaire général de Désirs d’avenir et conseiller à la présidence du Sénat, qui devait « piloter la mobilisation de l’électorat populaire et des associations de banlieue ». L’objectif du Grenelle avait clairement été posé : « réunir des associations de toute la France afin d’élaborer les solutions que nous proposerons au candidat socialiste, plus précisément 12 solutions pour sortir les quartiers de leur situation par le haut ». Mais ce Grenelle n’aura jamais lieu.Sur le terrain, dans différents quartiers, des associations organisent leurs propres débats, colloques, forums. Comme « ensemble pour Saint-Ouen », qui organisait jeudi 26 avril son propre Grenelle des quartiers. Erwan Ruty, de Presse et Cité, « journal officiel des banlieues », intervenait lors de ce Grenelle. Il regrette ce revirement : »Aujourd’hui, seuls les quartiers sont capables d’organiser leur mini-Grenelle, localement. Beaucoup de gens phosphorent et proposent des idées inspirées des pratiques existantes, proches du vécu. Mais qui dit Grenelle dit normalement accord entre des institutions et des corps intermédiaires pour changer la société, ensemble. Aujourd’hui, à Saint-Ouen, nous n’étions qu’entre associations. C’est dommage ». Pour lui, ce revirement du parti socialiste est symptomatique de son manque de vision pour les quartiers populaires : « Depuis quelques mois, on voit que la gauche est complètement démunie et incapable de porter un discours original, novateur et rassembleur sur les quartiers populaires et le multiculturalisme. Dans une ambiance dominante frileuse, sectaire, parfois raciste, le parti socialiste ne porte pas de projet pour les quartiers populaires ». Pourtant, le candidat socialiste a multiplié au début du mois d’avril les déplacements en banlieue, et a avancé des mesures, notamment sur les emplois francs, le logement social ou le vote des étrangers, qui concernent directement les habitants des quartiers. Mais pour Erwan Ruty, cela ne suffit pas : « Ce n’est pas parce qu’on va faire un déplacement en banlieue que l’on dialogue avec elle et qu’on arrive à porter des revendications qui en sont issues. François Hollande n’a rien à dire sur la place des quartiers populaires dans la société française. Alors qu’il ne dise rien, car s’il parle ça sera mauvais, il prendra des coups, et ces coups profiteront à ses adversaires. Mieux vaut trouver un autre sujet plus rassembleur. Les mesures avancées sont bien sûr nécessaires, elles vont dans le bon sens. Mais cela ne fait pas un projet. Si, il y a trois ans, les groupes de pression, les forces qui gravitent autour du PS avaient pu faire émerger des thématiques, un regard, un discours nouveau sur la question, ça aurait été très bien, mais force est de constater que ce n’est pas le cas. Je me souviens de Fadela Amara, qui quoi qu’on en dise avait de bonnes idées pour les quartiers populaires, qui s’est avérée incapable de les appliquer, encerclée par des groupes de pression qui y étaient hostiles. Le Premier Ministre, l’administration française, les collectivités locales : les pouvoirs et les corps constitués de la société française n’ont aujourd’hui pas de projet pour ces quartiers, voilà le problème. Et je pense que ce schéma peut se reproduire sous Hollande si son gouvernement ressemble à sa campagne ».
Tara Dickman, de Humanity in Action et membre du collectif Stop le contrôle au faciès intervenait elle aussi lors du mini-Grenelle de Saint-Ouen. Elle déplore que le parti socialiste, comme l’UMP d’ailleurs, peine à reconnaître les expertises des quartiers populaires : « En France, on est pris dans un schéma enfermant. Entre le « ils n’ont qu’à se débrouiller tous seuls » de la droite et le « il faut vraiment les aider » de la gauche, il y a un entre-deux. Se prendre d’égal à égal, se respecter, construire ensemble. Lors du Grenelle de ce soir, c’était une évidence. On a entendu des expertises et des propositions d’entrepreneurs, d’acteurs politiques, de chercheurs, de militants. Il faut arrêter de penser la population des quartiers comme un cas un peu à part, problématique, à prendre avec des pincettes. Il faut plutôt intégrer l’expertise des quartiers dans des politiques globales, car elles sont tout à fait cohérentes avec les problématiques des zones rurales, par exemple. Je suis un peu perplexe quand je vois que les partis créent des commissions de réflexion sur la question des quartiers populaires, alors qu’ils pourraient se tourner à l’interne vers leurs élus issus de quartiers. À l’intérieur de leur propre parti, ces élus ne sont pas plébiscités. Je pense à Christophe-Adji Ahoudian, dans le 19e arrondissement, qui fait un travail formidable, ou Ali Soumaré, à Villiers-le-Bel. Pourquoi on ne se tourne pas davantage vers eux ? Ça décourage les nouvelles générations ».
Un déficit des promesses républicaines
Que ressort-il alors, lorsque les acteurs des quartiers ont la parole ? À Saint-Ouen, jeudi 26 avril, de nombreux militants de terrain ont pu s’exprimer sur différents thèmes. Pas sur l’assistanat, la laïcité ou l’insécurité, polémiques impulsées de l’extérieur et sans fondement réel. Plutôt sur la formation et le recrutement de la diversité, l’entrepreneurial, les conditions d’attribution des logements sociaux, les relations police-citoyens, l’importance des médias alternatifs. Car les besoins des quartiers ne sont pas fondamentalement différents du reste de la France. Simplement, il y a dans ces territoires, comme dans les zones rurales, un vrai déficit des promesses républicaines. De nombreuses propositions ont été avancées par les acteurs, la plupart allant dans le sens du programme de François Hollande, mais en l’accentuant. Cependant, tous regrettent un manque de positionnement clair du candidat socialiste sur la lutte contre les discriminations en général et, en particulier, dans ces quartiers où elles sont exacerbées, ainsi que sur la question de la représentation politique des minorités.
Entendant depuis des années les promesses des uns et des autres pour changer la donne dans les quartiers, sans résultat réel, les militants semblaient à Saint-Ouen prendre de la hauteur, et s’inscrire dans la durée. Au-delà du proche scrutin présidentiel. Jamais, au cours du débat, le rendez-vous du second tour n’a été évoqué, et rares ont été les allusions aux différents programmes des candidats. Comme si finalement, plutôt que de lutter contre le vent des paroles, les militants de quartier préféraient planter bien profond les racines solides de leur action de terrain.

///Article N° : 10715

Les images de l'article
Grenelle des quartiers populaires, Saint-Ouen, avril 2012 © Noémie Coppin
© Noémie Coppin





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