Lettre du Sahara (Lettere dal Sahara)

De Vittorio De Seta

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Découragé par la bureaucratie du système de production, Vittorio de Seta, cinéaste dont les documentaires sur les paysans italiens ont marqué le cinéma mondial, n’avait pas tourné depuis longtemps et préféré cultiver ses oliviers en Calabre. C’est un homme âgé (il est né en 1923) qui reprend la caméra et s’il le fait, c’est qu’il est scandalisé par la méconnaissance du vécu immigré et son invisibilité dans les médias italiens :  » Les Africains sont aujourd’hui comme des ombres. Ayant été moi-même prisonnier de guerre, je sais ce que c’est que cette impossible présence. » Soucieux de leur redonner une dignité, il ne construit pas une fiction sur leur dos mais les laisse l’improviser, en wolof, langue qu’il ne comprend pas. De même, il laisse les Italiens qui soutiennent les immigrés développer eux-mêmes le scénario de leur relation. C’est dire si ce docu-fiction honnête pourrait être non la parole sur les hommes mais la parole des hommes, un vieux rêve de cinéma engagé.
S’il n’atteint pas vraiment cet objectif, c’est que cette improvisation ne se sent que bien peu à l’écran. Cela tient paradoxalement à la qualité de l’image où cadre, éclairage et couleurs sont impeccablement agencés en un mouvement permanent : De Seta vient de la photo qui a toujours été magnifique dans ses films et son art est de faire résonner plastiquement son sujet dans l’image à la manière des grands maîtres italiens. Mais tandis que la caméra n’hésite pas, cela tient surtout à un scénario qui assène beaucoup de choses sur des hommes qui eux sont travaillés par la faille et le doute. Succession de saynètes et de déplacements, linéaire et démonstratif, il a davantage une connotation de téléfilm que ce qu’annonce le personnage d’Assane : la mise en abyme contradictoire d’un homme qui ouvrirait le spectateur à un partage émotif. A l’image d’Assane qui ne se laisse jamais aller, c’est un peu trop huilé et conte de fée pour que le retournement provoqué par les nervis racistes prenne l’ampleur d’un drame humain tel qu’on avait pu par exemple le ressentir dans L’Afrance.
Mais cela n’empêche pas la dimension documentaire du film d’évoquer avec une grande force le devenir immigré. De Seta le fait sans emphase, et cette sobriété lui permet d’entrer dans les détails. Comme dans des films-témoignage comme O Salto ou Bako l’autre rive, on ressent la solitude, la perte et l’interrogation culturelle que signifie l’exil autant que l’incertitude et l’humiliation économique. L’impact des photos de départ est renforcé par la douceur de la guitare et la simplicité du texte qui les accompagnent : « Pour échapper à la famine, aux catastrophes et aux guerres, des millions d’hommes de langues, cultures et religions différentes émigrent vers les pays riches. Cela engendre épreuves, déracinements et discrimination, mais aussi communication et espoir. » Rien de misérabiliste donc dans l’approche de De Seta. Simplement le désir de témoigner. Si bien que son personnage ne s’installe jamais : Assane poursuit sans compromis avec ses valeurs son objectif ambitieux, envoyer de l’argent à sa famille et poursuivre ses études. Maîtrisant un peu l’italien, il se débrouille plutôt bien pour aller de l’avant.
Et c’est vrai qu’Assane a de la chance. De survivre d’abord, alors qu’on jette les passagers par-dessus bord pour échapper aux gardes-frontière, d’échapper aux pièges des combines ensuite, pour finalement tomber dans les bras de soutiens vertueux. On l’imagine mal sortir de la galère sans eux et l’on voit ainsi De Seta appeler ses compatriotes à une solidarité active, non sans un certain paternalisme à fond chrétien qui suppose que les immigrés ne peuvent s’en tirer par leur propre organisation et qu’ils restent des individus à soutenir. Lorsqu’il revient au pays de sa mère, déboussolé par la violence raciste dont il a soudain été victime, un vieux professeur lui redonnera des repères en une longue diatribe frontale destinée au spectateur, comme un testament du cinéaste rompant avec le rythme de plans courts qui marque le reste du film. Voici donc que tout est un peu trop dit, trop fait pour dire, et que ce qui est dit, que ce soit par le prêtre ou par le professeur, fait du film un prêche plutôt qu’une simple invite au respect et à la compréhension de l’Autre. Ce manuel de bonne conduite ne doit cependant pas nous empêcher de regarder de face et accueillir tous les Assane de nos grandes villes.

///Article N° : 5773

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