Mon beau sourire

D'Angèle Diabang Brener

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Dans le magnifique Kodou, un des plus beaux films du répertoire noir-africain, le Sénégalais Ababacar Samb Makharam montrait en 1971 une jeune fille devenant folle à la suite de son rejet par la communauté villageoise pour n’avoir pas supporté la douleur lors du tatouage initiatique des lèvres. Devenue violente parce que poussée à bout, elle est attachée jour et nuit. Sa famille finit par la conduire dans un hôpital psychiatrique dirigé par un médecin européen. Cette médecine restant inefficace, ses parents la soumettent à une séance d’exorcisme traditionnel.
C’est sur le rituel du tatouage des gencives que revient Angèle Diabang Brener, mais en en renouvelant radicalement l’écriture avec une impressionnante maîtrise. Ce court-métrage de 5 minutes n’a pour autre prétention que de faire prendre conscience aux hommes de ce qu’endurent les femmes pour leur plaire. Des aiguilles sont préparées, des tissus étendus et le tatouage est préparé en silence. Et soudain tout s’emballe : sur le rythme effréné de djembés endiablés et d’un montage très serré multipliant les plans, le tatouage se fait en une symphonie de couleurs et de gestes, renversant l’image douloureuse que l’on en a. L’humour n’est pas absent, et pourtant la chose fait mal, à tel point que l’actrice qui s’était dévouée ne put supporter la douleur et se retira en cours de tournage malgré les enjeux. Angèle dut la remplacer au pied levé, belle métaphore pour cette cinématographie condamnée au courage pour exister. « Je n’avais pas pensé que cela fasse si mal », dira-t-elle. La tatoueuse, elle, disait que « c’est le Blanc qui exprime sa douleur ». Effectivement, les jeunes filles qui n’ont plus les gencives rouges échappent aux quolibets et trouvent plus facilement un mari car elles ont montré qu’elles savent affronter les difficultés de la vie !
Tout cela, le film ne le dit pas : il se contente d’évoquer le dur rituel comme une fête et de terminer en alignant les « beaux sourires » de quelques filles aux gencives bien noires relevant la blancheur des dents. Dernier geste fondateur, leurs mains masqueront l’objectif : même dans son souci d’éveiller la conscience des garçons, le cinéma doit limiter son indiscrète incartade dans le monde des femmes. Mais le fait est là : nous avons avancé d’un pas dans notre compréhension d’une culture où la souffrance initie à la vie.

///Article N° : 3952

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