En sortie le 8 mars dans les salles françaises, Nayola, qui suit trois femmes angolaises de trois générations, montre comment l’animation peut évoquer et faire ressentir pleinement l’Histoire.
Après des études aux Beaux-Arts de Lisbonne, le Portugais José Miguel Ribeiro se prend de passion pour le cinéma d’animation. Le producteur Jorge Antonio lui fait découvrir en 2013 la pièce de théâtre A Caixa Preta (La Boîte noire) de José Eduardo Águalusa et Mia Couto. Ces deux auteurs sont marqués par les guerres civiles qui ont suivi l’indépendance de leurs pays et les ont ravagés (1977-1992 au Mozambique, 1975-1991 en Angola). Ils ont en partage ce passé douloureux, qu’ils ne cessent de sonder, de dévider et reconstruire dans leurs livres.
Fasciné, José Miguel Ribeiro décide d’en faire son premier long métrage. Rien d’étonnant : son père était militaire et a combattu durant la guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau, ce qui a affecté leur famille à jamais. Il retravaille ce traumatisme à travers ses films, notamment son court Fragments (2016) qui montre combien un père le transmet à son fils par son agressivité durant un embouteillage.
Il y a dans l’écriture des deux auteurs une extraordinaire créativité difficile à décrire. Mia Couto refuse ainsi les catégories étriquées : « ce que j’écris n’est pas magique, excessif ou baroque ». Un imaginaire énigmatique et lumineux guide cependant les pas de leurs personnages et tout le problème était pour Ribeiro de le traduire en dessins et couleurs. Il n’adopte aucunement la démarche presque photographique du film d’animation Another Day of Life de Raúl de la Fuente et Damian Nenow (2018), adapté du reportage de Ryszard Kapuściński, D’une guerre l’autre : Angola 1975. Ribeiro mêle différentes techniques pour aboutir à des images parfois très stylisées, parfois plus représentatives pour ancrer le récit dans la rude réalité de la guerre jusqu’à des constructions archétypales élargissant poétiquement la signification. Les arrière-plans esquissés à traits rugueux et couleurs fortes résonnent à la musique angolaise de David Zé, Mário Rui Silva, ou du célèbre Bonga. Le résultat est à la fois tragique et d’une grande beauté, en tout cas d’une impressionnante richesse et toujours étonnant.
Un chacal, animal rusé, accompagne et protège Nayola qui va traverser de multiples aventures à la recherche de son mari parti combattre à la guerre. Elle n’est pas sans rappeler les films anticoloniaux mettant en scène le courage des femmes qui ont pu inspirer Ribeiro et son scénariste Virgilio Almeida : Sambizanga de Sarah Maldoror (1972) où Maria marche de prison en prison pour retrouver son mari, et Mortu Nega de Flora Gomes (1988) où Dominga rejoint dans le maquis son mari combattant.
Alternant entre 1995, en pleine guerre civile, et 2011, où le retour à la paix ne signifie pas la liberté d’expression, le film s’appuie aussi sur Yara, la fille de Nayola qui a vingt ans en 2011, une rebelle qui cherche à diffuser son CD de rap très critique, et sur Lelena, sa grand-mère et donc mère de Nayola qui a éduqué Yara et ne croit plus au retour de sa fille. C’est donc à travers ces trois femmes que l’Histoire de l’Angola est évoquée, dans une temporalité propre à chaque personnage mais qu’aucune ne peut maîtriser, pas plus que le spectateur balloté d’un temps à l’autre et confronté au même problème.
Car nous sommes ainsi plongés dans un univers qui rappelle d’autant plus celui de Yoshiko Miyazaki qu’un masque menaçant ressemble grandement au Sans-Visage du Voyage de Chihiro, lequel doit lui aussi absorber une boulette vomitive. C’est toute la violence et la guerre que vomit Nayola dans son fascinant voyage à travers la dramatique Histoire angolaise. L’amertume qui étreint le film réveille les idéaux défendus par les combattants et la réalité du retour à la paix où les jeunes furent réprimés lorsqu’ils voulurent se rebeller, comme le rappeur Luaty Beirao et ses compères en 2015 – épisode qui a inspiré les scénaristes. Mais cela ne va pas sans magnifier la détermination des femmes rusées, qui n’est pas prête de s’éteindre.