Nigeria : le requin vidéo

Entretien d'Olivier Barlet avec Sedik Balewa (Nigeria)

Cannes mai 2002
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Le phénomène vidéo marque l’image que nous avons du cinéma au Nigeria !
Il y a trop de vidéos produites au Nigeria ! On estime qu’il y en aura plus de 1000 en 2002 ! Les films étrangers ne peuvent entrer et se placer face à une telle invasion. On voit le professionnalisme se développer, des structures apparaître, mais c’est une industrie qui va trop vite : la distribution est déjà contrôlée par peu de gens.
Les producteurs ne sont jamais distributeurs ?
Très rarement. La division est très tranchée. Les « Marketers » sont très forts, ce sont des businessmen qui se contrefoutent de la qualité des films : ils ne sont là que pour vendre. Il y a un vrai combat à mener pour que des films de qualité se fassent ; très peu de cinéastes y croient, ils se satisfont du marché intérieur. Un film comme « Kano » a été tourné en un jour ! Ni la qualité ni l’histoire ne sont la préoccupation de personne.
Pourtant le public suit.
Oui, car la situation économique et sociale est telle que les gens restent chez eux et préfèrent regarder des vidéos que de sortir : la demande est très forte ! Une vidéo coûte de l’ordre de 300 Nairas (2,50 euros), c’est très peu. Cependant, une demande commence à s’exprimer pour quelque chose de meilleure qualité, quelques cinéastes essayent de surnager.
Quels sont les thèmes abordés dans les vidéos ?
Elles font ce que le public demande. Elles reflètent le pays, sa violence, ses impasses. Il y a deux types d’histoires : la vie urbaine et les villages. Les vidéos qui mettent en scène des histoires urbaines s’adressent à un milieu urbain plus cultivé. Ce sont des histoires de prostituées, de délinquance etc. tandis que les histoires de village s’adressent à des gens sans éducation et sont plutôt sur le registre sentimental, avec des rituels, de la magie, sans réalisme aucun. Les films reflètent la tradition dans laquelle le public auquel il s’adresse a grandi. Dans le Nord, ce sont souvent les problèmes de femmes qui sont abordés, ces femmes qui restent à la maison, leurs problèmes domestiques. On voit beaucoup de films sur le modèle du cinéma indien, très musical et cœur bleu, mais aussi beaucoup de kung fu nigérian !
Il y avait autrefois à Jos un laboratoire pour faire du vrai cinéma.
Oui, mais il n’a pas été utilisé depuis longtemps : il faudrait tout revoir le matériel et le vidéoboom empêche que l’on investisse là-dedans. Le gouvernement pense à mettre en place une structure adaptée à la vidéo avec des caméras et différents services, mais la bureaucratie d’Etat traîne et la chose ne se fait pas.
Et vous en tant que cinéaste ?
J’ai étudié le cinéma à Londres à la National Film School. Pour tourner mon film, je suis obligé de venir chercher les moyens en Occident. Nous sommes quelques uns comme ça. Ladi Ladepo, dont les films ont été présentés au dernier Fespaco, est un de ceux qui essayent de trouver de l’argent pour faire mieux. Il a été aidé par la France. Nous avons plus de soutien potentiel auprès du ministère français des Affaires étrangères qu’à Londres !
Mon film est sur le pouvoir : ceux qui ont le pouvoir et ne le méritent pas et ceux qui ne l’ont pas et qui le mériteraient. Il se déroule dans une petite communauté urbaine, à la mort du vieux chef de famille, sur la question de la désignation du nouveau chef. C’est un film sur l’émergence d’une nouvelle conscience politique à l’image de ce qui se passe dans le pays aujourd’hui, avec les élections locales et le semblant de démocratie, mais il met aussi en scène les relations entre les hommes et les femmes.
Vous n’êtes pas tenté par le documentaire ?
Il faudrait un cadre. Actuellement, ce sont souvent des films de propagande décidés par des commissions gouvernementales. Ils n’abordent pas les sujets sociaux mais plutôt la description de rituels, de mariages etc.
Où en sont les salles de cinéma ?
Elles disparaissent et se font rares. Ce sont devenu des églises ou des supermarchés. Il n’y en a plus que deux ou trois à Lagos. La culture n’est pas la priorité du gouvernement et il laisse faire.
Et la télévision ?
Elle est en train de changer en tentant d’imiter la culture américaine ! On y trouve beaucoup de soaps à l’image de ce qu’on trouve de pire aux Etats-Unis. On trouve aussi les telenovelas brésiliennes que l’on voit dans toute l’Afrique ! La télévision est difficile à aborder car c’est un gigantesque système. Elle a eu à soutenir le gouvernement militaire et ça l’a marqué. Cela va mieux maintenant mais elle n’aborde toujours pas les problèmes sociaux.

///Article N° : 2331

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