Ce Cd sera un jour un vrai » collector « . Il témoigne d’un vrai problème : depuis quelques années, nous l’avons souvent signalé, les meilleures anthologies des musiques populaires d’Afrique francophone, passées ou actuelles sont l’uvre de labels anglo-saxons ou allemands ! En l’occurrence, cette compilation de rap malien et sénégalais, sur un label munichois, est à mon avis la meilleure à ce jour
Les morceaux sont en français, ou dans une langue africaine (malinké, wolof) de ce qu’on appelle « espace francophone « .
Le livret, qui est à ma connaissance le meilleur, le plus remarquablement documenté à ce jour sur ce sujet, est en allemand et en anglais, sans traduction française.
On pourrait dire que c’est symboliquement la fin d’une histoire, celle de la Françafrique et de la Francophonie.
En tout cas c’est un disque passionnant, et tant pis pour la France qui aura été incapable de reconnaître à sa juste valeur l’irrésistible ascension du rap africain.
« Red Hot » fête ses dix ans. Ce projet rassemble les meilleurs musiciens du monde pour les enregistrer au bénéfice des ong luttant contre le sida. Mais au delà de cette intention militante, son ambition et sa réussite en ont fait une vraie collection musicale, d’un niveau artistique exceptionnel.
Ce 14° album est dédié à Fela Anikulapo Kuti, mort du sida en 1997 à la veille de ses 60 ans. Fela incarnait la vie, la passion, l’énergie, la révolte de l’Afrique contre tous ses démons.
Contre la corruption surtout, sans laquelle l’Afrique ne serait pas un continent moribond, malgré ses immenses richesses.
Mais Fela était surtout un immense musicien, issu de ce peuple Yoruba dont la culture a ensemencé le Nouveau Monde au point de presque effacer les plaies de l’esclavage.
Un musicien qui continue de fasciner, cinq ans après, tous ceux qui cultivent le rythme, comme d’autres le blé ou le riz, la guerre ou la paix, la haîne ou l’amour.
Habilement construit comme une vraie » suite « , cet album réunit un casting impressionnant qui transcende tous les genres, de D’Angelo aux Nubians, de Baaba Maal à Archie Shepp (extraordinaire version blues de » No Agreement « ), de Jorge Ben à Sade, de Bilal à Taj Mahal, de Roy Hargrove à Positive Black Soul, de Manu Dibango à Positive Black Soul en passant par Ray Lema, le Brésilien Lenine, Cheikh Lô, MeShell ou The Soultronics, et bien sûr les héritiers : le fiston Femi, le batteur Tony Allen
Pour ceux qui comme moi ont toujours considéré Fela avant tout comme un grand compositeur (un artiste qui survivra à travers les siècles) ce disque est un vrai choc : au delà des styles, Fela est là : figure immortelle, imposante, joyeuse et salvatrice, qui portera très loin l’espoir des Africains.
Belle découverte que ce batteur-percussionniste quinquagénaire qui vient de présenter à Paris son 4° album.
Malgré son prénom, Babatunde n’est pas Yoruba du Nigéria, sinon peut-être par ses lointains ancêtres. Africain-Américain de naissance, il n’avait que onze ans lorsqu’il eut la chance de connaître à New York le grand Babatunde Olatunji, tambourinaire venu de Lagos qui fut le pionnier de l’implantation des musiques ouest-africaines aux Etats-Unis dans les années 1950. Devenu son disciple, Lea s’est installé en Californie où il a accompagné bien des grands du jazz, du rock et des musiques latines avant de fonder il y a dix ans The Educultural Foundation, sur le modèle du Center for African Culture créé 30 ans plus tôt à Harlem par Olatunji et John Coltrane
Babatunde Lea n’est pas un virtuose, ni un révolutionnaire. Mais il s’inspire avec bonheur des meilleures musiques de sa génération – des Jazz Messengers à la salsa en passant par Coltrane et Pharoah Sanders – et communique une énergie stupéfiante à son groupe flamboyant : Hilton Ruiz au piano, Frank Lacy au trombone, Mario Rivera ou Ernie Watts au sax.
Un » all stars » de rève, manifestement fasciné par l’héritage inépuisable de la polyrythmie yoruba, qui continue plus que jamais d’enrichir le répertoire afro-américain.
Affairisme, amateurisme, désinvolture, incompétence : on a eu trop souvent l’occasion de tourner en dérision ces margoulins pitoyables qui au détriment des musiciens Africains s’improvisent » producteurs » et ne le sont en réalité que.sur leur carte de visite,
C’est pourquoi ce magnifique coffret mérite d’être salué comme une juste auto-consécration : celle du premier vrai producteur professionnel Africain.
Inutile de citer un seul nom d’artiste : ils sont tous là, les meilleurs, souvent captés lors de leur éclosion, bien avant et bien mieux qu’ils ne l’ont été ensuite par les majors paresseuses et récupératrices.
Sénégalais d’origine Malienne, Ibrahima Sylla savait ce qu’il faisait en baptisant son label » Syllart « . Car même si sa » petite entreprise » semble tourner rondement, il est clair que l’art compte pour lui au moins autant que le show-business.
En témoigne notamment sa collaboration permanente avec des musiciens aussi prestigieux que Boncana Maïga, co-fondateur avec lui du merveilleux groupe Africando.
Perpétuellement affairé, toujours entre deux avions et deux cassettes, passionnément à l’écoute de ces musiques qui le passionnent, Sylla déserte son minuscule bureau au pied de la Butte Montmartre. Nomade des studios, il est trop modeste pour ne pas fuir comme la peste ceux des radios et des télés.
Or modestie ne signifie pas inconscience ni insouciance.
Outre l’extraordinaire somme de musique que représente ce coffret, c’est à ma connaissance la première fois qu’une telle anthologie est accompagnée d’un livret fait des témoignages éclairés et précis du producteur lui-même. C’est passionnant.
Un exemple : Kassémady Diabaté (qui est pour moi, à égalité avec Salif Keita, le plus grand chanteur d’Afrique si ce n’est du monde) s’apprête à enregistrer « Koulandjan « .
Kassémady : « La version de la ville ou celle du village ? »
Sylla : « Je veux le vrai Koulandjan « .
Kassémady : » Alors tu en auras pour 30 mn et je ne peux pas le faire sans demander l’autorisation au village. »
Commentaire de Sylla : » Il a fallu attendre deux semaines la lettre du village, accompagnée d’une cassette avec les parties qu’il ne devait pas oublier. Lors de l’enregistrement, je lui ai demandé d’arrêter au bout de 13’30. Il dit alors dans la chanson : » Je m’arrête parce que le propriétaire du studio m’a dit d’arrêter. Je demande pardon aux chasseurs qui m’ont transmis les paroles, mais je continuerai prochaînement. »
Sénégal / Congo / Mali / Racines / West African Dance : chacun des cinq cds alterne chefs d’uvres reconnus et découvertes inattendues.
La présentation est sobre et superbe : un vrai » objet d’art » destiné à devenir le fétiche des mélomanes amoureux des musiques africaines des vingt dernières années.
Inutile de s’attarder sur cet album qui sera sans doute le meilleur de l’année. Les Griots Maliens agacent tout le monde, mais ils ont encore gagné. Pavarotti peut aller se coucher, on échangera tout Verdi contre un disque de Kassemady.
S’il n’était pas toujours en retard à ses concerts (quand par bonheur il daigne se présenter) il serait universellement reconnu comme ce qu’il est : un chanteur de génie.
Accompagné ici avec une discrétion idéale par l’immense contrebassiste Cubain Orlando » Cachaïto » Lopez, Kassémady lance ses balafons, ses djembés, ses ngonis, ses koras, tous parfaits, mais on a tendance à les oublier très vite dès qu’il ouvre la bouche. » Fununke Seya » est un peu la réponse au bouleversant « Iniagige » ( » Sèche tes larmes « ) le sommet absolu du dernier album de Salif Keita.
Il est toujours désagréable et injuste d’opposer deux artistes d’un tel niveau. Mais il est agréable et juste de dire que Monsieur Kassémady Diabaté est un authentique génie au même titre que Monsieur Salif Keita, qui le sait parfaitement.
Face à la pauvreté affligeante de la production congolaise récente, les nouveaux albums de ces deux rescapés parmi ses vétérans font figure de chefs d’uvre, même s’ils n’apportent pas grand chose à leur gloire
Chez Tabu Ley, la perfection est le minimum. Ce torrent de miel emporte sur son passage tous ses successeurs : » tout ce qu’ils font, sans résultat « , susurre-t’il en ricanant doucement. Les cuivres (trop chers) ont presque disparu, mais churs, guitares et percussion gardent la grace première de l’âge d’or de la rumba,, quand les producteurs européens se précipitent vers ses ancêtres (Moundanda, Wendo, Kékélé, etc.)
Même quand surgit l’inévitable rappeuse (pas mauvaise) le fleuve Congo continue de couler et reprend vite son cours nonchalant. Le lingala est la langue la plus musicale du monde, si belle que même quand Tabu Ley chante en français, mais avec le même vibrato ( » Bébé « ) le ridicule des paroles est submergé par la beauté de son timbre. On le préfère quand même en lingala, si je puis me permettre de faire la moindre critique à ce grand Monsieur, vraiment inoxydable
On peut en dire autant de Sam Mangwana, qui continue de porter en lui, et avec tant de ferveur, le lyrisme lusophone de ses origines angolaises et de ses escapades francophones abidjanaises, sans s’éloigner de la rumba de Kinshasa.
Sam, c’est un authentique » sonero « , sûrement capable de chanter sans se faire remarquer dans un club de La Havane. Son nouvel album, résolument nostalgique, à le parfum des premiers jours des indépendances, quand Cuba fascinait l’Afrique autant par sa musique que par sa révolution.
Le duo impressionnant qui sert de prélude à ce cd splendide, entre un arc musical et une « clarinette » faite d’une tige de mil résume la formidable inventivité instrumentale des musiciens Africains. La » louange chantée » qui suit n’est rien d’autre qu’un » rap » éblouissant, qui pour être ancestral semble bien supérieur à ce que ce mot signifie présentement. L’ensemble de cet album ne représente qu’une partie de l’héritage musical encore très vivant de ce petit peuple du Sud du Burkina Faso.
Musique complexe, où liberté et virtuosité de l’improvisation ne reflêtent que le génie d’une population paysanne, juste avant l’exode rural, l’émigration et la » mondialisation « .
Quand on lit en petits caractères, modestement imprimés en bas du livret, « produced by salif keita « , on est tranquille.
Il ne s’agit certes » que » d’un joli disque enregistré par une jeune et ravissante griote malienne. L’accompagnement est très » classique mandingue « , à peine revisité « world «
Le chant du maestro, très présent sur le morceau-titre « Ibaketem « , s’efface discrètement derrière cette magnifique voix de soprano
Qui s’impose malgré des sons de synthé extraordinairement démodés « farfouillis-farfisa » à l’extrême limite du ridicule.
Qu’importe, le chant est là et bien là, c’est l’essentiel.
Bienvenue à la plus intéressante voix féminine venue du Mali depuis Nahawa Doumbia, Amy Koita et Oumou Sangaré !
Grace à la passion bizarre d’un Français (Francis Falceto), depuis quelques années on n’en finit pas de s’émerveiller en découvrant la musique éthiopienne moderne : la plus insolite des musiques africaines urbaines de la 2° moitié du XX° siècle
Ce 14° cd de la formidable collection » Éthiopiques » est entièrement consacré au plus étrange saxophoniste d’une histoire qui n’est pas celle du jazz, qui en est totalement séparée mais pas trop éloignée. Car même en sachant que Gétatchèw (et d’autres saxophonistes Éthiopiens de la même génération) ignoraient absolument tout du » free-jazz « , il est impossible en l’écoutant de ne pas penser à Albert Ayler ou à Ornette Coleman. Au delà de ce parallèle étonnant, on se contentera d’écouter un merveilleux styliste du saxophone, pas toujours très bien accompagné, mais qui comme d’autres a su adapter cet instrument à une musique locale très isolée, dont on ne sait plus d’où elle sort, où elle va ni par où elle passe.
Mais à l’arrivée, c’est une musique universelle.
Malgré son emballage chichiteux (comptez trois bonnes minutes pour en sortir le cd, et trois fois plus pour le ranger!) cet album révèle un de ces guitaristes gracieux comme on n’en trouve plus guère que dans le monde mandingue.
C’est la suite des captivantes aventures de l’épatant dj Frédéric Galliano, qui a vraiment trouvé le secret pour mixer cette musique façon techno sans la dénaturer. On a beau chercher la petite bête (de quoi y se mêle, celui-là ?) on ne la trouve pas.
Comme avec les xylophones de Neba Solo ou les voix de ses » African Divas « , c’est toujours réussi, délicat, émouvant, avec juste ce petit truc qui fait d’une musique » ethnique » un chant universel, mais sans la sortir de son contexte originel.
Chapeau !
Cet enregistrement extraordinaire, effectué à Abomey il y a tout juste 40 ans par Charles Duvelle, est en quelque sorte le pendant de ceux qui accompagnent le magnifique ouvrage de Gilbert Rouget » Un Roi Africain & sa Musique de Cour » (CNRS), consacré à Porto-Novo, l’autre capitale des Fon, devenue celle du Bénin moderne.
Le mot » vodun » n’est ici jamais prononcé, ce qui se conçoit. Ces choeurs féminins et leur accompagnement (cloches et tambours) ressemblent beaucoup à ceux que l’on entend encore aujourd’hui à la sortie des couvents du Vodun, mais leur fonction est différente, plus protocolaire, liée à une institution monarchique qui a disparu depuis, ou du moins ne relève plus que d’un folklore destiné au tourisme.
Ici le chur omniprésent est celui des fameuses » Amazones » qui selon la légende et l’histoire opposèrent la résistance la plus farouche que rencontra jamais la colonisation française en Afrique. Malgré ses accents guerriers, leur chant a quelque chose de profondément émouvant, fragile, joyeux et moqueur, finalement très festif. Quant aux tambours, ils réinventent à chaque mesure une polyrythmie idéale, dont la subtilité n’a pratiquement aucun équivalent dans tout le reste du monde.
A ceux qui ont peur de Picasso ont dit en général : commencez par la » période bleue, ou rose « . A ceux qu’effraient le vertige des gouffres et des sommets fréquentés par Coltrane à la fin, il suffit de dire : » écoutez » Ballads « , et ça viendra. »
» Ballads » n’était qu’un disque. Le plus simplement beau de tous les disques du jazz des années 1960.
Mais dès cette époque, se sentant en danger de mort, le génial saxophoniste enregistrait jour et nuit. Avec son quartet au complet, ou bien en duo avec son pianiste McCoy Tyner, avec qui il enregistra ce duo inédit et bouleversant qui se retrouve au début d’un second cd de derrière les fagots, en compagnie de cinq versions de » Greensleeves « , thème qui l’obsédait, et qu’il ne cesse de triturer en changeant de tempo et de tonalité.
Et puis sept prises de » It’s Easy to Remember « , aussi diverses que peuvent l’être les sept merveilles du monde.
Écouter ces » brouillons » de Coltrane, c’est comme regarder Picasso qui improvise dans le film de Clouzot.
Un effort pour comprendre ce qu’est vraiment la musique !
Coltrane mort, Wayne Shorter est resté avec Sonny Rollins le meilleur des saxophonistes vivants. C’est aussi l’un des plus grand compositeur de toute l’histoire du jazz. Il a été l’âme du fameux quintet de Miles Davis dans les années 1960, quand ça giclait de partout et que personne n’y comprenait rien : un grand moment de l’histoire de la musique dite populaire de cette époque, ni plus ni moins que les Beatles ou Hendrix
Récemment, lors d’un déménagement, Wayne Shorter découvre dans son tabouret de piano une partition toute mitée : une vieille chanson espagnole, » Vendiendo Alegria « .
Soudain il se souvient que c’était Miles Davis qui lui avait refilé ça en lui disant : tu devrais en faire quelque chose.
Résultat, 40 ans après : » Alegria « , un disque qui ne ressemble à rien de tout ce qu’on a écouté depuis vingt ans.
Shorter était le co-leader de Weather Report, l’inventeur d’un jazz électrique et éclectique. On le retrouve en pleine passion pour les cuivres, les cordes et surtout le piano, avec Danilo Perez et Brad Mehldau. Loin de la mode » électro » comme de tout ce qui ressemble au « jazz « . Le Bouddhisme est passé par là, avec sa petite musique pacifique. Le résultat : le disque de jazz le moins jazz et le plus grandiose de l’année.
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