Obin Manfei conteur des temps modernes

Tant qu'il y aura des hommes...

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Manfei Obin est un Ivoirien à double casquette : à la fois musicien et conteur. Avant d’atteindre la reconnaissance internationale dont il bénéficie aujourd’hui, tant au niveau du public que de ses pairs, il est passé par bien des péripéties. Il se souvient de son expérience des métros parisien ou new-yorkais dans les années 70 et de la difficulté de tendre son chapeau pour recueillir les pièces. La notoriété ne lui a cependant pas fait perdre la tête. Au contraire, il a continué à aller vers les plus humbles et les plus défavorisés en s’exprimant dans les centres sociaux ou les prisons pour apporter une fugace part de bonheur. Aujourd’hui que ses services sont demandés partout, en Amérique du Nord comme en Europe, Manfei garde chez lui, comme un trophée de chasse, cette splendide bouteille de Chivas offerte dans le métro de New-York par un passant qui était resté planté deux heures durant à l’écouter alors qu’il était attendu dans une importante soirée privée. C’était l’hommage de l’inconnu au talent : le plus beau des hommages ! Extraits d’une conversation à bâtons rompus. F.C.

Profession : conteur
C’est en Europe, que j’ai appris pour la première fois que le conte pouvait devenir un métier, mon métier. C’est à partir de là, que m’est venue l’idée du premier festival africain du conte organisé à Abidjan en 1992. Je me souviens encore du regard ébahi de mes frères ivoiriens qui découvraient ainsi que les Blancs savaient eux aussi raconter de belles histoires (il y avait des conteurs venus de Suisse, de France, de… Colombie). Le conte est une matière impérissable. C’est à l’homme de savoir s’en servir. Tant qu’il y aura la parole, il y aura le conte. Même si l’emballage change. Le conte ce n’est pas seulement une histoire de clair de lune ou de coin du feu. Un homme ou une femme peuvent raconter des histoires tirées de leur réalité quotidienne dans d’immenses banlieues modernes. Je crois que le conte peut mener à tout. Il peut donner l’envie à celui qui en aura été abreuvé de devenir plus tard dessinateur de BD ou réalisateur de cinéma !
Le village africain
Dans nos villages, il n’y a pas de conteur professionnel. Lors d’une veillée, d’une soirée particulière ou ordinaire, le « micro » est ouvert. Chacun peut prendre la parole, raconter une histoire d’un trait ou improviser à partir d’un mot, d’une idée : le père, la mère, la grand-mère, la tante ou le grand-père. Puis, l’occasion faisant le larron, des talents apparaissent, dont le village se surprend à chercher leur participation d’une façon régulière. C’est ainsi que se font les réputations.
Danger de la modernité
Je ne crois pas que la modernité constitue un danger pour le conte. A preuve, ce retour indiscutable du conte en Europe sous des formes diverses : lectures publiques dans les centres culturels, les centres de loisirs, les bibliothèques, les associations. En fait, le conte est en train de prendre une autre formule, d’adopter une autre façon d’être écouté. Je ne suis pas inquiet pour l’Afrique. Dire que la modernité et ses accessoires technologiques vont chasser cette discipline est une aberration. Tant que dans nos pays la structure familiale ou villageoise restera très forte, le conte continuera à avoir toute sa place. Le contenu peut effectivement évoluer et épouser les réalités nouvelles du monde. Ces réalités qui arrivent plus vite, beaucoup plus qu’hier, jusqu’à nos oreilles et jusque devant nos yeux.
Universalité du conte
Pour qu’un conteur puisse réussir sur une terre étrangère, il lui faut connaître la culture du pays où il souhaite évoluer. Il est clair que pour moi, conteur originaire de Côte d’ivoire, il est plus facile de toucher la sensibilité des gens en France, dont je connais l’histoire et les ressorts humoristiques, qu’en Australie par exemple. Cependant, avec les mimiques, les interjections, les onomatopées, le message peut passer sous une autre forme que le verbe. Il m’est arrivé de suivre avec passion des performances de conteurs à Marrakech (Maroc) alors que je ne comprenais pas un traître mot d’arabe.
Le rôle social et politique du conte
L’écriture et les scribes ayant toujours été marginalisés chez nous, les grandes pensées africaine se retrouvent automatiquement dans le conte. Tout un chacun – l’homme politique, en particulier celui qui est dans l’opposition – va logiquement puiser dans ce patrimoine culturel pour étayer les idées qu’il veut développer. Un même conte peut être utilisé de façon subversive ou complice par celui qui le raconte.
La place de la musique
Dans la mesure où je suis musicien d’origine, j’ai, beaucoup plus que d’autres, tendance à utiliser un instrument de musique. il faut aussi savoir qu’il y a deux sortes de conte en Afrique. Le conte mâle qui se suffit à lui même où il n’y a aucune intervention de rythme ou d’accompagnement, et où le récit coule sans interruption. Puis, le conte femelle qui, lui, contient une ou des chansons. Exemple du célèbre conte du Gorille qui veut se marier avec une belle princesse Ashanti qui venait de refuser les plus beaux jeunes hommes du royaume. Un conte très connu, où le rôle de la chanson et de la musique est essentiel.
Conte et écriture
Il est évident que des contes disparaissent tous les jours, parce que non répertoriés. Mais comme je le vous disais plus haut, tant qu’il y aura des hommes, il y aura des contes. Les histoires d’aujourd’hui sont les contes de demain. Je compare toujours, à l’instar de mon ami le Tunisien Khemiri, un conte à une vieille pierre polie par le temps passé, les intempéries et les grandes chaleurs. Pour qu’une histoire devienne un bon conte, il faut qu’elle voyage, qu’elle passe de case en case, de village en village, de plage en plage. La particularité, voire la magie du conte, c’est son intemporalité. Tant qu’il existe des narrateurs, des témoins, des souvenirs, des dates, c’est encore une histoire.
Conte et auteur
Le conte est un bien public. Bien sûr, le squelette de l’histoire à eu un jour un auteur : le premier qui l’a raconté en public. Mais avec le temps, il s’est passé tellement de choses… Personne ne peut revendiquer la paternité d’un conte. La paternité est une paternité de l’instant. Au moment où je dis le conte, il m’appartient. Parce qu’avant de le dire, je l’ai tellement intériorisé. Contrairement au comédien de théâtre ou à l’acteur de cinéma, le conteur n’a pas un texte dont les plus petits détails ont été dessinés par quelqu’un d’autre. Lignes et détails qui exigent un respect scrupuleux. Raconter, c’est l’art d’être vrai, d’être spontané, d’être nouveau à chaque fois.

///Article N° : 674

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Arbre à Palabres © Patrick Frilet





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