Quand les auteurs de BD racontent leurs pays

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Après quelques tentatives malheureuses dans les années 70 et 80 avec les éditions ABC et Fayolle, les auteurs de bande dessinée recommencent à s’intéresser à l’histoire de leur pays respectif.
Retour sur un tout nouveau phénomène, en cours de se développement, pour le plus grand bonheur des lecteurs.

L’histoire de l’Afrique a régulièrement été abordée par les auteurs africains. Nous l’avons constaté, en particulier dans les années 70 et 80, chez des éditeurs sénégalais (NEAS) ou ivoirien (NEI). Plus récemment, c’est le cas avec des auteurs comme Fayez Samb ou Biyong Djehuty (1).
Si des évènements historiques ou mythiques ont régulièrement fait l’objet d’adaptations en BD, il est rare que l’histoire des pays soit abordée dans leur durée par des auteurs du continent.
Pendant longtemps, ce fut en effet le néant : seuls les européens racontaient l’histoire des pays d’Afrique en BD… très souvent dans le cadre d’albums de commande ou de propagande. En ce sens, les années 70 ne furent pas une période très heureuse. En effet, durant cette décennie, des auteurs occidentaux de bande dessinée ont été régulièrement sollicités pour valoriser le parcours de dirigeants africains. Ce fut le cas avec la série Il était une fois… des éditions ABC (Afrique Biblio-Club) et Fayolle, qui en quatre années d’existence (1976-1980) publièrent 16 monographies de différents dirigeants de l’époque : Eyadéma, Ahidjo, Mobutu, Kadhafi, Omar Bongo, François Duvalier, Hassan II, Houphouet-Boigny…
Le premier tome de cette collection Il était une fois… Éyadéma : Histoire du Togo. fut l’ouvrage le plus distribué au Togo après le livre vert (2). Lancé avec un rare battage médiatique par les thuriféraires du RPT, Il était une fois… Éyadéma : Histoire du Togo présente une histoire du Togo schématisée, réduite à la figure d’Eyadéma. Le dictateur est représenté ici comme un brillant élève et un lutteur imbattable. Il n’est pas seulement le meilleur des chasseurs mais également le plus courageux des soldats de l’armée française, doublé d’un stratège de génie. Son avènement à la tête du pays est présenté comme le moyen de sauver le pays de l’anarchie politique : « Le refus à trois reprises du président d’appuyer la candidature d’Eyadéma à l’École d’officiers de Fréjus, en France, justifie sa rancœur à l’encontre du régime d’Olympio. Il reconnaît dans ce refus une politique de division ethnique qui servira de prétexte principale à l’assassinat du président : tout est donc réuni pour qu’éclate une crise. Et comme le chef de l’État Sylvanus Olympio pratique l’autoritarisme, la crise ne peut trouver sa solution que dans la violence. (3) »
La collection se poursuivra avec Il était une fois… Mobutu (1977) ; Il était une fois… Hassan II (1979); Il était une fois… Ahmadou Ahidjo (1980) ; Il était une fois… El Hadj Omar Bongo (1980) ; etc. Tous de grands démocrates soucieux de « leur » peuple. Le concept de départ était assez louable : raconter l’histoire contemporaine africaine, en la recentrant autour des figures importantes d’une nation. La réalisation fut bien plus discutable et se transforma en panégyrique des dictateurs du continent et d’ailleurs (le Haïtien François Duvalier, bien que décédé, eut également droit à sa « biographie » revisitée). Des générations de jeunes grandiront en lisant les « exploits » et aventures de leurs « glorieux » dirigeants.
Près de trente ans après, la situation a, fort heureusement, changé. 2010, année de commémoration du cinquantenaire de l’indépendance de 14 pays d’Afrique, a été l’occasion d’éditer plusieurs ouvrages retraçant l’histoire de certains d’entre eux.
Le premier du genre est Congo 50, publié en RDC par les éditions Roularta books, avec le soutien de l’ONG belge de développement culturel, Africalia. L’album traite de l’histoire du pays à travers le parcours de deux jumeaux, Lipanda et Dipanda, tous les deux baptisés le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du pays.
L’intrigue se compose de huit récits : L’indépendance cha-cha (1960-1966) avec comme scénariste Asimba Bathy ; La longue marche (1966-1972) de Cara Bulaya ; Boum Yé (1972-1980) de Jules Baïsole ; Kin-la-Belle (1980-1986) de Didier Kawende ; Les affaires (1896-1992) de Asimba Bathy et Fati Kabuika ; Dans les camps (1992-2000) de Gédéon Mulamba et Djemba Djeis ; Rendez-vous à Lubumbashi (2000-2006) de Tshamala Tetshim ; Bâtir l’avenir (2010) de Jason Kibiswa. Encadré par Alain Brezault, présent lors d’ateliers de travail, les huit auteurs, tous issus de la revue BD Kin label, racontent les 50 années d’existence de leur pays, à leur manière et sans censure.
L’échec de la zaïrianisation est présenté comme le résultat d’un embargo par l’occident (selon Fati Kabuika), ni la mort de Lumumba, ni la sécession du Katanga ne sont mentionnées. La figure du maréchal Mobutu n’apparaît nulle part, même si son régime est évidemment évoqué. Le tiers de l’album se situe après la révolte des Banyamulengés en 1997, révolte qui entraînera la chute du régime de Mobutu. Une histoire du pays vue à travers les yeux partiaux mais sincères d’auteurs de BD : la recherche historique n’y gagne sans doute pas grand chose, contrairement à l’art.
Grand père, raconte nous le Congo (Myk consulting – 2010) parle du « Congo d’en face », celui qui a pour capitale, Brazzaville. Dessiné par le congolais de RDC, Serge Diantantu, l’album a été scénarisé par Mélanie Yhomby-Opango (fille d’un ancien président du pays), Thomas Matali et Gégory Kounga.
Dans une famille, le grand père raconte les 50 années d’indépendance de la jeune république congolaise depuis la fin de la colonisation. L’histoire préfère s’attarder sur les grandes figues politiques qui ont marqué leur époque, en particulier les différents présidents qui se sont succédé depuis Fulbert Youlou jusqu’à l’actuel Denis Sassou Nguesso. Scénarisé avec une vision œcuménique de l’histoire du pays, l’album s’attarde sur les réalisations des uns et des autres, passant rapidement sur les soubresauts et les périodes difficiles. Une version apaisée d’une histoire trouble, en quelque sorte….
On peut y voir une évocation « en passant » de l’histoire d’un pays et non une œuvre historique en tant que telle. L’occasion également de magnifier la fierté d’être congolais, sans doute. Un ouvrage intéressant cependant, dans la perspective d’une première approche du pays, servi par un dessinateur de talent, spécialiste de Bd historique puisqu’il aura publié la même année le premier album d’une série sur l’esclavage (Bulambemba) et la fin d’une trilogie sur le prophète congolais Simon Kimbangu (Lipanda dia zole).
Un autre album sur le Congo devrait bientôt paraître.
Île était une fois relève d’une autre démarche. Réalisé par des artistes mauriciens (Pov, Evan Sohun, Thierry Permal, Munavvar Namdarkhan, Wilma Larché, Noah Nany, Sébastien Langevin, Annouchka Ramcharrun), l’album a été soutenu par AfriBD et encadré par Alain Brezault lors d’un stage effectué sur place en juillet 2010. Libres de la façon dont ils traitaient leurs sujets, les huit jeunes auteurs ont préféré raconter l’histoire de leur île sous forme de contes, avec le dodo comme fil conducteur. Au programme, la transformation de Port-Louis depuis la belle ville coloniale jusqu’à la cité industrialisée qu’elle devint peu à peu, le débarquement des Anglais à Cap Malheureux en 1810, le débarquement des travailleurs indiens au début du 20ème siècle, l’arrivée des esclaves sur l’île, etc.
A la différence des autres albums, peu ou pas d’évocation d’une île Maurice indépendante et surtout des réussites de la démocratie dans ce qui fut le premier pays d’Afrique à organiser des élections libres et à vivre une transition politique. Un bel album et une belle réussite pour l’éditeur mauricien Vizavi, très connu pour la série Tikoulou, avec cette belle évocation des épreuves qui ont forgé cette nation multiethnique.
Le dernier album concerne le dessinateur malien, Massiré Tounkara qui a sorti en 2011 Le Mali de Madi, chez l’éditeur Prince du sahel (sur un scénario du français Sébastien Lalande). L’album raconte l’histoire de Madi, journaliste reporter, qui évolue au gré des événements de l’histoire pour devenir une référence dans son métier et un écrivain reconnu. Lalande et Tounkara se penchent sur les premières heures de l’indépendance et l’apprentissage de la démocratie, mais aussi la foisonnante scène artistique du pays, les grandes transformations sociales, les exploits sportifs et le développement économique.
Si l’intrigue centrale est assez mince (Madi est poursuivi par la haine de son frère qui le rend responsable de la mort de leur jeune sœur quand ils étaient enfants), l’évocation des cinq décennies du pays est plaisante, agréable bien qu’un peu didactique.
C’est également l’occasion pour Tounkara de montrer ses talents de coloriste. Enfin, on peut saluer l’initiative courageuse de l’éditeur Prince du sahel qui existe depuis 2006, à Bamako. Spécialisé dans les guides d’affaire pour les pays de la zone UEMOA, Le Mali de Madi est leur première incursion dans le domaine du 9è art.
Le bilan pour les années 2010 et 2011 est assez positif : entre un album très peu hagiographique (Grand père, raconte nous le Congo), des œuvres où des auteurs expriment une vision personnelle de leur histoire nationale (Congo 50, Île était une fois) ou un album s’attachant surtout aux faits (Le Mali de Madi), un corpus d’œuvres historiques assez intéressant pour l’avenir commence à prendre forme. Cela traduit peut-être un début d’appropriation pour des auteurs de BD qui, dans ces pays, souffrent souvent d’un déficit de reconnaissance.

En France, la sortie de l’Histoire de France en bandes dessinées, chez Larousse au milieu des années 70 avait été un choc pour toute une génération de jeunes lecteurs… dont l’auteur de cet article. Pourquoi ne pas rêver, dans ces conditions à une expérience similaire pour l’Afrique ? Ce serait un merveilleux moyen pour la Bd d’être enfin étudié à l’école, l’étape ultime avant de rentrer définitivement dans les foyers en tant qu’objet de consommation courante.
Mais ceci risque d’être une longue route, aussi longue que l’histoire de l’Afrique !

1. Cette partie de la production de BD d’Afrique a été abordée dans l’article L’histoire de l’Afrique en bande dessinée : [article n°6929]
2. Document de programme du RPT (Rassemblement du peuple togolais), parti unique de l’époque, rédigé par Edem Kodjo, futur premier ministre et secrétaire général de l’OUA
3. Extrait de l’album, p. 35.
Erstein, le 28 juin 2011///Article N° : 10283

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Les images de l'article
Île était une fois - planche de Thierry Permal - © éditions Vizavi
Île était une fois - planche de Thierry Permal - © éditions Vizavi
Le Mali de Madi - couverture - © éditions Roularta books





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