Viva Riva !

De Djo Tunda wa Munga

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Il y a deux façons de recevoir la claque qu’est Viva Riva ! La première serait de considérer que cette production Canal + truffée de techniciens occidentaux est un thriller bien maîtrisé mais sans grande originalité, conforme aux règles du genre, qui en rajoute au niveau sexe et violence, et laisse une impression glauque, à l’instar des scènes paroxystiques de Blood Diamond et autre film d’action où l’Afrique n’est qu’une triste science-fiction style no future. En somme de mettre le film à distance en n’y trouvant que jouissance exotique.
La seconde serait d’y regarder de plus près, d’en interroger le contexte et la genèse, et ce qu’il cherche à nous dire d’un certain état de l’Afrique. Ce qui suppose effectivement de passer par-dessus la gêne occasionnée par le voyeurisme du spectacle, en se disant que Djo Munga ne nous vend pas un polar dans les bas-fonds de Kinshasa pour le seul plaisir du suspens et des yeux, mais qu’il le détourne pour proposer une réflexion.
Nous voilà donc dans un monde de truands et de flics corrompus, où ne compte que le fric à se faire sur le dos du bas peuple pour réaliser ses envies, grosso modo faire la fête et avoir les filles qu’on veut. C’est du moins le plan de Riva qui redéboule à Kinshasa après avoir entôlé ses patrons angolais, ce qui confine au suicide puisqu’ils sont bien sûr aussitôt à ses trousses et ne sont pas du style à faire des cadeaux. Riva tombant amoureux en début de film d’une beauté aux cheveux rouges qui est déjà prise, les courses poursuites et autres séances de torture vont tourner autour du jusqu’au-boutisme du héros sans peur mais non sans reproches. Si l’imperturbable Riva est un truand au grand cœur avec sa maman, il a beau écouter le récit des viols qu’a dû subir sa dulcinée par son directeur d’école, quand elle lui dit que l’argent n’est pas tout, il en ressort aussitôt de sa poche. Les sentiments passent donc par la tune et même les prêtres ne jurent que par l’oseille. « Votre pays, c’est la pire crotte de vache qu’on ait jamais vue. Peut-être qu’on aurait dû vous garder sous colonie », dit le chef de bande angolais à Riva. Voici donc pour l’état du pays, la catastrophe ambiante. Face au tragique, Riva n’a d’autre choix pour exister que de foncer tête baissée, de ramasser les coups sans y penser, de sacrifier son corps sur l’autel de la grande ville.
Car c’est bien son corps l’enjeu et le nœud du film, ce corps poursuivi, écartelé, supplicié mais encore debout dans le jeu des forces qui dépassent vite ses rêves trop humains. S’il cherche à échapper aux normes, c’est à celles des lois sans pitié des truands, qui sont devenues celles de la société. Sa tentative est vouée à l’échec puisqu’il adopte les mêmes armes que ses ennemis et que lui aussi ne court qu’après le fric. Corps ballotté par des batailles sans lendemain, Riva est sans espoir, tout comme les autres protagonistes, tout comme le pays s’il suit les mêmes voies. La morale sera sauve puisque la série de carnages réduit drastiquement les effectifs, mais le constat est cruel, d’autant plus qu’on ne voit pas le gamin des rues fasciné par ce monde en déroute penser à autre chose qu’à poursuivre ce rêve suicidaire de richesse.
Riva n’est ni Robin des bois ni Jésus : il ne se donne pour personne d’autre que lui-même. Il plonge sans protection dans le sexe et la violence car il n’a pas d’avenir. Si le film est entièrement tourné en lingala, c’est que c’est bien de Kinshasa qu’il s’agit, décor tragique d’une histoire qui ne peut être que dramatique, aux rythmes déchaînés d’une musique omniprésente que même la caméra a du mal à suivre. En bon documentariste, Munga donne du corps à la ville autant qu’à ses acteurs, si bien qu’elle devient personnage au même titre qu’eux. Parce qu’elle est le triste produit des ravages de la guerre, elle ne peut être abordée qu’avec distance pour ne pas sombrer dans le pathos : le thriller et l’humour seront les armes d’un rapport au réel où le traumatisme se combat avec le recul de la fable. La vitesse joue avec les couleurs vives pour se conjuguer dans le vertige kinois, mouvement perpétuel qui ne sait où il va mais qui y va à fond. Riva se glisse entre les murs, entre les femmes, entre les dangers, jusqu’à ce que la ville le rattrape et le happe, comme la baleine engloutit Jonas, mais cette fois sans retour.
Déjà, le colonisé était un corps d’exception, que l’on soumettait à merci. Décolonisés, les corps restent déterminés par cette incertitude de faire en permanence l’expérience du danger, intérieur comme extérieur. Ils n’ont d’autre alternative que d’échapper aux normes et règles édictées et de revendiquer leur instabilité, se reconstruisant par la force de leur imaginaire pour rêver et espérer. À Kinshasa, c’est un projet désespéré et Riva n’échappe pas à son destin. Si le film, lui, fait l’amère constatation de la perte et de la catastrophe à l’œuvre, ce n’est pas pour nous accabler mais pour nous encourager à accepter l’imprévisibilité de notre propre devenir. La conscience de la perte fonde dès lors un autre rapport au monde qui restaure la conscience de la mort que l’image spectacle et l’image de magazine ne cessent de renier.
En maniant ainsi le désir et la mort à gogo, Viva Riva ne les prend pas comme un spectacle en soi, propre à caresser nos pulsions malignes, mais remet à l’heure les pendules des suffisantes certitudes : ce qui se joue aujourd’hui dans les rues glauques de Kinshasa n’est rien moins que la torride science-fiction d’un avenir incertain, un monde à la dérive qu’il nous serait utile de regarder de plus près pour ne pas sombrer corps et âme

///Article N° : 10467

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Viva Riva © Indigenous Film Distribution
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