« Le style africain, pour nous, signifiait dessiner les Noirs »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Narcisse Youmbi

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L’intérêt des auteurs africains de BD pour le dessin animé est de plus en plus marqué. Malheureusement, les occasions de montrer son talent restent rares. En Algérie, le producteur Djilali Beskri a confié un projet de 52 contes en dessins animés entre les mains d’un jeune auteur camerounais de bandes dessinées, Narcisse Youmbi.
Bel exemple de coopération interafricaine que notre collaborateur Christophe Cassiau-Haurie a voulu aborder en rencontrant cet artiste ambitieux et volontaire.

Comment avez-vous débuté dans le dessin ?
Ma passion pour le dessin remonte à ma tendre enfance, depuis la classe maternelle. J’ai pris goût au coloriage et aux formes. Avant même de savoir lire, je passais beaucoup de temps à feuilleter les BD de mes sœurs aînées en imaginant juste par les images, ce qui se passait. J’ai donc passé tout mon primaire à dessiner sur mon ardoise à l’école comme à la maison. Je montais des scénarios que je racontais en dessinant et effaçant pour dessiner la suite. C’était comme une BD en temps réel où tu ne vois que la vignette de l’action présente, car la précédente avait déjà été effacée et la suivante pas encore dessinée, mon ardoise étant considéré comme une vignette de BD ou un écran de télévision. À force de dessiner j’ai gardé le réflexe et au secondaire, j’ai commencé à reproduire intégralement les BD qui avaient le bon graphisme, les Tex Willer, Mister No et autre… Ensuite j’ai rencontré des copains qui faisaient mieux. De fait, l’esprit de concurrence est né ainsi que des soucis de graphisme et de détail. On dessinait sur tout ce qui était blanc : papier, mur, tissu, etc. Ceci malgré l’interdiction formelle de nos parents qui avait peur que ça nous gêne pour l’école. En ce qui me concerne, je dessinais dans tous mes cahiers, au point des fois de ne plus avoir des pages pour les cours et cela inquiétait vraiment ma mère.
Vous avez eu d’autres influences que les Tex Willer et compagnie ?
La découverte des jeux vidéo comme Street Fighter, et autre jeux de baston au bon graphisme m’a permis d’avoir de nouveau réflexe dans le coloriage et la réalisation des décors. J’ai toujours été un mordu du réalisme et du bon graphisme. L’avènement du manga ne m’a pas particulièrement influencé. Parce que j’étais déjà à cette époque à la recherche d’un style à moi, d’un style africain comme on l’appelait à l’époque, en fait le « style africain » pour nous signifiait dessiner les Noirs car ayant passé toute notre enfance à recopier des BD dont les personnages était blancs, dessiner un Noir était un grand handicap pour nous à l’époque. On l’a ressenti à partir du moment où on a voulu faire nous-même nos propres BD avec des personnages et des histoires de chez nous. Ensuite, à la fac, j’ai fait d’autres connaissances en adhérent au club des arts plastique de l’université de Douala où nous étions encadrés par un professionnel. Ensuite, il y a eu l’association Trait noir dont je suis membre fondateur. Avec celle-ci, j’ai pu participer à des ateliers sur la bande dessinée avec des dessinateurs comme Buche, Boulet, Attak, Barly Baruti, P’tit Luc, Alexis Ferrier et bien d’autres encore. À cette occasion, j’apprenais véritablement le métier d’auteur de BD. Ensuite il y a eu des festivals où j’avais l’occasion d’échanger véritablement avec les dessinateurs des quatre coins du globe. C’est ainsi que j’ai fait mes premiers pas dans le monde professionnel de la BD.
Comment avez-vous commencé à publier ?
Les premières publications ont d’abord été collectives avec le soutien du CCF. Ensuite, il y eut une tentative de publication mensuelle avec l’association Trait noir qui n’a pas beaucoup marché à cause d’un manque de financement et enfin des publications dans des fanzines, brochures éducatives, magazines et journaux satiriques. Très peu d’entre nous y ont trouvé vraiment leur compte. Pour ma part, j’avais l’impression de tourner en rond, surtout face aux nombreux obstacles qui se dressaient sur notre chemin, entre autres le manque d’éditeurs spécialisés, le manque de réseau de distribution, le manque d’intérêt pour la lecture des jeunes camerounais au profit de la télévision, qui gagnait du terrain avec l’avènement de la télé par câble. Il y eut une période de désillusion, je l’avoue.
Vous vous en êtes sorti comment ?
Tout ceci m’a amené à voir les choses différemment. Je m’étais fixé un objectif, celui de réussir dans le domaine de la BD. Au lieu d’essayer de contourner le plus important des obstacles qui se dressait devant moi, je décidais de l’affronter plutôt de face. Je me suis rendu compte que la BD japonaise, le manga, marchait très bien au Cameroun alors que nous proposions sans succès des produits locaux beaucoup moins chers aux consommateurs. Cela s’expliquait par l’existence d’une chaîne Manga player qui avait réussi à imposer ses produits aux jeunes consommateurs. Ceux-ci devenus fous de série cultes, s’arrachaient les BD de ces séries à prix d’or. J’en suis venu à me dire que la solution de la BD en Afrique pouvait être trouvée dans le dessin animé. Car avec un dessin animé qui accroche et qui est diffusé, le produit dérivé en BD marche forcément. C’est à partir de ce moment que je me suis lancé dans la folle aventure du dessin animé !
Au fait, assez étonnement, vous n’avez pas fait d’études en arts graphiques…
J’ai fait les études en sciences économiques et gestion appliquée à l’université de Douala. Je suis diplômé en science de gestion. Mon domaine d’étude me sert énormément dans mon travail aujourd’hui dans la mesure où je suis en charge du département d’animation de la société de production cinématographique Dynamic Art Vision en Algérie, poste où l’outil managérial est incontournable. J’ai aussi reçu à l’époque le deuxième prix du meilleur Business plan de la 11e promotion de MBA de l’Essec de Douala.
Y a-t-il des formations diplômantes en matière de 9e art au Cameroun ?
À ma connaissance non, mais il y a plusieurs facultés des beaux-arts, publiques et privées, ainsi qu’un institut supérieur étatique des beaux-arts nouvellement ouvert à Nkongsamba, ma ville natale. C’est sûr qu’à l’époque je serai allé étudier là-bas si elle avait déjà existé. Au Cameroun, la plupart des acteurs du 9e art sont des autodictates. L’école d’art la plus réputée du pays est l’IFFA de Mbalmayo, je n’y suis jamais allé mais c’est la plus ancienne, elle est italienne.
Comment en êtes-vous venu à vous installer en Algérie et à travailler dans le dessin animé ?
Mon aventure en Algérie a commencé avec le FIBDA en 2008, ou j’étais invité en tant que bédéiste, car mon album Pyramide de l’Ouest avait été sélectionné. Il y eut d’autres éditions du FIBDA auxquelles j’ai également participé. Grâce aux ateliers d’animations organisés par le FIBDA, j’ai découvert cette activité. De retour au pays, je décide de tout laisser tomber ainsi que mon boulot pour me consacrer uniquement à l’animation. C’est en tant que lauréat de la bourse de CulturesFrance en Art visuel en 2010 que j’ai obtenu une résidence de création en Algérie. J’avais pu nouer de bonne relation avec des Algériens, notamment la grande famille du FIBDA et le producteur de Dynamic Art vision, Djilali Beskri. Ce dernier m’a soutenu pour ma résidence de création en acceptant de m’offrir un stage dans son entreprise. Pendant ma résidence Djilali Beskri a flashé sur mon personnage de Papa Nzenu, le griot, et a décidé de le greffer à son projet de 52 contes Africains en film d’animation. D’où la naissance du concept « Papa Nzenu conte l’Afrique ». Je réalise le premier épisode de la série Le chasseur et l’Antilope et supervise les autres épisodes car chaque épisode doit être réalisé par un jeune réalisateur originaire du pays. Le projet est visible sur [http://papanzenu.blogspot.com].

Parlez-nous de votre album La Pyramide de l’Ouest ?
Pyramide de l’Ouest est une histoire tirée de mythes et de réalités autour du peuple Bamiléké. Pour ce peuple aux origines controversées, il y a deux théories. La première dit qu’elle vient de la douzième tribu d’Israël et l’autre qui affirme qu’elle descend tout droit de l’Égypte pharaonique et présente de nombreuses similitudes entre la culture de l’Égypte pharaonique et celle des Bamilékés. J’ai donc opté pour la deuxième théorie où j’avais beaucoup plus d’élément sous la main comme des similitudes qui rendaient mon histoire beaucoup plus passionnante et me donnaient aussi la possibilité de la bourrer de fiction et d’action. C’est donc une histoire qui essaye de retracer l’origine égyptienne du peuple Bamiléké à travers une équipe de chercheur sur les traces de la dépouille d’un prêtre d’Égypte Thouthmôka. Leur recherche les mène donc en pays Bamiléké. Ils acquièrent la certitude que le peuple Bamilké tire ses origines d’Égypte mais semble l’ignorer pour la plupart. Ils engageront donc un jeune du nom de Kouamo (personnage principal) qui va les conduire à la vallée maudite, vallée crainte par tous les villageois. Là bas ils découvriront l’inattendu, une civilisation de l’époque de l’Égypte Pharaonique totalement coupée du reste du monde et une grande pyramide dans laquelle repose certainement la dépouille de Thoutmôka le Grand. C’est une très longue histoire prévue en 12 tomes mais qui peut aussi être déclinée en série.
Il s’agissait du premier album camerounais en couleur, comment a-t-il été reçu ?
Je travaille sur cette publication depuis très longtemps, un essai pas vraiment peaufiné a été publié dans le collectif Trait noir. Ensuite je l’ai réécrit pour le mensuel K-mer Komix, avant de l’éditer en couleur sur format A4 sous forme d’album. Il a été très bien accueilli, la preuve, je n’en ai plus un seul exemplaire ! Mais je me suis arrêté parce que je ne rentrai pas dans mes frais à cause du coup d’impression en quadrichromie. J’ai imprimé peu d’exemplaires, 250. En fait, je l’ai tiré pour le Festival International de BD d’Alger, en espérant trouver un éditeur ou avoir un contrat d’édition par la suite. Je l’ai vendu de la main à la main mais la plupart des gens me l’achetait plus pour m’encourager. On me donnait parfois jusqu’à mille dinar pour une BD à Alger pendant le festival ! Je ne m’en serai jamais sorti au Cameroun avec ce tirage qui était fait en laser couleur sur du papier glacé. Mon but était d’avoir une belle BD faite main pour séduire les décideurs du 9e art lors de grands événements autour de la BD.
Avec votre passage dans le dessin animé, la bande dessinée semble derrière vous…
Non je n’envisage pas de laisser la BD, d’ailleurs je continue à faire des piges pour des magazines. Par exemple je publie actuellement une série BD pour le magazine de bord de la compagnie aérienne Camerounaise Camair-co. Je dois leur livrer 4 planches tous les deux mois. La Camair-co est une compagnie nouvellement créée, en pleine structuration. Je suis le premier dessinateur, j’ai été contacté quand j’étais au Cameroun en mars de l’an dernier. J’ai déjà fourni les planches pour deux numéros. J’attends la publication d’autres numéros pour publier d’autres planches.
C’est bien pour vous, mais cela ne constitue pas une carrière…
C’est vrai que je n’ai pas beaucoup le temps pour continuer dans mes projets de BD, mais je reste très proche du dessin car dans un projet de film d’animation, on dessine beaucoup plus que dans un projet de BD. Je compte bien continuer avec Pyramide de l’Ouest si je trouve un éditeur. J’ai beaucoup d’autres projets similaires qui dorment dans mon tiroir et je compte bien les publier ou en faire des séries animées avant de faire des déclinaison en BD par la suite. Bref, l’important c’est que je sois resté dans le métier, tout ce que je fais est lié au dessin et c’est déjà une réussite pour moi. Je ne peux donc pas parler de déracinement professionnel.
Comment expliquez-vous que le Cameroun ait beaucoup de bons dessinateurs et finalement peu de productions ?
Ce problème est récurrent. On manque d’éditeur spécialisés en Afrique, c’est encore pire en Afrique subsaharienne, où on n’a pas de réseau de distribution. De plus, le pouvoir d’achat local est trop faible pour qu’un Africain moyen puisse s’offrir un bel album de BD. Si la BD n’est pas soutenue en Afrique, elle disparaîtra totalement. Les jeunes lisent de moins en moins maintenant. Il est urgent que les pouvoirs publics et les mécènes privés pensent à soutenir ce secteur d’activité car il contribue aussi à l’évolution de la société. C’est un vecteur de communication à ne pas négliger. On aura beau avoir des dessinateurs talentueux, s’il n’y a pas de mécanisme de soutien pour les permettre de créer et de produire, il n’y aura jamais de productions.
Vous comptez rester encore combien de temps en Algérie ?
Pour le moment je suis sur le projet Papa Nzenu, qui est désormais en marche.
Après, ça dépendra, Une fois le projet sur la route, j’aurai des idées plus précises sur la suite. Mais je dois mentionner que l’Algérie est un pays qui m’a très bien accueilli. et je profite de l’occasion pour remercier tous les amis qui m’ont soutenu ainsi que la sympathique équipe de Dynamic Art vision. Je me sens comme chez moi ici. Ben la suite, on verra !

Entretien par MSN, octobre 2011.///Article N° : 10617

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Les images de l'article
Pyramide de l'Ouest © Youna
Planche extraite de La Duplicité © Youna
DVD Le Chasseur et l'Antilope © Dynamic Art Vision
Narcisse Youmbi
Planche extraite de La Duplicité © Youna
Planche extraite de La Duplicité © Youna
Planche extraite de La Duplicité © Youna





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