L’Archicamp Lomé 2012 :

Confronter les nouvelles technologies et l'architecture modeste

Entretien de Charles Ayetan avec Koffi Sénamé Agbodjinou
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Chercheur en architecture et anthropologie, Koffi Sénamé Agbodjinou est diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris La Villette. Actuellement au Togo dans le cadre de l’Archicamp Lomé 2012, un atelier international prospectif sur l’architecture et les nouvelles technologies qui se tient du 22 juillet au 12 août 2012, il nous développe, au cours de cet entretien, l’initiative de cet atelier et les résultats qui vont en découler.

Comment est née l’idée d’organiser l’atelier international « Archicamp » ?
L’Archicamp est un atelier prospectif sur un thème précis à l’initiative de [L’Africaine d’architecture], une association créée en France par de jeunes étudiants et professionnels architectes et qui vise à promouvoir une approche originale des questions d’architecture et d’urbanisation des villes en Afrique. C’est dans ce cadre que nous avons décidé d’organiser un atelier, qu’on reproduira tous les ans dans une ville différente, sur un thème proposé par la ville hôte.
Pour cette première édition qui se tient à Lomé au Togo, nous avons choisi de travailler sur les nouvelles technologies et l’architecture modeste, l’architecture économique, qui mobilisent des ressources et des dynamiques locales.
Parlez-nous un peu de l’Archicamp Lomé 2012 ?
L’Archicamp de Lomé rassemblera du 22 juillet au 12 août 2012, une trentaine d’étudiants dont quatre représentants de l’École supérieure d’ingénierie, d’architecture et d’urbanisme (ESIAU) du Mali, plusieurs étudiants de l’École africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU) à Lomé, une dizaine d’étudiants français, une étudiante italienne. Par ailleurs, un groupe d’étudiants du Nigeria est attendu à Lomé pour cet atelier. Les participants sont de spécialités diverses, architecture, anthropologie, sociologie, design, urbanisme, graphisme, technologies de l’information et de la communication, etc.
Il s’agira de faire trois espaces de co-working dans la ville de Lomé, c’est-à-dire des espaces de travail collaboratif pour des gens qui s’intéressent au numérique, aux nouvelles technologies, etc. Pendant trois semaines donc, nous allons travailler à créer trois espaces sur trois sites qui ont été choisis à Lomé, avec à la fois des matériaux modestes et le recours aux nouvelles technologies.
Quel est l’objectif de l’Archicamp ?
L’objectif poursuivi est de voir comment les nouvelles technologies modernes peuvent aider à faire de l’architecture modeste avec des matériaux souvent négligés. Parce que généralement on pense que les nouvelles technologies s’opposent à tout ce qui est traditionnel, peu coûteux, etc. C’est pourquoi nous avons monté cet atelier pour confronter ces deux mondes aux fins d’en dégager des solutions innovantes pour des éco-projets responsables, intégrés à la ville. Notre but est alors de montrer que les nouvelles technologies ne sont pas forcément en conflit avec la modestie, l’économie.
Parlez-nous un peu du déroulement de cet atelier ?
Cet atelier comporte des communications thématiques, des présentations de projets et des travaux collaboratifs sur le terrain.
En amont, nous avions lancé un concours de récits urbains par l’intermédiaire et la collaboration d’une plateforme dénommée [Nativ, Droit à rêver], une association engagée dans la promotion des technologies de l’information et de la communication au Togo et en Afrique. Ce concours a permis de sélectionner deux sites, le terrain de Basket-ball au carrefour de Djidjolé et un espace à Togbato, sites auxquels nous avons ajouté un troisième qui est celui de la baie d’Atikoumé.
Au cours de cet atelier, nous ferons trois propositions, avec trois équipes que nous allons constituer pour d’intenses travaux pendant les trois semaines que durera cet atelier.
Quelle est la finalité de l’Archicamp ?
Nous proposerons des plans, des études sur la faisabilité, nous proposerons aussi des projets, quitte aux hôtes de l’atelier, la communauté du numérique locale, de s’emparer du projet et de faire assez de lobbying pour réunir des fonds afin qu’une de ces propositions voie le jour.
Nous nous réjouissons au passage de la visite de M. Louis Edjéou de la direction des Services techniques de la mairie de Lomé qui nous a promis sa disponibilité à accompagner l’initiative. Il est donc fort possible qu’en se mobilisant suffisamment et avec l’appui de la mairie et des partenaires potentiels, on arrive à construire un des projets que nous proposerons. En fait, nous jetons une passerelle…
Justement, comment envisagez-vous la passerelle entre la tradition et les innovations technologiques dans le cadre de cet Archicamp ?
Il faut dire que j’ai d’abord identifié une proximité entre la tradition et les technologies. C’est-à-dire que j’ai longtemps travaillé dans les sociétés de traditions à essayer de faire une architecture rigoureusement moderne et contemporaine mais qui respecte la société des traditions.
Puis, au lieu de faire du patrimonialisme à la façon Unesco, c’est-à-dire de muséifier les choses, je pars de la tradition pour inventer demain mais en respect avec la tradition. Ça m’a donc amené à découvrir les ressorts du monde traditionnel qui sont l’absence d’argent, la solidarité, le partage, le partage des connaissances, le respect, le recyclage… Bref, tous ces principes qui ne sont pas conceptualisés. Il y a quelque temps en faisant des recherches pour organiser un atelier sur un thème original, je suis tombé dans le milieu des hackers. Et là, j’ai redécouvert ce que j’avais déjà vu dans le monde traditionnel : la solidarité, le partage, la démocratie technologique… Du coup, je me suis rapproché de ce monde que je pensais très éloigné du mien, qui est le monde de la construction en terre, la construction en matériaux très modestes. J’ai donc pensé cet atelier pour surligner ces proximités entre ces deux mondes.
Pourquoi vous intéressez-vous aux rapports entre l’architecture et les nouvelles technologies ?
Personnellement, je pratique l’architecture en associatif depuis un certain moment déjà. En particulier, je travaille dans le cadre des constructions avec des matériaux modestes, constructions pour les pauvres ; et, même si c’est pour des bâtiments en ville, c’est toujours dans l’esprit de modestie, en mobilisant les savoir-faire locaux, en recyclant des formes traditionnelles.
Pendant longtemps, j’ai tourné le dos aux nouvelles technologies, parce que je pensais à tort que ce monde est un monde individualiste, de gaspillage, de consommation à outrance. Mais, je me suis rendu compte très récemment qu’il y a quand même une correspondance entre ce monde des nouvelles technologies et celui de la tradition.
Où situez-vous cette correspondance entre les nouvelles technologies et la tradition dans le domaine architectural ?
Dans le milieu du numérique en ce moment, il y a toute une idéologie qui se développe : l’idéologie du partage du savoir, le hacking. Ce sont des gens qui, au sein des nouvelles technologies, essaient de mettre en place des dispositifs pour partager l’information, donc la fin du brevet. Il s’agit de mettre en place ce qu’ils appellent la démocratie technologique, c’est-à-dire les technologies aux gens qui ne sont pas nécessairement des spécialistes ou qui n’ont pas reçu une grande formation en la matière. Bref, tout publier. Cet esprit incarné par les hackers, je l’avais déjà trouvé chez les maçons tamberma (1). Je me suis alors dit, je vais mettre ensemble un maçon tamberma et un hacker formé au MIT (2).C’est pourquoi dans le jury de cet atelier international, nous avons un maçon tamberma et un hacker du MIT qui vient de France.
Vous citez la présence d’un hacker formé à MIT et d’un maçon tamberma. Est-ce que ce rapprochement répond à un but bien précis ?
Ma philosophie pour ce projet, c’est provoquer pour penser. Pour penser les choses, il faut que les choses puissent exister. Et nous, nous avons le devoir de penser le futur. Puisque l’Archicamp est un atelier prospectif, nous essayons donc de faire des choses qui peuvent engendrer le futur. Nous avons voulu en effet mettre en relation un maçon tamberma et un hacker qui est passé au MIT ; et cette décision n’a pas vraiment un but précis. C’est juste pour voir ce que ça peut donner. Parce que moi j’identifie dans le progressisme, un retour au monde traditionnel. Le monde des hackers est déjà sur le mode d’un retour aux valeurs traditionnelles : partage, écologie, recyclage. Donc, j’accélère un peu le mouvement. Je provoque cette rencontre qui devrait forcément se faire, puisque notre monde est en crise : crise économique, crise politique. Le monde va alors revenir, en tout cas s’il veut continuer à exister, à des valeurs plus modestes. Je ne sais pas à quelle échéance, mais c’est un passage obligé. Je le provoque moi, tout de suite, pour voir ce futur possible et pouvoir l’analyser.
Concrètement, comment va se passer cette rencontre maçon tamberma et hacker au cours de cet atelier ?
Il y a déjà eu une rencontre du maçon tamberma et des participants à cet Archicamp en pays tamberma lors d’une excursion, précisément dans l’École Tamari, qui est une école que j’ai réalisée là-bas il y a 6 ans. Et actuellement, ils sont entrain d’être formés par le hacker Maurin Donnaud. Mais les deux vont se rencontrer physiquement le 11 août 2012 qui est la date de délibération de l’Archicamp. Ils sont donc tous deux dans le jury. Le maçon tamberma sera évidemment sensible aux efforts que les étudiants auront fournis pour construire modeste, pour construire économique avec des valeurs de la tradition. Le hacker, lui sera sensible aux efforts d’adaptation aux nouvelles technologiques ; penser l’architecture par les outils technologiques.
En référence aux modèles existant, à l’instar des projets d’Hassan Fathy et du Centre Jean-Marie Tjibaou, où situez-vous votre initiative ?
Il s’agit là de deux références pour moi. D’abord parce que Hassan Fathy, c’est un peu le père de la renaissance architecturale africaine dans son effort de partir vers l’architecture traditionnelle pour l’adapter à un mode de vie contemporain. Il s’agit de l’architecture en voûte des coupoles libyennes. Et il a publié un ouvrage intitulé Construire avec le peuple, ouvrage orienté vers une dimension anthropologique. Quant au Centre Tjibaou, c’est l’autre exemple de collaboration entre un architecte et un anthropologue. L’architecte de ce centre a beaucoup appris au contact de l’anthropologue Alban Bensa. Justement, pour cet atelier, j’ai tenu à faire venir Laura Armand, une jeune anthropologue étudiante d’Alban Bensa qui a travaillé sur le Centre Tjibaou.
Vos attentes pour l’Archicamp Lomé 2012.
Je compte sur l’engagement des participants, de même que sur les autorités et acteurs locaux des secteurs de l’architecture et des nouvelles technologies pour faire de ce premier Archicamp international au Togo un véritable succès en matière d’innovation architecturale.
Que pensez-vous des résultats partiels qui sont déjà présentés en différents projet au cours de cet atelier ?
Je suis très satisfait. On est à deux semaines de travail intense et l’expérience que j’ai des ateliers internationaux me fait dire que nous ne déméritons pas. Je pense que nous avons un niveau assez équivalent à des ateliers qui ont 20 ans d’expériences.
Quel accueil est fait à cet atelier par les architectes locaux ?
Je n’ai pas rencontré beaucoup d’architectes depuis qu’on a commencé, bien sûr en dehors des architectes qui sont venus d’horizons divers pour cet atelier. Il n’y a pas d’engouement, bien qu’il y ait une école d’architecture à moins d’un kilomètre du lieu de l’atelier. Ils ont pourtant été prévenus. J’ai envoyé à l’avance des courriers à au moins dix personnes dans la hiérarchie de l’EAMAU, puisque c’est de cette école qu’il s’agit. Personne n’a daigné répondre, personne ne s’est déplacé. Pour les architectes professionnels qui sont indépendants, je n’en ai pas vu et ne puis les blâmer, puisque je ne les ai pas moi-même contactés directement. Peut-être qu’ils n’ont pas eu tout simplement l’information.
Un message, un appel au public, spécialiste ou non, des questions d’architecture et de technologie ?
Nous sommes déjà dans la troisième semaine et les campeurs rentrent dans la phase de productions intensives. Il est donc tard pour lancer un appel pour cet atelier, mais je peux leur dire : « N’ayez pas ce déficit de curiosité. Soyez curieux dans la vie. »

1. Les maçons ou architectes tamberma sont des bâtisseurs traditionnels au nord du Togo et du Bénin dont les constructions sont des habitats traditionnels désormais classés patrimoine mondial de l’Unesco.
2. Le « Massachussetts Institut of Technology » est une école de renommée mondiale en matière de formation en nouvelles technologies.
///Article N° : 10926

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Les images de l'article
Archicamp Lomé 2012 : premier jour © Charles Ayetan
Koffi Sénamé Agbodjinou à l'Archicamp Lomé 2012 © Charles Ayetan
Archicamp Lomé 2012 : configuration de l'imprimante 3D au Fab-Lab © Charles Ayetan





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