Belleville en chantier 4

Belleville, un espace politisé

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Installée dans le quartier de Belleville à Paris, la rédaction d’Afriscope, le magazine d’Africultures, a choisi de vous faire découvrir dans cette seconde série estivale, cet espace multiculturel de luttes sociales. Chaque semaine, aux côtés des habitants, nos guides pour chaque épisode, découvrez ce quartier d’histoire militante.

La casquette vissée sur la tête, stylo et cahier prêts pour les notes, Guy Philippon, notre guide du jour, est déjà installé à la terrasse des Folies, pour notre rendez-vous, « avec une canne et un béret », m’avait-il indiqué. À peine nous nous présentons qu’il est alpagué par une passante, arborant des pin’s aux couleurs d’Europe écologie les Verts (EELV). « Une militante du quartier », m’explique Guy. Quelques minutes plus tard, un client du bar viendra de nouveau le saluer, se donnant rendez-vous aux « journées d’été » – le rendez-vous annuel du parti. D’emblée, je comprends que Guy est à Belleville comme il pourrait l’être dans la Creuse où il est né : comme dans un village. Belleville compte pourtant depuis la fin du XIXe siècle une moyenne de 40 000 habitants.
Militant chevronné d’EELV, Guy, 86 ans, a fait ses premières armes militantes dans le 9e arrondissement. Il a résidé d’abord dans le 19e puis actuellement à Saint-Fargeau, mais c’est bien sur ce bitume du quartier de Belleville, qu’il milite depuis plus de 40 ans. D’abord et surtout au sein du Parti socialiste unifié (PSU), titre de son livre publié en mai dernier aux éditions Les Petits matins.
Tranquillement, dans le brouhaha des tasses de café, des cris d’enfants encore en vacances, et de la musique ambiante, Guy entame une balade urbaine à travers les luttes sociales de ce quartier toujours à ses yeux « aussi divers, avec des populations dominantes qui étaient les Africains et les Nord-Africains quand je suis arrivé, alors qu’aujourd’hui les Chinois ont pris une place importante. C’est encore l’un des rares quartiers populaires de Paris. »
Belleville terre d’accueil est une spécificité qui remonte au second empire. On parle alors de l’exode des Parisiens vers la banlieue, qu’est ce territoire bellevillois, un village de vignes et de jardins, avant de devenir avec les grands travaux haussmanniens, un faubourg ouvrier et d’intégrer officiellement Paris en 1860. À la fin du XIXe siècle, ce Belleville accueille une forte population allemande, avant de laisser la place aux juifs ashkénazes d’Europe centrale, « toujours très présents« , insiste Guy. Tandis que la population nord-africaine s’y est installée plutôt dans l’après-guerre mondiale. Puis plus tard, des Africains, Yougoslaves ou Chinois. « Plus de trente nationalités vivent ensemble » explique Guy.
Pour lui cette proximité explique notamment les fronts communs menés lors de luttes sociales d’envergure. Et ce, couplé avec « l’effervescence associative » explique-t-il le regard toujours pétillant. Le quartier était dans les années soixante-dix menacé de graves destructions, rappelant rapidement le combat mené aux côtés de la Bellevilleuse au sujet du projet de ZAC. Mais lorsqu’il débarque à Belleville ce professeur agrégé de mathématiques est tout de suite plongé dans une autre lutte symbolique : la destruction du foyer de travailleurs migrants rue Bisson. « Le foyer Bisson de l’époque était une usine désaffectée où vivaient des Africains dans des conditions misérables. Il a été question de le détruire. Les gens se sont battus pour avoir la certitude de ne pas être expulsé n’importe où. Il y a donc eu un comité de soutien dont j’ai fait partie au niveau du PSU avec des amis de la CFDT et différentes associations du quartier. Un matin on nous appelle pour nous dire que la police était devant le foyer pour expulser les résidents. La police a embarqué toutes les personnes qui se sont réunies. Ils avaient ramassé des militants comme moi mais aussi un clown qui n’avait rien à voir avec l’histoire et une autre personne qui était juste descendue acheter des croissants. Ces gens n’étaient pas politisés mais se sont politisés dans la journée. On nous a libérés le soir, une fois l’expulsion faite. On a quand même obtenu que les résidents soient hébergés provisoirement dans des baraquements Porte des Lilas pendant la reconstruction du foyer. »
L’engouement associatif encore très visible en 2013 à Belleville s’inscrit donc dans une continuité historique, qui, concernant la politisation, est pour Guy symptomatique de l’après-68. « L’activisme militant n’était pas ce qu’il est maintenant. Les groupes politiques, le PSU, la CFDT, les groupes trotskistes et maoïstes étaient en lien. Il y avait des liens avec le MRAP, la LDH etc. Le militantisme était plus actif et plus radical que maintenant« ,insiste-t-il en rappelant que la question du logement a longtemps été un combat prioritaire et rassembleur. « Dans les années 1990, une coordination logement s’est créée qui regroupait des gens de toute l’extrême gauche, du PS, des Verts, du MRAP, de la LDH etc. Nous avons travaillé sur ces problématiques pendant des années. Il y avait un vrai travail de terrain pour défendre les vieux quartiers et pour poser le problème de l’habitat insalubre etc.« La Bellevilleuse était également un de ces acteurs. Et Guy de marteler que « toute cette vie associative y est pour beaucoup dans le fait que le 20e a basculé à gauche en 1995. On a mené des batailles avec le maire Bariani sur le foyer Bisson justement ; Il prétendait ne pas le connaître. on a fait une manifestation pour lui flécher, lui montrer où était le foyer Bisson« se souvient-il amusé.
Beaucoup de ces associations, mais aussi des partis politiques se retrouvaient alors au Relais Ménilmontant, un des cinq centres sociaux encore présent sur le territoire de Belleville-Amandiers. « C’était un centre des réunions des associations. Un fief de l’activisme militant où le parti communiste y faisait même ses fêtes annuelles à une époque. C’était assez curieux d’ailleurs. Le Relais appartient à l’Évêché de Paris. « Si l’Évêché était particulièrement bienveillant envers l’activisme militant et politique, cela est en partie dû au Père Loubier, aujourd’hui décédé. « En 1972 une cinquantaine de travailleurs tunisiens ont fait une grève de la faim dans la crypte de l’Église de Ménilmontant. Le père Loubier, les avait autorisés. Il y a eu un comité de soutien auquel j’ai fait partie pour le PSU avec la CFDT, le parti communiste et aussi d’autres groupes d’extrême gauche. On a même fait un jeûne de trois jours pour les soutenir et une action de sensibilisation de la population : on a distribué des tracts devant le cinéma Gambetta qui passait le film La Grande Bouffe », sourit-il comme s’il y était encore.
Dans le rire contagieux de cet homme, dans sa générosité et humilité, et après plus d’une heure trente d’échange – plus que d’interview, je prends conscience que je suis face à une figure des luttes sociales du quartier. Ce qualificatif le fait sourire, tant son engagement politique et social lui est simplement évident, spontané… vital ! Il pourrait encore me dérouler des centaines de souvenirs militants vécus sur ce bitume bellevillois. « Vous trouvez tout ça étrange vous qui est jeune ! » rétorque-t-il à plusieurs reprises quand je l’interpelle naïve, sur les opérations militantes dans tout le quartier qu’il a initié. Désespère-t-il de la désaffection politique des jeunes tant décriée ? « Je ne retrouve plus l’enthousiasme et le dynamisme militants des années soixante-dix, quatre-vingt. Il n’y a plus la même flamme. Je suis persuadé qu’on est dans une période de transition de civilisation. Je pense que le capitalisme est à bout de souffle. On est dans une période où se dessine une autre civilisation dont on ne voit que les prémices. Ces périodes de transition sont riches d’idées mais aussi douloureuses. Mais je suis optimiste sur cette nouvelle civilisation que je vois en pointillé. » Autre point d’optimisme ? « Cela fait douze ans que j’anime dans le quartier ce qu’on appelle les Vendredis de la Teinturie. Tous les vendredis il y a des débats extrêmement riches avec des dizaines de personnes. C’est un peu la bouffée d’oxygène de mon activité.« 

///Article N° : 11740

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Les images de l'article
Guy Philippon © Anne Bocandé





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