Les aventures de Matabaro, première série de bande dessinée du Rwanda

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Le Rwanda n’est pas connu pour être un pays de bande dessinée. Pourtant le Rwanda est le pays où a été publiée la plus ancienne revue pour la jeunesse d’Afrique noire encore diffusée de nos jours : Hobe, né en 1955. Et c’est dans ce pays qu’est née l’une des plus anciennes séries de BD francophone du continent : Les aventures de Matabaro. Retour sur une précocité contextualisée.

La production de bande dessinée au Rwanda n’a jamais été très florissante ni très ancienne (les premiers « albums » datent du tout début des années 80) et le nombre d’auteurs est assez faible. L’horrible génocide qui a eu lieu, il y a maintenant 20 ans n’a évidemment pas arrangé les choses. La seule production, visible depuis 1994, consiste en quelques brochures en noir et blanc mal imprimées et assez peu intéressantes. Les seuls auteurs d’importance ne produisent plus : Jean Claude Ngumiré a cessé de faire de la BD et vit maintenant aux Pays-Bas, Rupert Bazambanza, pour sa part, fait essentiellement de la BD didactique et de commande.

Pourtant c’est au Rwanda que sont nées Les aventures de Matabaro, une des plus anciennes séries de BD francophone en Afrique. Ceci s’explique par l’histoire même du pays. La colonisation allemande puis belge au Rwanda s’est accompagnée d’une forte implantation des missions chrétiennes(1). Assez vite, les missionnaires ont compris qu’il était nécessaire d’alphabétiser pour pouvoir évangéliser plus aisément la population locale. Dès 1933, ils créent un journal, Ikinya-mateka (trad. l’informateur ou Le nouvelliste) en langue rwandaise qui existe toujours. Cette naissance n’était pas fortuite : l’évêque du Rwanda, Mgr Léon Paul Classe, en rêvait depuis plus de 25 ans alors qu’il n’était que simple curé dans le pays(2). En septembre de cette même année, paraît le premier numéro de ce mensuel, sur huit pages, sur du papier ministre(3), polycopié à 500 exemplaires. Cette date marque les débuts de la presse dans le pays(4). Les 15 premiers numéros sont polycopiés et ce n’est qu’en 1935 que le n°16 sort imprimé des presses. Le titre devient Kinyamateka en 1942. Pendant 20 ans, ce titre sera l’un des principaux du pays, comptant quelques figures comme l’abbé Alexis Kagame (1912 – 1981)(5) ou Grégoire Kayibanda(6) dans son comité de rédaction. Mais, organe officiel de l’épiscopat catholique au Rwanda(7), Kinyamateka a également lancé des suppléments. L’un d’entre eux était sous-titré Cyabana(pour enfants), publié à 3000 exemplaires dès la première année en 1934 puis 4000 l’année suivante. Cette revue durera jusqu’en 1940 et contiendra la première série de bande dessinée du pays, avec une première histoire attribuée à l’abbé Kagame : Matabaro ajya Bulayi (trad. Matabaro va en Europe). Ce héros deviendra si populaire que ce nom sera donné de nombreux enfants dans le pays. Mais Kinyamateka – Cyabana est l’ancêtre de Hobe (on prononce Hobé, il s’agit de la salutation prononcée en se donnant l’accolade,), revue pour la jeunesse lancée en 1954 à 10 000 exemplaires et qui atteindra 40 000 l’année suivante. Ce premier magazine pour la jeunesse de la région voit le jour en décembre 1954, à Nyundo, dans la province de Gisenyi. Son fondateur était le premier évêque noir d’Afrique centrale, Mgr Aloys Bigirumwani (1904 – 1986). Œuvre de bénévoles, le premier numéro contenait huit pages, écrites en kinyarwanda. Le journal aura un succès énorme, atteignant 85 500 exemplaires en 1979 puis 135 000 en 2004 avant de connaître une baisse sensible à compter de 2005(8). Dès le premier numéro, Hobe contient deux planches de Matabaro. Rudimentaire et simpliste, sans phylactères, systématiquement dessiné sur deux colonnes de cinq planches, du moins au début, Matabaro était un jeune garçon espiègle et très rusé (son nom signifie « le brave », « le héros »). Dans les aventures de Matabaro, différents thèmes sont abordés tel l’enfance, la ville, le village, l’exode rural, le voyage, sur un ton moralisateur. Hobe contiendra d’autres séries comme des pages de BD religieuses, avec en particulier Wopsi, un ange blanc, mais aussi des BD éducatives sur le code de la route puis après le génocide de 1994, des planches rappelant le patriotisme, la fraternité, l’unité ou la lutte contre le sida. De l’aveu même des responsables du journal, la BD était la rubrique la plus lue du magazine. Matabaro sera publié pendant quelque temps en simultané dans Kinyamateka et Hobe avant de « s’installer » définitivement dans ce dernier titre(9). La série durera jusque dans les années 70 au moins et connaîtra plusieurs auteurs, en général inconnus. Les plus actifs s lors du lancement des premiers épisodes de Hobe sont cependant connus, tel que Pivet, probablement un Belge installé sur place, qui dessinera le personnage jusqu’à l’indépendance en 1962. Le scénariste était Bonaventure Mbula, un « congolais rwandophone » qui, à l’époque de la publication des premiers numéros de Hobe, était étudiant au grand séminaire du Rwanda. Rentré en RDC par la suite, il deviendra rédacteur en chef de l’hebdomadaire La presse africaine.
Si les aventures de Matabaro finiront par s’arrêter, la BD restera toujours présente dans Hobe, jouant pleinement son rôle éducatif et pédagogique. La longévité de Hobe, exceptionnelle sur le continent, s’explique en partie par le soutien très fort de l’église catholique, principale contributrice du journal. Une autre explication tient aussi à la très grande modération du périodique durant les années qui ont précédé le génocide. Les responsables du journal (comme ceux de Kinyamateka d’ailleurs) n’ayant jamais versé dans le racisme ou la discrimination anti-tutsi. Le nouveau pouvoir issu du Front patriotique rwandais post-94 laissa donc le titre poursuivre son existence, avec encore plus de succès qu’auparavant.
Si Matabaro n’est pas la première série BD d’Afrique centrale (Mbumbulu l’avait précédé en RDC en 1946), son exceptionnelle longévité (plus de 40 années d’existence) reste unique en Afrique francophone. Cette particularité la rattache aux séries de strips de l’Afrique de l’est anglophone, à savoir Juah ka lulu de Edward Gicheri Gitau (1930) né en 1951 au Kenya, série toujours active de nos jours ainsi que la production de Peter Kasembe, en Tanzanie, comme Juha Kasembe na Ulimwengu wa leo (Kasembe l’idiot et l’environnement moderne) (1956). Toutes ces séries ont la particularité de s’appuyer sur un journal qui ne soit pas spécifiquement BD.
Mais si Matabaro mérite d’être mis en avant, la survie de Hobe et Kinyamateka à travers toutes les vicissitudes qu’a connues le Rwanda relève du pur exploit.
Ceci permet de souligner l’influence positive et bienheureuse que l’église chrétienne a eue sur le développement de la bande dessinée en Afrique. Si les congrégations religieuses n’ont pas eu recours aux bédéistes pour l’amour de l’art mais plutôt avec un objectif d’évangélisation, il est toujours intéressant de le rappeler. Ce n’est que justice, en choisissant dès les années 70 la BD comme principal support « de communication », c’est au 9ème art que le clergé catholique a rendu hommage.

(1) La première mission catholique a été implantée à Save en 1900 par Mgr Hirth, un Alsacien.
(2)Les circonstances de la naissance de Kinyamateka sont abordées dans un article du N°100 de la revue Dialogue (septembre – octobre 1983) : Le jubilé d’or de Kinyamateka.
(3) Pour ceux qui ne connaissaient pas l’expression caractérisant ce papier de haute qualité, voir http://www.cnrtl.fr/definition/papier-ministre
(4)Pour ceux que cela intéresse, il existe une thèse d’Annie Bart sur le sujet, intitulé La presse au Rwanda, production, diffusion et lecture depuis le début du siècle (Université de Bordeaux III, 1982). Il existerait aussi un mémoire de licence de Gashugi Galliacan à l’Université Nationale du Rwanda (1983) sur le même sujet, mais l’auteur de cet article ne l’a pas consulté.
(5)Philosophe, essayiste et historien, il a laissé derrière lui de nombreuses études sur le Rwanda dont notamment sur le patrimoine oral. Il fut le premier rédacteur en chef rwandais du journal de 1938 à 1939 puis de 1941 à 1947 et enfin de 1950 à 1952.
(6) Futur président du Rwanda indépendant de 1962 à 1973.
(7) Cf Le rôle du clergé rwandais dans les débuts de la presse au Rwanda in Les cadres locaux et les ministères consacrés dans les jeunes Eglises XIXe-XXe. Actes de la XVe session du CRÉDIC à Louvain-La-Neuve, 1996, pp. 27-36.
(8)Pour en savoir plus : Hobe : Revue catholique pour enfants et jeunes rwandais (1954-2004) par Faustin Nyangezi Rwamfizi in Aspects de la culture à l’époque coloniale en Afrique centrale : formation – Réinvention, A.M.L. Editions.
(9)Faustin Nyangezi Rwamfizi a écrit un article sur le sujet : Etude descriptive de deux planches de bande dessinée de Matabaro parues dans le journal KINYAMATEKA (1954) et dans le magazine HOBE (1955) dans le magazine Francofonia 18 (2009).
Erstein, le 6 mai 2014.///Article N° : 12271

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Un commentaire

  1. Il faut aussi que le ministere rwandais de la culture et art par des conclaves essaie de publier l’origine rwandaise du nom matabaro et l’origine congolaise de ce dernier. Ce vraiment un recit que j’admire. Josue matabaro josucrate

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