star de la musique au théâtre

Entretien de Sylvie Chalaye avec Marco Prince

Paris, février 2000
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De père béninois et de mère togolaise, il a sept ans quand il arrive en France. Il est aujourd’hui devenu une star du funk français. Chanteur et musicien, on connaît Marco Prince comme leader du groupe FFF et pour ses musiques de films : Frantic de Polanski ou Vive la République d’Eric Rochant. Mais à côté de la musique, il mène discrètement, depuis quelques années, une carrière de comédien. Au cinéma, il vient de tourner dans Total Western, le dernier film d’Eric Rochant et Peter Brook lui a offert son premier rôle au théâtre dans Le Costume, à côté de Sotigui Kouyaté et Bakary Sangaré.

Comment s’est faite la rencontre avec Peter Brook ?
Son assistante m’a appelé et m’a demandé si je voulais bien rencontrer Peter Brook. C’était pour créer une musique autour du spectacle et de l’Afrique du Sud des années soixante. J’ai rencontré Peter Brook plusieurs fois, on a beaucoup parlé. Au fur à mesure est venue l’idée que je pourrais aussi participer à la pièce, non plus seulement en tant que musicien.
C’est au cours des répétitions que vous avez trouvé votre place ?
J’ai commencé à faire un tout petit rôle, puis un plus grand puis un plus grand, et j’ai finalement eu la place que j’ai aujourd’hui dans la pièce. Je suis ravi d’avoir été accepté dans une troupe aussi prestigieuse. Sotigui Kouyaté, comme Bakary Sangaré ou Marianne Jean-Baptiste, sont devenus aujourd’hui des amis.
Comment a travaillé Peter Brook sur ce spectacle ?
C’était très divers. Il pouvait accentuer la rencontre du jour sur du sensoriel et uniquement sur du sensoriel, des choses très concrètes ou à l’envers sur des choses très abstraites. Pendant le premier mois de répétition, on a presque pas touché au texte. Il disait que le texte était secondaire et qu’il fallait surtout trouver les rythmes de vie, le sens de la respiration des personnages. Quelquefois, on échangeait les rôles. Il m’est arrivé de jouer Maphikéla ou même Matilda.
Qu’a représenté pour vous cette expérience ?
Une vraie responsabilité. Quelque soit son origine, l’histoire de l’Afrique du Sud, c’est quelque chose de particulier pour un Noir. Dès qu’on s’y penche un peu, cela rappelle des choses pesantes, douloureuses, qu’on a pas forcément envie de se remémorer. Il s’est avéré que la pièce était divertissante, tout en étant très troublante. A partir du moment où on travaille avec des sentiments forts, c’était important de pouvoir approcher cela avec justesse. On n’avait pas le droit de se tromper sur certaines choses. Pas le droit de se laisser aller à la facilité.
Quelle était la posture de Peter Brook pendant les répétitions ? Comment a-t-il abordé les choses ?
Il y a eu des tensions comme dans tout spectacle, mais il y a eu des tensions d’hommes. Impossible de ne pas se rendre compte qu’il y avait quatre acteurs noirs et un metteur en scène blanc et que cela reproduisait une espèce d’approche qui ressemblait précisément à l’état dont on parlait. Une majorité noire et un directeur blanc : c’était assez cocasse, on en parlait, on s’en amusait même souvent. Mais que serait-il advenu de cette pièce, si elle avait été la volonté entière d’un metteur en scène noir ? Je ne sais pas si on en aurait parlé. Quand on est comédien noir et que l’on regarde les choses en face, il y a de grands moments de tristesse qui naissent.
Vous aviez, avant de faire du théâtre, interprété déjà quelques rôles au cinéma.
J’avais des velléités de devenir comédien au départ. Mais très vite j’ai été dégoûté par le fait qu’il n’y avait pas en France les moyens de s’exprimer pour un comédien noir ou… qu’il me faudrait souffrir beaucoup en tout cas ! (rires).
Vos premières expériences de comédien ont été difficiles ?
Nous étions une bande de jeunes fous. J’habitais dans un appartement avec Isaach de Bankolé, on voyait aussi beaucoup Alex Descas. On était une bande de copains qui n’avaient peur de rien, on était persuadés d’être la jeune garde noire. On courrait les castings. On ne laissait rien passer, on se téléphonait pour se filer les tuyaux. Même quand on cherchait un acteur d’une trentaine d’année blond aux yeux bleu, on y allait par provocation. On s’amusait à faire enrager les directeurs de casting. Puis on s’est mis peu à peu à travailler. Isaach a eu la chance de décoller avec Black micmac, ce qui nous a un peu éloigné les uns des autres. Moi je faisais de la musique et le groupe s’est mis à marcher très fort.
Et vous avez renoncé au cinéma.
Plutôt que d’être malheureux en attendant de jouer un balayeur ou un drogué de plus, je me suis recentré sur la musique. Le constat de base, c’est que s’il y avait de la place pour un comédien noir c’était bien tout. Et quand les scénaristes écrivaient un rôle de Noir, il l’écrivait pour Isaach. Surtout quand il a commencé à représenter quelque chose sur le plan commercial. Mais sur mon parcours, j’ai fait un film avec Losey qui s’appelait La Truite. J’ai fait Frantic avec Polanski, j’ai même croisé par deux fois Sotigui Kouyaté avec Neige, le film de Juliet Berto, puis un téléfilm avec Cyril Collard qui s’appelait Tagueur.
Vous avez aujourd’hui d’autres projets du côté du théâtre ?
J’ai pris beaucoup de plaisir à faire ce spectacle avec Brook, mais parce que c’était lui. En fait j’ai vraiment envie de faire du cinéma. Et des rôles qui ne soient pas exclusivement écrits pour des Noirs. Je voudrais pouvoir aller sur les castings et ne plus entendre la fameuse phrase :  » Oui, mais il n’y a pas de Noirs dans le film  » !
Est-ce que vous adhérez au Collectif Egalité ?
Pas tellement. Quelque chose me gêne dans cette action, quelque chose m’a freiné. Je me demande si c’est là que se situe le combat, si la représentation des Noirs dans les séries est essentielle. Mais politiquement où en sont les choses ? Voilà qui est beaucoup plus important pour moi, que de savoir s’il y aura prochainement un flic noir à la télé. J’ai très peur des quotas, si les choses ne viennent pas naturellement, autant les prendre, que les obtenir par une loi. J’attends qu’il y ait un réveil des jeunes générations, que les auteurs se mettent à écrire. Moi j’ai envie de voir des Noirs dans l’hémicycle se lever et prendre part au débat chaque jour. L’issue est politique. Je suis sûr qu’à 20h30, un rôle de médecin noir peut faire avancer les choses dans la tête des gens. Maintenant, ce n’est pas par le divertissement qu’elles chargeront fondamentalement. C’est un leurre pour moi. Le combat passe par urnes de vote. Je ne serais pas fier de voir un frère de couleur dans une série navrante juste parce que le quota doit être respecté.
Mais les quotas ne sont pas une fin en soi.
Pour moi le débat n’est pas à cette endroit là. Je préfère la justice à la représentativité à tout prix.

///Article N° : 1315

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