Ta mère !, de Touria Benzari

Le pouvoir de la dot

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Comédie en sortie sur les écrans français le 30 décembre 2015, Ta mère ! de Touria Benzari retrace les aléas d’une histoire d’amour entre deux environnements culturels. Une ode à la détermination féminine sur fond de mariage forcé, réjouissante mais limitée.

« Et donnez aux épouses leur dot –mahr-, de bonne grâce. Si de bon gré, elles vous en abandonnent quelque chose, disposez-en alors à votre aise et de bon cœur. » [Sourate 4 – Verset 4]

Comme pouvait le faire Yasmine Kassari dans L’Enfant endormi, Touria Benzari fait ici référence à une pratique islamique qui protège la femme. Dans le beau film de Yasmine Kassari, la croyance qu’il était possible d’interrompre la grossesse protégeait les femmes de toutes représailles jusqu’à permettre à Zeinab de s’émanciper (cf. [critique n°3691]). Dans Ta mère !, c’est le droit pour la femme de maîtriser sa dot qui permettra à Sofia (Sofiia Manousha) de se libérer de ce qui l’empêchait de pouvoir aimer. Il n’est pas indifférent de rappeler en ces temps orageux que la tradition islamique peut être favorable aux femmes qui s’en saisissent, de même qu’il est bienvenu de donner à comprendre les tensions que peuvent vivre les immigrés confrontés à la double-culture.
Issu du collage de trois courts métrages tournés successivement mais avec des chefs opérateurs différents (Mariage Blues, Rock n bled, Le Prix de la fiancée) sur de petits budgets, le film déroule un récit cohérent en trois volets issu d’une histoire vécue par une amie de la réalisatrice, mais n’évite pas certaines répétitions (la blessure de Sofia) et voit certains personnages disparaître, comme les parents.
Fidèle à la tradition des films sur les mariages forcés, Ta mère ! évoque des mères de pouvoir qui arrangent les mariages à la barbe des enfants, mais aussi et surtout des femmes qui ont appris à résister. De fait, Salim (Salim Kechiouche), à qui ses amis conseillent de tenir sa femme pour être un homme, est toujours balloté par la pression et la faconde de femmes avec qui il n’est pas question de batailler, surtout quand elles se lient entre elles. Esprit fort, Sofia est plus que décidée mais l’histoire n’avancera au Maroc comme en France que grâce à l’entremise de Juliette (Julie Gayet), Emilie (Sarah Jane Marshal) et Marie (Barbara Cabrita), toutes trois occidentales, jusqu’à ce qu’une psychologue française elle aussi ne souffle à Sofia la solution de la dot comme argument culturel. Même si le film se situe clairement dans l’hybridité d’une société en voie de multiculturalisation, l’opposition entre les comportements « rétrogrades » des mères marocaines et ce que serait le modernisme porté par des Françaises risque d’ancrer le cliché d’une hiérarchie culturelle et conforter ainsi le discours assimilationniste qui remplace aujourd’hui la problématique de l’intégration.
On pouvait de même espérer que cette détermination féminine, qui devient système durant tout le film en tant qu’élément de comédie, débouche sur quelque chose de moins consensuel que le rêve d’une robe de mariage, mais le film ne s’embarrasse pas de ce type de complexités. Il préfère de ce fait utiliser les ficelles de la comédie à l’anglaise, faite du rythme et de l’enjouement des réparties, de blagues toutes simples (le petit beurre), de retournements successifs et d’une certaine quotidienneté des situations confirmant la facture de film de télévision. L’humour et la dynamique du récit résident dans la stéréotypie des personnages. On ne rit pas à gorge déployée mais cette légèreté généralisée appelle un sourire de connivence.
On peut dès lors résonner à la détermination de Sofia, mais il faudrait davantage de précaution et de délicatesse dans le scénario et la mise en scène pour qu’elle nous atteigne : on partage son vécu mais rarement ce qu’elle ressent au fond, le film n’étant dès lors sauvé que par l’énergie des acteurs et la sincérité de son propos.

///Article N° : 13384

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