Ce fameux jour où …

...Cheikh Anta Diop a soutenu sa thèse à la Sorbonne.

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À l’époque, son livre Nations nègres et culture paru en 1954 augure une révolution intellectuelle pour la pensée africaine. Mais le natif de Diourbel au Sénégal doit affronter, ce samedi 9 janvier 1960, la défiance de la communauté scientifique occidentale qui ne valide pas ses travaux.

La salle Louis Liard de la Sorbonne, au coeur du Quartier Latin à Paris, est anormalement bruyante en ce samedi hivernal du début des années 1960. Pour cause, le fameux amphithéâtre dédié à la soutenance de thèse accueille Cheikh Anta Diop. De jeunes Africains se sont réunis par centaines pour supporter l’intellectuel sénégalais. L’ex-secrétaire général des étudiants du Rassemblement démocratique africain(1) jouit d’une grande notoriété dans les milieux intellectuels et militants. Ce 9 janvier, il présente une « Étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique, de l’Antiquité à la formation des États modernes ». L’occasion historique de réparer une injustice.
En 1953 en effet, Cheikh Anta Diop avait échoué à réunir un jury pour présenter un sujet de thèse intitulé : « Qu’étaient les Égyptiens pré-dynastiques ? ». Il reprendra toutefois ses idées dans Nations nègres et culture, édité l’année suivante par Présence Africaine. Il y développe l’idée selon laquelle les populations d’Afrique noire ont une unité culturelle qui provient de l’Égypte antique. Il affirme que les Égyptiens se définissaient comme un peuple à la peau noire. Diop s’appuie notamment sur les savants de la Grèce antique tels que Hérodote ou Pythagore qui ont suivi une partie de leur instruction en Égypte.
En pleine période de lutte contre l’oppression coloniale, ce livre fait l’effet d’une bombe. Il devient rapidement une oeuvre de référence et reçoit les éloges de l’intellectuel martiniquais Aimé Césaire dans son célèbre Discours sur le colonialisme, où il qualifie Nations nègre et culture de « livre le plus audacieux qu’un nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter,dans le réveil de l’Afrique. » Cheikh Anta Diop participe en 1956 au premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne aux côtés de Frantz Fanon, Richard Wright ou encore Amadou Hampaté Ba. Ce 9 janvier 1960 est donc un jour très attendu puisqu’il s’agit pour Diop de valider son travail auprès de la communauté scientifique. Ses travaux étant pluridisciplinaires, le jury le sera tout autant. Sont donc présents le préhistorien André Leroi-Gourhaud, le sociologue Roger Bastide, l’ethnologue Hubert Deschamps et l’africaniste Georges Balandier. André Aymard, doyen de la faculté des Lettres, spécialiste de l’antiquité grecque préside le jury. Les débats sont hostiles, Diop se défend avec hargne. La soutenance dure entre 6 et 7 heures, une éternité. La délibération arrive enfin : la thèse est validée avec la mention honorable. Malgré tout, elle est insuffisante pour permettre à l’intellectuel sénégalais de devenir Professeur dans l’Université française. Cheikh Anta Diop annonce qu’il retourne au Sénégal. L’indépendance du pays sera effective en août de la même année. Mais là encore, le président et intellectuel Léopold Sédar Senghor s’appuiera sur la décision du jury pour lui interdire d’enseigner à l’Université de Dakar. Les deux hommes s’apprécient peu, Diop est l’un des plus farouches opposants à Senghor et sa politique francophile. Ironie de l’histoire, l’Université de Dakar a été rebaptisée Université Cheikh Anta Diop en 1987…

1. LE RDA EST UN MOUVEMENT POLITIQUE UNISSANT DES MILITANTS AFRICAINS POUR LA DÉCOLONISATION DES TERRITOIRES FRANÇAIS EN AFRIQUE.///Article N° : 13391

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