Le Sahara ne blues pas, il rock !

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Présent au Sahara depuis 15 ans, Arnaud Contreras, documentariste et journaliste à Radio France et RFI, publie Sahara Rocks ! Avec la ferme volonté de rétablir une perspective sur un territoire associé aux enjeux sécuritaires. A travers ses photos, il donne la parole aux musiciens.

« Mes livres arrivent plus vite à Kidal qu’à Nantes ou à Rennes », lance Arnaud Contreras, photographe au réseau d’amitiés franco-sahariennes plus vif que celui de la presse. Que son livre, Sahara Rocks ! soit diffusé au Sahara était l’une de ses premières exigences auprès des Editions de Juillet. Avec son désir d’éviter les regards essentialisant sur ce territoire, pour lequel il s’est pris de passion. Il y a 15 ans, seul le regard du touriste s’y attachait. 10 ans plus tard, les préoccupations géopolitiques et sécuritaires – le conflit au Nord Mali – plaçait cet espace en première ligne des médias.
Arnaud, micros, caméra et appareil photo en bandoulière, note les oublis et les éclaircies sur le Sahara depuis ses 25 ans. A 42 aujourd’hui, il en a vu grandir, des enfants sur ses routes, en Algérie, en Mauritanie, en Lybie ou au Mali. Il en a aussi vu circuler, des K7 et des guitares, entre ces différentes frontières. En 2012, il aurait pu s’inventer une vie dans l’actualité brûlante : l’occasion d’exposer son travail au long cours, sur ce territoire, si méconnu, en réalité. Il a préféré se mettre en retrait, pour ne pas « gâter » ses relations, ses amitiés, au seul profit d’une dimension évènementielle, dit-il.
En 2015, la surchauffe médiatique essoufflée, Arnaud a choisi de refléter une modernité du Sahara, tapie dans l’ombre des conflits géopolitiques. Il donne la parole aux musiciens et à leurs familles. Des Touarègues, des Maures, des Arabes. Ceux qui sont dans la rébellion, tout comme ceux qui restent en retrait, qui en sont juste des témoins. La musique, elle a d’abord été « sésame de rencontres » pour le jeune documentariste, puis détour pour aborder les problèmes politiques à travers les questions de patrimoine culturel. La musique, elle est aussi ce « moyen de passer la frontière du journaliste qui vient raconter la misère », reconnait-il. La musique comme complainte et subversion, autant que poésie, louanges et fêtes.
A travers les images rapportées et les citations, sans autre forme de commentaires, Arnaud Contreras dessine une région ancrée dans le XXIe siècle, comme en témoigne sa jeunesse. Une jeunesse qui bouge, entreprend, étudie, s’expatrie. Qui rêve, malgré 4 années blanches. Qui s’échange des sons à gogo sur Bluetooth. L’image d’un Sahara faisant partie intégrante de cette Afrique de « demain » tant réclamée ailleurs. Celle que Contreras entend seulement comme une Afrique du présent.
Nombre de ses photographies sont prises depuis Tamanrasset en Algérie. Cela n’a rien d’anodin. Le photographe rappelle ainsi l’essence transnationale du Sahara, espace de rencontres entre le Maghreb, l’Afrique noire, le monde arabe et berbère. Les musiques documentées sont à l’image de ces circulations.  » Je reste persuadé qu’il faut une expertise sur les musique du Sahara depuis Tamanrasset en Algérie ou le sud de la Lybie plutôt que depuis les capitales Bamako, Nouakchott et Niamey. Parce que forcément, depuis Bamako les journalistes, les ONG ont une perspective davantage tournée vers le sud du Mali, l’Afrique noire ».
La musique du nord du Sahara est devenue symbolique du conflit au Mali, et rares sont les groupes à affinité touarègue qui ne sortent pas un album, sans qu’y soit associé une histoire d’exil, un attachement à la rébellion ou un discours sur la paix. Des groupes au succès fulgurant comme Songhoy Blues sont sujets à des constructions médiatiques qui, pour Arnaud Contreras, naissent du vide médiatique entourant la guerre. Fautes d’images et de sons à l’appui, les journalistes se sont vite tournés vers la musique du Nord Mali, du sud de l’Algérie et de la Lybie. Engageant des stratégies de la part des producteurs d’ici et de là-bas. Du côté des médias, la tendance au storytelling est souvent privilégiée en lieu et place d’une approche critique.
Arnaud Contreras, auteurs aux opinions bien tranchées, fin amateur de musique, a délibérément choisi de publier une carte des musiciens et groupes du Sahara, établie selon des critères artistiques, et non géopolitiques. De même, il espère que ce livre ne souffrira pas d’indulgence critique, en générant de la sympathie parce qu’exposant le Sahara et ses musiciens.

Sahara Rocks ! Editions de Juillet, 2015///Article N° : 13417

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