« Nous, les dessinateurs, nous souffrons tous d’un manque de vision politique dans le domaine culturel »

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Mok

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Modibo Samakoun Keita, dit Mok, a commencé sa carrière comme auteur de BD dans Grin-Grin, un magazine d’information pour les jeunes lancés par la coopérative Jamana au début des années 1980 et abondamment illustré par l’ensemble des dessinateurs de l’époque. Ce magazine va vite devenir une référence pour le jeune lectorat du pays. En 1991, il participe à la création du premier journal satirique malien, La cigale muselée. Puis, en décembre 1993, Mok lance Janjo, l’un des premiers fanzines BD au Mali, mais celui-ci ne dure qu’un seul numéro. Par la suite, il travaillera également pour le journal Le Scorpion ainsi que comme animateur radio. Parler avec lui c’est également redécouvrir l’histoire contemporaine du Mali, partagé entre difficultés et espoir.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts dans le métier ?
Mes débuts remontent au début de ma scolarisation à l’école coranique. Je faisais des dessins sur le sol. C’est ma mère qui m’a apporté du papier et des crayons de couleur. Puis j’ai fait connaissance avec le syllabaire Mamadou et Binieta. J’ai reproduit tous les dessins qu’il y avait dedans, ce qui a épaté mes camarades et mes maîtres. Devenu plus grand, à l’age de 14 ans – je suis né le 16 mai 1951- mon père a vu un de mes dessins, une couverture du capitaine Micky, une BD des Editions italiennes Luc. Il m’a alors dit qu’un jour je gagnerai ma vie avec mes dessins. Cela m’a beaucoup encouragé. Comme quoi, vous voyez, même en Afrique, des parents peuvent encourager leurs enfants à choisir une voie artistique.

Qu’avez-vous fait comme études ?
Mon cursus scolaire s’est arrêté au lycée. On m’a envoyé dans un institut de formation des maîtres du premier cycle, l’IPEG. Il n’existe plus mais j’estime qu’y ont été formés les meilleurs instituteurs du pays. C’est d’ailleurs ce que je suis devenu !

Qu’est devenue la bande dessinée alors dans votre vie ?
C’est à l’école fondamentale, entre 1965 et 1968, que j’ai créé mes premières BD amateurs. Mes travaux faisaient le tour de Bamako et circulaient de main en main. Mes personnages n’étaient pas forcément calqués sur ceux de Zembla ou d’Akim mais s’apparentaient plutôt au style du concombre masqué, avant la lettre ! Il y avait aussi des personnages réalistes qui racontaient les déboires de la jeunesse de l’époque. Il y avait déjà une forme de militantisme de ma part. Je véhiculais certains messages sur la désertification rurale, la rupture entre les générations, les jeunes en ville ayant tendance à laisser derrière eux les anciens au village. Mais au Mali, il n’y avait aucune structure pour réaliser une bande dessinée, je ne pouvais m’appuyer que sur des conseils d’amateurs. Toutes mes Bd de l’époque ont été gardées par mes lecteurs. Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. Mais à cette époque, je me suis dit que je serai le premier à réaliser une bande dessinée malienne.

Puis, vous êtes devenu instituteur…
Oui, j’ai commencé à enseigner. En parallèle, je me suis payé des cours par correspondance et ai suivi des cours auprès de l’institut Saint Luc. Mes notes allaient de 17 à 19. Malheureusement, le manque de moyens m’a empêché d’aller plus loin et de continuer ma formation. Et puis ma carrière d’instituteur m’a fait revenir à Kayes, ma ville natale, puis à Gao, au milieu des années 1970. Un déménagement difficile sur 700 kilomètres. Et puis, il n’y avait pas de possibilité d’envoyer des mandats entre le Mali et la France, il fallait passer par une tierce personne, via des chèques bancaires.

Quels ont été vos premiers essais publiés ?
Mes premières planches publiées l’ont été dans le journal pour la jeunesse Grin-grin en 1983. J’avais déjà plein d’histoires dans mes cartons. C’est là que j’ai rencontré Sidy Sow, le premier dessinateur à avoir publié des bandes dessinées originales dans leur totalité. C’était dans le supplément sportif d’un journal local, Podium. Le public a beaucoup apprécié. Il s’agissait de Bouba, un petit personnage qui excellait dans tous les sports. Sidy est décédé en 2004, suite à un accident de circulation pour lequel il avait été mal soigné. Lorsque j’appris sa mort, je suis resté sans voix durant un long moment. C’était mon ami, on s’entendait bien. Je lui avais proposé de devenir son scénariste au milieu des années 1980. On avait comme ambition de créer un magazine de BD. Malheureusement, cela ne s’est pas fait du fait de nos activités professionnelles respectives. A cette époque, j’enseignais dans un village de brousse, Djolila, dans la région de Koulikoro. Puis je suis parti à Kankoni, un coin encore plus reculé où j’ai pu créer mon héros le plus connu, Fendo, un personnage paresseux qui vit tranquillement à Bamako tout en rêvant de devenir riche. Il ne sort de son hamac que lorsqu’il a un problème. J’ai pu publier ces aventures dans Grin-grin, par la suite.

Comment avez-vous commencé à collaborer avec Grin grin ?
Lors de vacances scolaires, en 1983, on est allé voir les EDIM, gros éditeur local qui s’intéressait surtout à l’édition scolaire ou à des thèmes sérieux : agriculture, commerce. Cela n’a pas donné grand-chose, il n’y avait pas de place pour la bande dessinée. Quand je suis reparti en brousse, Sidy Sow a approché Jamanah et est devenu leur collaborateur. Je n’étais pas au courant, c’est uniquement en 1985 que j’ai découvert son nom au sommaire du N° 1 de Grin grin. Cela ma poussé à amener mes premiers planches à Alpha Oumar Konaré, directeur des éditions Jamanah. Il a beaucoup aimé et a présenté mon travail à une de ses collaboratrices. La seule chose qu’elle m’a reprochée était mes jurons. Alors, c’est comme ça que j’ai commencé chez Grin grin en octobre 1985, dès le deuxième numéro. Et que j’y ai retrouvé Sidy Sow.

Vous étiez les seuls dessinateurs ?
Non ! Il y avait Bedy Diarra qui est décédé, je l’ai appris hier seulement, Kays, Modibo Sidibé, Delessy Traoré. Aly Zoromé, plus jeune, est arrivé quelques mois plus tard. Voilà l’essentiel. Il y avait aussi des écrivains. J’ai travaillé avec l’équipe de ce journal de fin 1985 à 1990, tout en étant instituteur en parallèle.

Et quand avez-vous commencé quand la caricature ?

Ma carrière d’auteurs de Bd s’est arrêtée lorsque je me suis fait virer des éditions Jamanah. Nous avions comme objectif de créer une Bande dessinée totalement nationale. Les responsables de Grin grin n’ont pas compris cette volonté. Ils ont créé dans le même temps Les échos, premier journal privé du pays, qui a fait un énorme tabac à l’époque. Pour eux, le contenu de Grin grin ne correspondait pas à leurs objectifs. Il souhaitait que Grin grin ait la même identité que Les échos et soit une revue de sensibilisation aux problèmes sociaux du Mali. La bande dessinée n’y avait donc pas sa place. Ils ont remplacé progressivement les planches de BD par des articles de presse sur la vie de la jeunesse. Je suis parti à Cauris, support média de l’Institut Malien pour la recherche appliquée au développement, l’IMRAD, créé par le professeur Cheibane Coulibaly et où j’ai fait du dessin de presse en créant des petits personnages inspirés par Zig et puce ou les œuvres du Français Greg. Cela m’a sauvé car j’étais au chômage.

Mais vous aviez tout de même votre activité d’instituteur ?
En 1991, j’ai déposé la craie. Cela n’allait pas dans le pays, j’avais été muté arbitrairement plusieurs fois. Je souhaitais donc arrêter et partir travailler à mon compte. A cette époque, il y avait le Programme d’Ajustement Structurel qui incitait au départ les fonctionnaires. J’ai profité de l’occasion, car je souhaitais vraiment partir. J’ai donc déposé une demande pour partir à la retraite et ai souhaité partir avec les 2,5 millions de FCFA qui étaient prévus. Mais cette histoire ne s’est pas bien passée car il y avait d’autres financements de prévu afin de démarrer des commerces et des entreprises, mais rien n’est venu. J’ai écrit dessus d’ailleurs. En fait, le Plan d’ajustement Structurel n’a pas été entièrement appliqué à cause des dirigeants de l’époque. Aujourd’hui encore, vous trouvez d’anciens fonctionnaires avec les cheveux tout blancs qui assiègent la bourse du travail en demandant leur dû. Ils se sont fait gruger.

Mais vous n’avez pas été directement concerné…
Non. J’ai travaillé pour Cauris jusqu’en 2001, durant environ 11 ans. J’y faisais des dessins d’une case avec un personnage principal qui s’appelait Mademoiselle démocratie. J’y rassemblais les préoccupations du moment. D’ailleurs dans les années 1996-1997, mes dessins ont été commentés dans la presse en France et sur RFI, un motif de satisfaction, tout de même. J’écrivais aussi des articles en français pour Cauris. J’ai aussi travaillé comme rédacteur en chef de Kolonkise, la version en Bamanan kan de Cauris durant deux ans, de 96 à 98. J’ai aussi fait de la radio.

Ce n’est pas très commun d’être à la fois dessinateur et journaliste de presse écrite et de radio….
En fait, je suis un passionné de langues et d’écriture. J’aime toutes les langues nationales de mon pays et puis aussi le français, qui est une sorte de langue malienne, elle aussi. C’est une très belle langue que j’ai aimée très tôt. Un de mes professeurs de français m’appelait Monsieur de Keita et des amis m’appelaient aussi Mérimée car j’avais son style quand j’écrivais, selon eux. C’est mon principal moteur, ce qui explique mon parcours professionnel.

Comment s’est déroulée votre carrière à la radio ?
J’ai travaillé pour des radios privées comme Radio fréquence 3. J’y ai animé des émissions culturelles et musicales de 1994 à 1996, année où j’ai arrêté pour prendre la tête de Kolonkise. Puis, en 1998, le professeur Coulibaly est parti aux Etats-Unis pour faire un Phd. Kolonkise et Cauris se sont mis en veille. J’ai donc accepté une proposition de Radio liberté, tout en précisant que je donnerais la priorité à la presse écrite. C’est ce qui est arrivé puisqu’en 2000, Cauris a été relancé et j’ai quitté cette radio. Cauris était devenu l’organe de presse du CUMBU, le Centre Universitaire Mande Bukary, du nom de l’empereur Malien qui a voulu voir ce qui se passait de l’autre côté de l’océan et a monté une expédition en pirogue en direction de l’Amérique, un siècle avant Christophe Colomb. Ce centre a été fondé par le professeur Cheibane Coulibaly. En plus de mon travail de dessinateur, j’y travaillais comme reporter et comme analyste. Puis, en 2002, après avoir quitté Cauris, je suis allé travailler à radio Tabale jusqu’en 2010, par intermittence.

Et votre activité de dessinateur ?
En 2008, j’ai été contacté par Imrane Coulibaly, l’un des meilleurs caricaturistes du pays. Il m’a proposé de prendre sa place au journal satirique Le scorpion qu’il quittait pour aller à Djoliba. J’ai accepté mais je n’avais plus dessiné entre la fin de ma collaboration avec Cauris en 2001 et 2008.

Vous vous sentez auteur de BD ou caricaturiste ?
Je sus auteur de BD d’abord et avant tout ! Le seul moment où j’ai vraiment fait de la caricature c’est lorsqu’en 1991, j’ai été contacté par une jeune journaliste, Ramata Dia, une ancienne de Cauris. Elle voulait créer un journal satirique, La cigale muselée. L’expérience a duré deux ans et a été formidable. Ramata va finir par créer Guintam, qui veut dire mouvement, la première radio privée pour les femmes. Elle créera encore deux autres radios. Pour ce qui est de moi, je n’ai jamais renoncé à faire de la BD, puisque j’ai créé Janjo, ma revue BD le 3 décembre 1993, moment où sort l’unique numéro.

Qu’est ce qui n’a pas marché ?
Le circuit de distribution ! Celui-ci n’existait pas. À l’époque, dans les kiosques, on mettait le quotidien devant et les autres journaux derrière. Le jour où Janjo a paru, il y a eu une forte pluie et le lendemain, il a été mis à l’arrière. Ce qui a eu un impact sur les ventes. J’avais bénéficié pour la composition de l’appui de l’IMRAD mais cela n’a pas suffi. J’y reprenais la série Fendo, déjà parue dans Grin-grin.

Vous avez alors repris l’enseignement ?

J’ai repris il y a trois ans. Je suis directeur et dirige une classe à double niveau. Et chaque mardi, je dois livrer une caricature au Scorpion. C’est une forme d’esclavage mais c’est la vie que j’ai choisie.

Quel bilan tirez-vous de votre carrière ?
Nous, les dessinateurs, nous souffrons tous d’un manque de vision politique dans le domaine culturel dans ce pays. Pour ma part, je ne suis pas très content de mon parcours. Je souhaitais devenir le premier auteur de BD du Mali. J’ai vécu pas mal d’incompréhensions comme à Grin grin et d’échec dont celui de Janjo. Maintenant, je suis revenu à la caricature et les choses vont mieux, je gagne ma vie et je suis reconnu comme professionnel de ce milieu. Mais c’est devenu difficile car les directeurs de presse préfèrent de plus en plus une photo à un dessin de presse, ce qui n’augure pas d’un avenir radieux pour la profession. Cependant mon travail de caricaturiste m’a quand même permis de rencontrer beaucoup de confrères et de talents comme par exemple Emmanuel Dao, Modibo Sidibé, Kays. Alors, je ne peux pas me plaindre.

Un dernier mot pour conclure ?
Je pense souvent au destin des dessinateurs de Charlie Hebdo : Charb, Cabu, Wolinski. Cela m’a énormément peiné, je n’y croyais pas et je me suis demandé comment Cabu ou Wolinski ont pu commettre une telle bévue. Ils ont joué leur vie en s’attaquant à une religion. Pour nous musulmans, c’est ce qu’il y a de plus intime. Je regrette leurs morts au plus haut point, j’en suis malade mais je regrette surtout qu’ils soient tombés pour une question de sarcasme à l’égard d’une religion. C’est trop idiot !

<small »>Bamako, le 8 décembre 2015.///Article N° : 13418

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