Le raï est mort, vive le raï !

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Ce 29 janvier 2016, le Zénith célèbre les 30 ans du raï en France. De ses premiers succès à la tendance Raï n’B fever. Dans un contexte chargé où les artistes de musique arabe sont victimes à la fois des soubresauts politiques et de la débâcle de l’industrie musicale.

Un Zénith prévu à guichets fermés. Vibrant aux refrains du raï de papa et du raï n’b, avec ses chebs grisonnants et ses raïmen nouvelle génération. Cette soirée du 29 janvier est un écho aux espérances d’une époque, à ce 23 janvier 1986 mythique, où sur la scène de la Maison de la Culture à Bobigny, le genre s’est internationalisé. Le son venu de l’Oranie, diffusé en masse sur K7, en plein Paris, se faisait ainsi connaître du public de la sono mondiale. Un marché se faisait jour, les majors prêtes à investir. La love story prenait forme, annonçant le succès de Cheb Khaled en 1992, lorsque Didi se hissera ainsi en haut du top 50. Cette déferlante en mémoire, une question se pose à nous. Le rendez-vous du 29 janvier est-il un simple mémorial érigé pour un âge d’or où la musique arabe avait sa place dans les charts, ou bien ouvre-t-il une brèche vers la consécration du raï génération 3.0 ?
Michel Levy, initiateur de l’événement au Zénith, se passionne, à l’origine, pour le raï du Barbes des années 1980. Les détaillants magrébins et leurs milliers de K7 circulant librement, grâce au réseau communautaire, partout en France. « Aucun artiste de raï n’a pu exister sans Barbès. Il fallait d’abord convaincre les siens, avant de convaincre les autres » se rappelle ce défricheur, producteur de Cheb Mami notamment. Les immigrés, autorisés par Mitterrand à se constituer en associations, créent des radios libres et œuvrent à la diffusion des musiques du Sud. Festives, elles trouvent assez vite leur place dans la case « Black Blanc Beur ». Cheb Mami, Khaled, Faudel sont ainsi les invités de Drucker, Sabatier ou encore Nagui, à des heures d’audience télévisuelle. « C’était l’époque du bien vivre ensemble » résume Levy. Un temps où les Français apprécient d’écouter du raï, en savourant un couscous, comme se rappelle Rachid Taha. Flairant le filon, des maisons de disque en vogue, à l’instar de Polygram, misent alors sur les artisans d’un raï « made in France ». « Les majors de disque pouvaient sortir un album dans quarante pays le même jour » se souvient Michel Levy. Des collaborations avec quelques grands noms de la pop comme Don Was, Sting ou encore Jean Jacques Goldman à l’internationale participent à l’essor du genre.

Mais la fin des années 1990 sonne progressivement le déclin du raï, ou plutôt son « reflux », d’après Rabah Mezouane, journaliste et critique musical, aujourd’hui programmateur à l’Institut du Monde Arabe. Le concert 1,2,3 Soleils de 1998, rassemblant Rachid Taha, Khaled et Faudel signale le sommet du raï comme modèle marketing possible du business de la world, mais aussi le début d’un recul du genre, avec un raï « qui rentre dans le rang », selon le journaliste, d’autant plus que les évènements politiques se chargent ensuite de mettre le succès des musiques arabes à mal. Un phénomène vécu en escalade, entre le 11 septembre 2001 et les événements récents liés au terrorisme. « La musique arabe est tirée vers le bas » soupire Youness, artiste marocain, perçu comme une des nouvelles voix du raï en France.

Victime collatérale de la crise du disque, le raï l’est tout autant. Parmi les historiques, soutenant la production du genre, à l’instar du MCPE ou de Triomphe Music, MLP Projets, le label de Michel Lévy, fait figure de survivant. Pour poursuivre son travail de production, ce passionné investit le potentiel de son catalogue en téléchargement légal sur le net, nourrit aussi le patrimoine des musiques de films et de publicités. « Aujourd’hui, plus besoin de producteurs pour se lancer. Facebook et YouTube sont les vecteurs de communication des jeunes. Les producteurs vont eux-mêmes faire leurs emplettes directement sur internet, cherchant les artistes qui font des millions de vues ».
Réalité sur laquelle Youness semble avoir totalement prise, l’artiste saisissant son I-phone pour immortaliser chaque étape de notre rencontre, postant dans la seconde un message sur son mur. Lui, est passé par les plateaux de la Star Académie marocaine et de The Voice pour trouver son chemin dans le marché français. Au passage, Youness s’attire même les louanges d’un Michel Drucker en 2009. Avec Aymane Serhani, dont le clip Lilla Hadi rassemble plus de 33 000 vues sur YouTube, Cheb Naoufel ou encore Dj Fash One, ils fusionnent le raï avec le hip hop, avec des influences R’n’B, house ou soul. Un raï calibré sur les courants les plus en vogue au sein de la jeunesse maghrébine, initié par le collectif Raï n’B fever en 2004, notamment. Ainsi, le style s’adapte ou se réinvente aux circonstances, sociales, économiques ou culturelles d’une époque. Gabriele Marranci, anthropologue, parle de phénomène de « transculturation musicale » . Rachid Taha, sans être un ambassadeur du raï, représente aussi cette hybridation constante du style, qu’il teinte de douceur chaabi, de tension rock et punk.

Michel Levy revendique, lui, la survivance d’un raï mutant, dont la diffusion est aujourd’hui cantonnée à des espaces identifiés à nouveau comme relevant du communautaire. En lieu et place des Zénith et des Bercy remplis de jadis, les bars de chichas deviennent, dit-on, de véritables cabarets, où s’organisent des concerts ouverts, jusqu’ à 1 500 personnes, parfois. Le raï y retrouve un public baigné dans la culture urbaine, et dont l’attache à la culture arabe est plus ou moins forte.
La soirée du 29 janvier 2016 au Zénith pourra-t-elle faire date ? Les artistes ont en tout cas joué des coudes pour s’imposer à l’affiche, en revendiquant une filiation directe avec le raï célébré sur la scène de la Maison de la Culture de Bobigny, ce fameux jour du 23 janvier 1986. Pour sa part, Michel Levy espère que ce rendez-vous anniversaire soulignera la permanence du genre, sans sombrer dans la nostalgie. L’occasion d’une rencontre aussi, entre des pionniers du raï français, tels que Khaled, Rachid Taha ou Cheb Hamid, et les nouveaux raïmen en vogue sur la planète YouTube.

(1)Raï’n’B Fever est un collectif de Raï, de RnB et de Hip-Hop Oriental, à l’initiative d’une compilation sortie en 2004 sous le même titre.
(2)Gabriele Marranci, « Le raï aujourd’hui : Entre métissage musical et world music moderne », Cahiers d’ethnomusicologie, 13 | 2001, 139-149.
///Article N° : 13422

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Les images de l'article
Cheb Mami, cheb Khaled, cheb Hamid et Cheb Sahraoui au festival du raï à Bobigny en 1986 © Kechiti Abdelkader





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