Lausanne 2016 : focus sur le Sahara occidental

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Durant sa 11ème édition du 18 au 21 août 2016, le festival Cinémas d’Afrique de Lausanne a consacré deux séances à la question du Sahara occidental et invité deux réalisateurs sahraouis – occasion d’un utile rappel sur la situation de ce pays coupé en trois : territoire occupé, territoire libéré, camps de réfugiés en Algérie.

Le temps semble s’arrêter pour le Sahara occidental. Marginalisé dans la géopolitique mondiale, objet de compromis diplomatiques pour ne pas s’aliéner le Maroc, le Sahara occidental semble depuis le cessez-le-feu de 1991 enlisé dans une confrontation que le temps et l’ancrage des populations installées rendent peu à peu dérisoire. C’est paradoxalement cela qui rend le Sahara occidental aussi prégnant, à l’image du conflit israélo-palestinien.
Le cinéma s’y est peu intéressé. Le Belge Pierre-Yves Vandeweerd y a tourné Territoire perdu (2011) où il dresse un portrait sensible des lieux et des gens à la faveur d’évocations métaphoriques, de plans extatiques faisant entendre les méandres du vent dans le désert, de portraits silencieux dessinés par la lumière, de paroles et de regards, sans cesse magnifiés dans leur beauté mais porteurs d’une mémoire ô combien douloureuse, celle des massacres du passé, celle de l’exil du présent. (Cf. [critique n°10058 ]
10058) En 2013, l’Espagnol Álvaro Longoria réalise Enfants des nuages, la dernière colonie qui suit les acteurs Javier Bardem et Victoria Abril dans leur engagement pour le peuple sahraoui. C’est l’occasion de rappeler cette Histoire dramatique ainsi que les efforts diplomatiques pour débloquer le processus de référendum d’autodétermination refusé par le Maroc depuis 1991 (cf. [critique n°12197]).
Coupé en trois, le pays l’est depuis que le roi Hassan II du Maroc a organisé la Marche verte du 6 novembre 1975. La stratégie était simple : jouer la fibre nationale pour encourager les Marocains à envahir en masse ce territoire du Sud considéré comme historiquement relié au royaume. Comment résister militairement à des civils, à des femmes et des enfants ? Depuis la guerre qui a opposé le Maroc au Front Polisario jusqu’au cessez-le-feu de 1991, une bonne partie du territoire sahraoui est colonisée par le Maroc qui y a implanté une nombreuse population et en exploite les richesses (phosphates, pêche). La confrontation est permanente entre ces deux peuples qui ne parlent pas la même langue et ont des coutumes différentes, même dans l’habillement. L’intifada non-violente lancée le 21 mai 2005 a été durement réprimée et en 2008, les tentes, habitat traditionnel des Sahraouis, ont été interdites. Les Sahraouis en ont dressé sur les toits-terrasses de leurs maisons. Ce peuple résiste ainsi au quotidien, malgré la férocité de la répression dans les territoires occupés, désormais enclavés du Nord au Sud par le « mur de la honte », qui mobilise 1200 soldats marocains sur 2700 km et coûte la bagatelle d’un million d’euros par an.
Tout cela, le film présenté au festival par Amnesty international, La Vie en attente : référendum et résistance au Sahara occidental (Iara Lee, 2015, 60′) le montre avec une grande clarté. Film militant, il est aussi témoin des contradictions à l’œuvre, comme l’envie de la jeunesse de revenir à la lutte armée face au peu de résultat des actions non-violentes. Il est vrai que, comme le rappelait la représentante de la République arabe sahraouie démocratique présente au débat, des pays arabes, seuls l’Algérie et la Syrie apportent leur soutien. « Les rois restent solidaires avec les rois », s’exclama-t-elle, tout en rappelant que les femmes sahraouies sont très actives dans la société civile et qu’on fait par exemple une fête à une femme si elle divorce ! Au Maroc, le roi, la religion et la question du Sahara sont les trois tabous à ne pas critiquer.
Les expressions culturelles restent aujourd’hui les meilleures armes pour mobiliser l’esprit de résistance et faire connaître la lutte au niveau international, comme en témoigne le festival Artifariti dans les territoires libérés. Le film est dédié à Mariem Hassan, la grande chanteuse sahraouie, à qui il laisse la parole et la voix. Il pourrait aussi l’être aux rappeurs molestés par la répression à qui il donne aussi la parole et à tous ces artistes qui tentent de faire exister les « symboles de l’identité contre l’occupation ».
Il s’intéresse aussi à l’école de cinéma Abidin Khaid Saleh improvisée dans le camp de réfugiés de Bojdour dans le Sahara algérien. Le festival consacrait justement une séance à cette école, montrant trois films qui en sont issus. Ahmed O Abdalahee présentait ainsi Retrato (Portrait) (14′) où l’on voit un étudiant de cette école, Azman, 28 ans, parler face caméra de sa découverte du cinéma dans les camps à travers le festival de cinéma FiSahara. Azman met ensuite en scène d’autres étudiants pour expliquer comment cela s’est passé avec ses parents lorsqu’il leur a annoncé vouloir faire du cinéma : leur doute, leur interrogation. Puis il revient à l’écran pour raconter la réaction de ses parents lorsqu’il leur a montré son premier film, « ce qu’il a fait quand il a perdu son temps dans cette école » dira le père. Peu à peu, à voir des images de chez eux, leur émotion s’est faite jour….
C’est un retour aux sources : l’importance du cinéma pour refléter la réalité, « le corps et le cœur des films » comme le disait Gaston Kaboré. Le documentaire est dès lors la voie royale de ce type de cinéma. Kiosk de Sidahmed Ahmed, est à cet égard passionnant : en 9 minutes, la journée du tenancier d’une échoppe dans le camp de réfugiés de Bojdour. Son approche est radicale, signe d’un vrai travail sur le cinéma dans l’école du camp : sans recul dans le petit kiosque de plein air, la caméra s’est placée à la porte, et ce plan fixe n’est suspendu que par quelques coupes pour entrevoir les autres angles de vue. De ce point de vue, deux perspectives extérieures : deux rues du camp où l’activité est perceptible. Le soleil à l’extérieur fait que les clients qui se présentent sont en contre-jour, des ombres évoquant l’exil des Sahraouis, fantômes de vie, absence dans la présence. Ils achètent des cigarettes mais demandent aussi le change, détail de leur condition d’assistés. Des visiteurs espagnols passent, qui viennent en « touristes » solidaires… En quelques moments, le temps qui passe, le soleil, l’exil, les conditions de vie, le rapport à l’extérieur. Du grand art.
Présenté au festival par Brahim Chagaf, Leyuad, un voyage aux sources de la poésie (74′) est une quête d’identité : il suit le poète en exil Limam Boisha dans son retour au Sahara occidental à la recherche de l’essence de sa poésie. Avec ses compagnons, le philosophe Mohamed Salem et le sage et érudit Bonnana Busseid, ils se rendent à Leyuad, un lieu sacré perdu dans le désert, où les attend dans sa jaima (tente sahraouie) le poète Sidi Brahim qui leur ouvre les chemins de ce lieu unique, inselberg de grès au cœur du Tiris. La beauté fulgurante du lieu, qui serait à comparer avec Ayers Rock en Australie, facilite la référence aux mythes et aux secrets des génies du désert. « N’oublie pas de dire les mots de Dieu si tu vas sur les chemins du Sud » : il s’agit là de relier la lutte avec l’ancrage culturel et mystique, sachant que voyager c’est s’ouvrir à l’autre et donc perdre quelque chose pour gagner autre chose. C’est dans cet entre deux que se situent ces poètes qui ont la charge de la mémoire de ceux qui ne sont plus : accepter que l’on peut être Sahraoui là-bas et Sahraoui ici. « C’est ainsi que nous serons un peuple complet ». Ce pèlerinage à Leyuad, berceau des Hommes du Livre et de l’identité sahraouie, est ainsi une ouverture plutôt qu’une fixation.
Et si nous nous intéressions davantage au Sahara occidental ?

Trailer « LEYUAD, Un viaje al pozo de los versos »

Il est à noter que le premier réalisateur sahraoui à recevoir le prix du FiSahara fut en 2014 Bahia Awah avec son film Legna : la poésie sahraouie parle, visible intégralement sur http://www.antropologiaenaccion.org/legna.html///Article N° : 13721

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Les images de l'article
Leyuad, un voyage aux sources de la poésie, de Gonzalo Moure, Brahim Chagaf, Inés G.Aparicio
Leyuad, un voyage aux sources de la poésie, de Gonzalo Moure, Brahim Chagaf, Inés G.Aparicio
Kiosk, de Sidahmed Ahmed





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