Combats étudiants pour l’indépendance de l’Algérie – UNEF-UGEMA (1955-1962), de Dominique Wallon

Eloge de la force morale

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L’engagement : le mot est quelque peu galvaudé aujourd’hui, et il n’est pas inutile qu’un témoignage de temps en temps le restaure dans toute son importance. Durant ces années-là, les années de ses vingt ans, Dominique Wallon s’est engagé tout entier contre la guerre d’Algérie avec le syndicat étudiant qu’il avait finalement accepté de diriger.

Cet exercice de mémoire, beaucoup l’exercent pour se grandir, gommant les hésitations, balayant les contradictions. On joue vite les héros. Rien de cela ici. Si ce livre est passionnant de bout en bout, c’est justement qu’il livre en toute simplicité la difficulté et la progression de l’engagement. On comprend ainsi que c’est plutôt l’Histoire qui nous rattrape que nous qui menons l’Histoire. L’injustice forge la conviction, et c’est elle qui impose les choix.
Ainsi, le jeune Dominique Wallon, étudiant à Sciences Po, ne sait pas encore qu’il fera toute sa carrière au ministère de la Culture et sera directeur du CNC. Ce qu’il sait, c’est ce qu’il a vécu : l’enfance dans la guerre de 1940, un père et un frère cadet résistants, la mort du père, puis, au lycée, l’engagement comme « catho de gauche » à la Jeunesse étudiante chrétienne, la révolte contre l’injustice sociale et coloniale. Ce qu’il sait, c’est qu’il a les yeux ouverts sur le monde et sur les enjeux politiques qui le déterminent.
Le livre devient dès lors, au nom de cette interaction, un parallèle extrêmement instructif entre son parcours personnel et les événements politiques de l’époque. Ni littéraire ni matheux, Dominique Wallon choisit Sciences Po, la meilleure plateforme d’éducation politique et sociétale qu’il pouvait imaginer. L’UNEF (Union nationale des étudiants de France, qui groupe la moitié des étudiants français) venait de basculer à gauche : il s’y engage et finira par en être président en avril 1961, juste avant le putsch des généraux. Ce syndicat indépendant jouera un rôle majeur dans la lutte contre la guerre d’Algérie. En Algérie mais aussi en France, l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens) se solidarise avec le FLN (Front de libération nationale) et sera interdite. Ce sont les rapports entre ces deux organisations que le livre documente, depuis la rupture de leurs relations en 1956 liée au silence de l’UNEF sur l’Algérie. L’Histoire de l’UNEF de 1956 à 1962 sera ainsi celle de l’action syndicale pour amener la majorité des étudiants sur une position contre la guerre, pour les négociations et l’indépendance – et contribuer à fragiliser ainsi le front conservateur.
Interdiction des manifestations, étudiants traqués, réunions et communiqués, harcèlement du gouvernement, soutien ou non à l’insoumission, menace de scission… L’époque exige clarté et détermination pour fédérer et rassembler. Si Dominique Wallon a vite délaissé l’obédience et la foi chrétienne pour ne plus penser la politique que comme un combat, la question morale reste dominante : les attentats du FLN répondent aux exactions françaises. Il comprend que la force morale est essentielle pour rassembler l’opinion étudiante et assumer une position d’avant-garde. Il détaille les stratégies et les rapports de force, au sein du syndicat comme avec l’extérieur. Il prend plaisir à s’inscrire dans le théâtre politique dont il découvre les acteurs et les tenants, mais ne cesse jamais de viser l’objectif final d’une négociation au sommet pour faire cesser la guerre et ouvrir le chemin de l’indépendance.
La présence en Algérie d’un million de pieds noirs lui posait comme aux Français de l’époque une question insoluble : quelle place pouvaient-ils encore occuper dans un pays indépendant ? Le problème humain ne pouvait occulter la réalité de la situation coloniale et la nécessité d’y mettre fin. L’UNEF pointe la crise politique et morale qu’engendre la guerre d’Algérie, et se fait un point d’honneur à signer toutes ses positions avec l’UGEMA, mais, faute d’une base suffisante, elle ne peut s’aligner sur la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France qui aurait voulu étendre ses positions anticolonialistes à l’indépendance des DOM/TOM et à la contestation de toute nouvelle communauté avec les Etats africains.
Une fois l’indépendance acquise, Dominique Wallon note : « J’espérais de la part de mon pays un dialogue constructif, conscient du poids de ses responsabilités et respectueux d’une indépendance si lourdement payée. Rien ne s’est passé vraiment comme cela. » (p.181) Reste le vécu, cette « période de ma vie qui aura sûrement été la plus riche et forte de mon existence ». (p.191)
La langue précise de Dominique Wallon n’a certes pas l’incomparable poésie de celle de François Maspéro qui décrivait son engagement d’éditeur durant les mêmes années dans Le Figuier, mais ils partagent la même simplicité et partant la même force de conviction. Cette lecture apporte une compréhension profonde des enjeux à l’œuvre, tant au niveau politique que de l’engagement humain. Les faits ont soixante ans d’âge, mais cet hier guide aujourd’hui.

Le livre a d’abord été édité en 2014 chez Casbah Editions en Algérie puis en France en 2016 chez L’Harmattan (cf. liens), à commander en librairies ou sur internet.///Article N° : 13801

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Un commentaire

  1. Dr. Ahmed Dahamni le

    Ou sont tous les etudiants algeriens de l UGEMA ayant etudie en Deutsch Bundesrepublik et en DDR Deutsch Demokratish Republik apres la declaration de greve et de boycotte des universites francaise 1956-1962.

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