Mohamed Benmessaoud : « Le mouvement dans la BD va plus vite que dans le cinéma ! »

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Islam et bande dessinée ne font pas toujours bon ménage, du fait de la difficulté de représenter le prophète notamment dans la tradition islamique. S’il existe des cas où cela s’est bien passé, comme pour les Tunisiens Radhouane Riahi et Yosri Bou Assida qui ont publié chez Yassine éditions, L’histoire de l’Islam pour la jeunesse, d’autres auteurs ont eu des difficultés comme ce fut le cas pour le philosophe tunisien Youssef Seddik. Il a tenté de publier le Coran sous forme de bande dessinée en sept volumes aux éditions Alef (dess. de Benoît Pelloux, Philippe Jouan et Philippe Teulat, scén. de Youssef Seddik). Après la sortie de deux tomes, l’initiative sera interrompue par la condamnation des autorités religieuses du pays devenant la première série bande dessinée censurée d’Afrique francophone.  Pourtant, il y a une trentaine d’années au Liban, l’éditeur Dar Al Afar al jadida avait déjà publié en 16 volumes une histoire de l’Islam en bande dessinée. En évoquant sa longue carrière, son dessinateur, Mohamed Benmessaoud, revient sur son parcours et sur cet épisode peu connu de la bande dessinée maghrébine. L’occasion également d’échanger sur  les droits d’auteurs au Maroc, et les questions de diffusion  à grande échelle.

Pouvez-vous nous parler du début de votre carrière ?
Je suis né en 1951. J’ai commencé ma carrière de professeur de dessins et travaux manuels en 1973. Ensuite, j’ai été muté à l’école régionale des instituteurs à Tanger où j’ai passé quelques années, de 1975 à 1977. Par la suite, j’ai travaillé au Centre de formation des institutrices pendant cinq ou six ans. Toujours comme professeur d’Arts plastiques, fonctionnaire d’Etat.

Et la bande dessinée dans tout ça ?
J’ai commencé à dessiner en imitant les petites BD que l’on diffusait dans le pays, en petit format : Akim, Tarzan, etc. Mais mes premiers dessins lucratifs étaient des dessins de presse. Je les ai faits à l’âge de 17 ans quand j’étais étudiant à la section des Arts appliqués à l’Institut de Casablanca. J’ai commencé à travailler avec un quotidien hispanophone qui s’appelait El Espana. C’est grâce à cette collaboration que j’ai pu financer mes études. En effet, je louais avec un ami un petit studio avec électricité pour 90 dirhams par mois, soit 45 chacun. Etant payé 5 Dirhams par dessin, je recevais environ 100 à 120 Drh par mois. Mais je ne savais pas à l’époque que j’allais réaliser une BD, je n’en avais aucune idée ! Mes dessins étaient au jour le jour. Mais j’aimais énormément le 9ème art, le mouvement dans la BD va plus vite que dans le cinéma. Le pictogramme en particulier permet d’imaginer la vitesse d’un coup de revolver. C’est la raison pour laquelle on dit que Luky Luke tire plus vite que son ombre (sourire).

Quand avez-vous débuté véritablement la bande dessinée ?
Pendant longtemps, j’ai fait de la bande dessinée mais sans être édité, à l’occasion de séminaire, de forum, etc.
J’ai réalisé une série en 1984 avec un de mes élèves,  Chbabou Abdelaziz. Il a écrit le scénario, j’ai dessiné : L’histoire de l’Islam en bande dessinée. Un éditeur libanais installé à Beyrouth nous a finalement publiés, Dar Al Afar al jadida.

Comment s’est déroulé cette collaboration ? 
Les difficultés, pendant plus de cinq ans, ont été nombreuses pour faire éditer la série. On a travaillé avec des techniques traditionnelles : l’encre de chine, l’aquarelle, le lavis…. Il n’y avait pas d’infographie. Mais le travail traditionnel donne un meilleur rendu que le travail digital. On a contacté plusieurs éditeurs à Casablanca et Abdelaziz est allé à leur rencontre avec quelques photocopies du premier numéro. Mais ceux-ci se méfiaient de la BD. Pour eux, celle-ci avait un faible pouvoir de vente, seuls les manuels scolaires marchaient bien. L’un d’entre eux a orienté mon ami vers le correspondant local d’un éditeur libanais, M. Baalabakki. Dès qu’il a vu le produit, il a tout de suite été d’accord. On a même failli signer le contrat sur place. Quand on lui a dit qu’on n’avait qu’un seul tome, cela ne lui a pas posé de problèmes, il nous a donné une avance pour le premier tome et une deuxième avance pour le tome 2. Puis par la suite, nous avons reçu une somme pour chaque tome suivant, cela a duré pendant 6 ans, jusqu’à la fin des 16 tomes de la série. On a partagé à part égale pour le dessinateur et pour le scénariste, alors que ce n’est pas du tout l’usage. Nous recevions donc une avance et chaque année, un détail des ventes pour le calcul des droits d’auteur.

Recevoir des droits d’auteur n’est pas courant en Afrique…
En tous les cas, cela nous a encouragés car sinon, nous n’allions pas continuer. J’aime la BD, bien sûr, mais la BD pour le plaisir ne nourrit pas son homme. Chaque tome faisait 12 pages, sur demande de l’éditeur qui souhaitait que cela soit de lecture rapide. C’est grâce à cette série que j’ai vraiment appris à dessiner. En effet, le dessin du dernier tome, le seizième, est bien plus propre que le premier. Je me suis amélioré au fil des années. Il fallait aussi être fidèle aux personnages.

Combien de temps a duré cette aventure ?
On a produit cette série de 1984 à 1990 pour un total d’environ 200 pages dessinées, couverture comprise. A compter du 4ème tome, l’éditeur a sorti les albums ensemble sous plastique.  Il a lancé l’ensemble de la collection par série de quatre jusqu’au volume 16. A la fin, il a lancé les 16 volumes ensemble sous la forme d’un seul pack, même si les albums se vendaient à l’unité aussi comme par exemple lors des salons du livre, comme celui de Tanger. La série se vend encore de nos jours. Pour ma part, j’ai un petit stock chez moi que je compte écouler lors de salons du livre ou dans des rencontres dans des établissements scolaires. C’est normal, il n’y a pas d’autres BD sur l’Islam, si ce n’est des livres illustrés. J’ai eu une proposition pour les traduire en anglais mais il n’y a pas eu de suites. Je serais aussi intéressé par une diffusion en français dans les pays francophones mais il faudrait que ce soit traduit en français car tel n’est pas encore le cas. Il faut noter que j’ai continué à enseigner en parallèle durant toutes ces années.

Dans quels pays la série a-t-elle été diffusée ?
Au Liban, Lybie, en Egypte, en Tunisie, en fait dans tous les pays arabes sauf l’Arabie Saoudite. Les autorités Islamiques n’ont eu à donner leur accord que dans deux pays : le Maroc et l’Egypte. Pour les autres pays, c’était libre. En fait, le message de ces albums est très modéré. On n’a eu aucun problème car ce qui est décrit dans cette série, c’est le mal et le bien, rien d’autres. Le contenu était connu de tous et les albums ne mettaient en scène que les enseignements de l’Islam. On a également respecté certaines règles. Par exemple, on a évité de dessiner le prophète et ses amis. Quand celui-ci parlait, il était symbolisé par un de ces amis, Zaïd, qui reprenait ces propos, comme une sorte de porte-parole. On a donc symbolisé la parole du prophète. Mais ce n’est pas le Coran en Bd,  même s’il y a des extraits dedans, très courts d’ailleurs, c’est vraiment l’histoire de l’Islam, l’histoire des peuples qui forment la communauté des croyants, la oumma.

Avez vous une idée du nombre d’albums vendus ?
Je ne sais pas exactement, cela s’est vendu à près de 100 000 à 150 000 exemplaires par an au début. Au Maroc, cela s’est peu vendu, en comparaison avec les autres pays. Si on prend par exemple la Lybie, pays où cela s’est vendu le plus, cela tournait autour de 20 000 ex annuels. Alors qu’au Maroc, on a atteint 5 000 ex, le chiffre le plus faible de tous. En Algérie, cela s’est bien vendu aussi car la BD a une vraie tradition là-bas. On touchait 10 % du prix de vente

Quelle a été la suite de votre carrière ?
J’ai été appelé pour participer à la 3ème édition du FIBDA, c’était extraordinaire. J’y ai fait connaissance d’un grand auteur comme Slim. Et puis, j’ai fait d’autres BD, en particulier sur le fait de faire une école de qualité avec peu de moyens. Cela s’appelait Ecole de qualité, en 2004 – 2005. Cela a été financé par l’UNICEF. Il n’y avait pas de droits d’auteur, on me payait par planche. Par la suite, les planches ont été agrandies pour en faire une exposition qui a été inaugurée à Agadir mais qui a tourné partout, y compris en Afrique noire. J’ai aussi fait une BD sur l’environnement, 40 pages, en français et en arabe qui s’appelait Notre environnement, notre vie, en 2007-2008, financée par Véolia. Elle faisait une quarantaine de planches. J’ai également produit beaucoup d’illustrations de presse, des dessins d’humour.
En dehors de la bande dessinée, je me suis orienté vers la réalisation de figurine pour l’apprentissage scolaire :  à l’école marocaine, un programme d’expressions orales nécessitait l’utilisation d’exemples sous forme de figurines. De fait, celles-ci étaient obligatoires pour l’enseignement de certaines matières, mais c’était aux enseignants de les prendre en charge alors que leur salaire était dérisoire. Elles venaient alors de France et étaient très chères et peu adaptées au contexte local. A la demande d’une école, j’ai fait une série très schématisée qui représentait le sourire, le rire, la colère, etc… En tout, 400 images. Un imprimeur nous a aidés Il en a imprimé 1000 ou 2000 d’un seul coup et cela s’est répandu jusqu’à Casablanca. Il m’a alors appelé et m’a demandé s’il pouvait en imprimer d’autres. J’ai dit oui et il en a à nouveau vendu 5 000 spécialement à Casablanca.

Une forme de reconnaissance officielle en quelque sorte…
Oui ! Le Ministère de l’éducation Nationale en a acheté, s’est interrogé et a appelé leur délégué à Tanger. Ils m’ont demandé de venir les voir et j’ai vu qu’ils en avaient un stock dans leur bureau. Puis, j’ai reçu une convocation officielle pour participer au choix des premiers manuels d’enseignement artistique d’après l’indépendance. Après le choix, on m’a demandé d’illustrer le premier manuel pédagogique officiel Marocain sur les arts plastiques. C’était dans les années 80, j’ai même touché des droits d’auteur. Cela a donné tout d’abord le Cahier de dessins et travaux accompagné d’un manuel. Puis par la suite, le manuel d’éveil artistique et enfin, le manuel d’éducation artistique. J’ai commencé seul et par la suite, on s’est retrouvé à sept sur le deuxième manuel.

Et maintenant, quelles sont vos activités ?
J’ai continué ma carrière de professeur jusqu’à mon départ volontaire en 2005, huit ans avant ma retraite. Puis je suis devenu président de l’association Tanger – arts plastiques (ATAP), avec laquelle, on a organisé des manifestations et festivals comme Tanger – Rencontre des cultures, Les arts plastiques dans le grand Maghreb arabe ou le Festival d’Arts plastiques Nord – sud, pour lequel on avait invité 5 pays européens et 5 pays de l’Afrique. J’y ai fait deux mandats avant de céder la place comme le prévoyaient les statuts. Actuellement, je vice-président du club UNESCO de la ville de Tanger, on organise régulièrement des évènements comme des vente aux enchères dernièrement.
J’ai fait une belle carrière, éclectique et au service des autres. Cela m’a bien plu.

 

Tétouan, le 24 avril 2019.

 

 

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Un commentaire

  1. « Recevoir des droits d’auteur n’est pas courant en Afrique » : non sens Monsieur Cassiau Haurie, non sens ! Allez dire à Cassava Republic, Elyzad et plein d’autres qu’ils ne payent pas les droits : on verra comment ils vous reçoivent. Je vais retourner le truc : ne pas payer les droits est une pratique courante en France. Mais moi, je ne généraliserai pas : « une pratique de certains éditeurs français ». Et je parle d’expérience. Vous êtes aussi informé que moi de ces questions, voire plus.
    Ca va bien de sapper le travail des éditeurs africains ?
    Raphaël Thierry

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