Twist à Bamako, de Robert Guédiguian

Pour une révolution sensuelle

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Le 22ème film de Robert Guédiguian est sorti le 5 janvier 2022 sur les écrans français. Ce n’est pas la première fois qu’il quitte Marseille mais la première qu’il tourne en Afrique, sans toutefois se dégager de sa nostalgie pour les moments où il était encore possible de vivre ses amours tout en contribuant au changement de la société.

On trouve des cinéastes photographes mais il est rare qu’un film vienne de la photographie. C’est à l’exposition Mali-twist de la Fondation Cartier à Paris à l’automne 2017 que Robert Guédiguian a flashé sur les photos de Malick Sidibé. Il est vrai qu’elles semblent danser avec leurs danseurs ou se baigner avec leurs baigneurs. Surtout photographe de studio, il savait trouver les accessoires et les fonds de scène qui non seulement magnifiaient les sujets mais représentaient les aspirations de leur époque.

Twist à Bamako est ainsi parsemé d’arrêts sur image en noir et blanc, interrompant le fil de la couleur, qui tous évoquent des photos célèbres de Malick Sidibé. Ce dernier apparaît à l’écran mais l’acteur ne saurait rendre l’inoubliable et inégalable œil malin, et la douce vitalité qui m’avaient frappé chez le photographe disparu en 2016. C’est sur cette corde raide que navigue le film qui cherche à rendre palpable le parallèle établi entre une histoire d’amour mélodramatique et la fièvre politique d’un pays où l’ardeur révolutionnaire a du mal à faire bouger le statu quo.

Nous sommes donc en 1962, Modibo Keïta est président depuis l’éclatement de la Fédération du Mali avec le Sénégal le 22 septembre 1960. Il s’appuie sur de jeunes exaltés pour mener le pays vers le socialisme. Samba (Stéphane Bak) est de ces idéalistes. Fils d’un riche commerçant en textiles (Issaka Sawadogo), il va en petite équipe et en treillis dans les villages pour prêcher la bonne parole. C’est là que Lara (Alicia Da Luz Gomes), qui danse si bien autour du feu et témoigne d’un fort caractère, s’accroche à eux pour fuir un mariage forcé, et que leur histoire d’amour commence. Lara va s’initier au twist que dansent les jeunes sensibles à la culture américaine mais les autorités du parti trouvent que cette danse les dévoie des valeurs de la révolution. Les filles quittent en effet avec plaisir leur boubou en entrant dans la boite de nuit pour danser en short…

Les commerçants luttent contre les mesures restrictives du gouvernement tandis que le mari de Lara la recherche et que les autorités restent légalistes, le code la famille n’ayant pas encore été réformé : Samba se trouve pris entre tous les feux, sans oublier la référence coranique permanente de son grand-père. S’il peut comprendre les conflits d’intérêt de sa famille comme les réactions des paysans peu tentés par le collectivisme, il croit à leur évolution après étude et éducation politique. Par contre, lorsqu’il voit ses dirigeants rejeter le twist comme contre-révolutionnaire alors que les jeunes y trouvent leur liberté face aux traditions trop contraignantes, il sent que cette révolution ne sauvera ni le pays ni son amour.

On comprend pourquoi Guédiguian a choisi d’aller tourner ainsi en Afrique un film historique : ce sont les interrogations et énergies de sa propre jeunesse qu’il retrouve à travers ces jeunes de Bamako qui rêvent d’un Etat socialiste tout en dansant le twist et le rock. Il retrouve Gilles Taurand, le scénariste qui a beaucoup collaboré avec André Téchiné et avec qui il avait écrit des films hors-Marseille : Le Promeneur du Champ-de-Mars (sur François Mitterrand à la fin de son deuxième septennat, 2005), L’Armée du crime (sur le groupe Manouchian durant la résistance française, 2009) ou encore Une histoire de fou (sur les conséquences terroristes du génocide arménien, 2015). Ici cependant, comme dans ses films marseillais, c’est l’histoire d’amour qui prime et constitue la trame narrative tandis que le moment historique fournit le contexte, précise les personnages et alimente les tensions.

Pour dépasser la distance induite par la reconstitution historique et les photos, sans doute aurait-il fallu davantage d’ancrage : le tournage en français de la plus grande partie du film agit comme obstacle, mais il permet aussi la présence au casting d’une pléiade de Français d’origine africaine (Stéphane Bak, Alice Da Luz, Bakary Diombera, Ahmed Dramé, Saabo Balde et Diouc Koma) qui trouvent enfin là des rôles sortant des clichés auxquels ils peinent à échapper en France. Guédiguian annonce un doublage en bambara et en wolof pour diffusion dans les télévisions maliennes et sénégalaises. L’insécurité au Mali y rendait le tournage impossible : c’est donc au Sénégal, à Thiès et ses environs, Saint-Louis et Podor que le film a été tourné, avec Karoninka (Angèle Diabang) pour assurer la production exécutive sur place. Les figurants ont été recrutés auprès des associations bambaras de Saint-Louis.

Il est heureux que le régime de Modibo Keïta n’y soit pas un objet de culte inconditionnel comme il le devient aujourd’hui : Guédiguian cerne les contradictions d’un pouvoir certes révolutionnaire mais devenu autoritaire face aux résistances au changement, avant d’être finalement renversé par plus autoritaire que lui. Il se concentre sur le twist : « J’ai essayé de montrer cette erreur totale des dirigeants du Mali qui considéraient que ces clubs sécrétaient une idéologie contre-révolutionnaire », dit-il, ne s’engageant pas davantage dans l’analyse historique, se contentant de rappeler qu’une révolution n’aura pas de lendemains qui chantent sans le sens de la fête et la sensualité correspondante, et donc sans une vision globale du changement et de la liberté, tant des corps que des esprits, tous invités à se contorsionner ! Twist à Bamako n’est ainsi pas « un cinéma de pancarte », mais une histoire humaine, physique, touchante et palpitante, tragique comme la révolution, autour d’aspirations de la jeunesse qui résonnent encore aujourd’hui.

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