Regarder des films en Afrique francophone

Deux livres essentiels sur les pratiques et usages du film

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Parus respectivement en 2017 et 2019, et dirigés par Patricia Caillé et Claude Forest, Regarder des films en Afriques (t.1) et Pratiques et usages du film en Afriques francophones (t.2) (Presses universitaires du Septentrion), s’appuient sur de sérieuses enquêtes de terrain, largement illustrées : un travail qui n’avait jamais été réalisé en Afrique alors même que la vision des films évolue très rapidement avec les nouvelles technologies et les développements économiques.

Il est vrai que tout va très vite : la demande d’images ne faiblit pas, leur production s’accroît, tandis que les salles de cinéma ont perdu leur monopole ancestral au profit des festivals, de la télévision, d’internet et des plateformes, soumis à de nouveaux et puissants intérêts économiques. En système libéral où la rentabilité est première, cela pose chaque jour davantage la question de l’autonomie, sujet qui avait été au centre des préoccupations aux Indépendances (cf. Les salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1926-1980), de Claude Forest, article n°15194). Nombre de films conçus pour la projection en salle sont regardés sur de petits écrans.

 

Maroc, Tunisie, Togo et Tchad

Alors que Regarder des films en Afriques (t.1) s’appuie sur des enquêtes menées auprès de 3000 personnes en 2015-2016 au Maroc, en Tunisie, au Togo et au Tchad, Pratiques et usages du film en Afriques francophones (t.2) envisage de façon nettement plus détaillée ces enquêtes, car enrichies des observations et des réflexions sur la pratique des films développées au sein des équipes de chercheurs et des colloques du réseau de recherche Hescale.[1] Ce travail a été rendu possible par un appel à projet de l’Université de Strasbourg. Son ambition est de renouveler les cadres conceptuels selon une démarche explicitée par Patricia Caillé dans l’introduction de chacun des deux ouvrages. Il s’agit d’appréhender le conditionnement par l’offre au regard de la puissance d’agir des spectateurs (qui ne sont pas des consommateurs passifs). Le questionnaire de quatre pages porte donc sur les équipements utilisés pour voir des films, le contexte de visionnement, le nombre de films vus et dans quelles langues, les genres et nationalités des films privilégiés. La deuxième partie du questionnaire porte sur ce qu’est le cinéma, les films les plus aimés, la façon dont les films sont sélectionnés et les trois derniers films vus, comment et avec qui (t.2, p. 23).

En Tunisie, le militantisme qui a accompagné la filière cinématographique a fondé une conception politique fondée sur le film d’auteur tandis que la télévision a peu à peu tiré vers le divertissement. La forte présence des films tunisiens, des festivals d’importance, l’accompagnement médiatique et l’actuel redéploiement des salles soutiennent une relation particulière au cinéma. Cependant, plus on s’éloigne des centres urbains, plus le divertissement est privilégié, surtout avec la comédie et les films hollywoodiens. Les hommes consomment plus individuellement le cinéma que les femmes et préfèrent les films américains.

Partout, le réseau internet et télévisuel se densifie et rend caduques les dvd tout en diversifiant l’accès aux programmes.

Au Maroc, qui soutient efficacement la production et les nombreux festivals, l’offre télévisuelle publique est énorme (9 chaînes) pour faire face aux autres chaînes, notamment arabes. L’arabe classique domine comme dans la presse écrite (dont l’importance pour le cinéma est faible) alors qu’il n’est compris que par 40 % de la population qui parle surtout les dialectes, notamment le darija. Comme en Tunisie, les films locaux et américains sont préférés tandis que les films égyptiens, qui restent appréciés par les femmes, sont marginalisés. Les multiplexes du groupe français Mégarama concentrent une grande partie des spectateurs. Comme partout, les films sont massivement vus, mais majoritairement sur petit écran.

Au sud du Sahara, les vidéo-clubs informels ont remplacé les salles de cinéma et échappent ainsi à toute statistique. Ils se sont multipliés du fait de la faiblesse du niveau de vie, tandis que le peu d’équipements et les problèmes de connexion empêchent l’internet de jouer un rôle. Au Tchad, le cinéma reste cependant dans l’esprit des gens un vecteur de savoir et d’éducation autant que de loisir. Les séries ou sitcoms télévisés sont très populaires, tandis que les connexions internet et les coûts ralentissent l’implantation des plateformes. Le téléphone portable est devenu le principal prescripteur dans le choix des films. L’énorme développement des vidéo-clubs (appelés cinéclubs) fait qu’on voit les films plus collectivement qu’au Togo.

Dans ce pays où les salles de cinéma ont totalement disparu entre 2009 et 2016, marginalement compensées par le cinéma numérique ambulant et les centres culturels étrangers, le cadre familial, amical ou de voisinage domine pour regarder des images. Ici aussi, les vidéo-clubs informels se sont développés, ainsi que des séances dans des hôtels et restaurants. L’ouverture de deux Canal Olympia à Lomé a restauré la vision de films en salles, essentiellement américains. La graduation des offres d’abonnement au bouquet Canal+, que l’on renouvelle chaque mois très librement, a assuré son succès, dynamisé par l’intégration de Nollywood TV, doublée en français. Globalement, le public aime surtout les films d’action américains, ainsi que les téléfilms et séries africaines et indiennes, mais apprécie aussi le rôle éducatif du cinéma.

Ces enquêtes témoignent d’une forte segmentation des publics à laquelle le peu de salles de cinéma ne peuvent répondre, et d’un intérêt toujours grandissant pour les séries aux dépends des films. Une autre dominante est le peu d’intérêt pour le cinéma français ! Mais il est clair que la diversité domine dans les pratiques des quatre pays, ce qui augure d’une pluralité encore plus manifeste à l’échelle du continent. En outre, en dépit d’une volonté d’élargir les bases, les enquêtes n’ont pu être menées qu’auprès d’un public urbain. Il est au Maroc et en Tunisie davantage équipé et érudit, et répond plus facilement à des questionnaires approfondis le plus souvent portés par des étudiants.

 

Regarder des films en Afriques

Alors que ces quatre enquêtes font la totalité de Pratiques et usages du film en Afriques francophones (2019), leur précision réjouissant les chercheurs mais rendant sa lecture un peu fastidieuse, Regarder des films en Afriques (2017), publié deux ans auparavant, offre une grande diversité d’approches du rapport des publics aux possibilités ouvertes par les nouvelles technologies. Il a pour ambition de « rapprocher des traditions de recherche qui communiquent peu », un œil tourné vers les cultural studies qui « ont réhabilité les cultures profanes dans le champ des recherches ». (p. 27)

C’est ainsi que la première partie est consacrée aux études historiques, avec en ouverture un puissant article d’Odile Georg sur les rires, applaudissements et protestations des publics africains en Afrique coloniale, qui construisaient par cette indocilité « une sociabilité ou sensibilité communes », une arène politique préparant l’émancipation. On retrouve ces logiques dans l’article de Vincent Bouchard qui analyse les interjections dans les projections, pratiques de résistance dans la Haute Volta coloniale alors qu’au Sénégal, le commentaire des films indiens par des griottes frisait l’hégémonie de pensée.

C’est cependant ce griot-bonimenteur qui apparaît à François Fronty comme la perpétuation d’une pratique traditionnelle d’énonciation et de réception. Relayée par les cinéastes, elle occupe une place fondatrice et encourage le spectateur à être acteur de ses propres représentations.

Nolwen Mingant montre à l’exemple du cinéma hollywoodien comment la tarification segmente l’offre dans les pays du Maghreb colonial, distinguant les publics à partir de caractéristiques culturelles, raciales et religieuses, à l’image de la séparation opérée dans la société. Quant à Karine Blanchon, elle rappelle que la salle de cinéma est aussi un point de rencontre entre les différentes classes sociales. Son riche panorama historique des salles et de la diffusion des films débouche sur la constatation de la démission de l’Etat malgache malgré la nationalisation du cinéma en 1975 qui avait eu raison des salles. L’émergence d’une production vidéo en malgache appréciée du public dans les années 2000 ne fut qu’éphémère du fait de l’instabilité politique et du poids de l’église.

Premier bilan des études de terrain pratiquées en Tunisie, au Togo, au Tchad et au Burkina Faso, la deuxième partie du livre en arrive à se demander ce que recouvre la notion de public alors même que l’on regarde de plus en plus les films dans un espace privé et individuel. De même, c’est la notion de cinéma qui est corrélativement remise en cause, pourtant ancrée dans les imaginaires tout en étant genrée, plutôt distraction pour les hommes et culture pour les femmes.

Pour le Burkina Faso, Justin Ouoro propose en référence au Nollywood nigérian le concept de « Ouagawood » sur la base des films de Boubakar Diallo et de Sidnaba et de « Follywood » à partir des films « en folie » d’Oumar Dagnon et Ibrahim Olukunga. Ils stipulent tous que « l’important dans un film, c’est l’adhésion du public », et de fait le public adhère à ces images locales. Pour Justin Ouoro, ce cinéma commercial et entrepreneurial mais de faible budget est aux antipodes du cinéma de leurs aînés, identitaire et panafricaniste.

Feu Michel Serceau, qui étudie l’offre de films au Maroc, où la production locale est conséquente et rencontre son public en salles, montre que les grands succès du cinéma marocain sont des comédies et ceux du cinéma hollywoodien des films de super-héros et convoquant l’imaginaire. Les films indiens ont reculé et les films de karaté ont disparu.

Cette troisième partie, intitulée « Reconcevoir les publics à partir de l’accès aux films », s’intéresse essentiellement aux alternatives aux salles de cinéma. Lamia Guiga propose une étude de cette forme nouvelle du piratage qu’étaient les quelque 75 000 DVD-clubs existant alors dans le Grand Tunis, lesquels ont largement régressé aujourd’hui du fait de la généralisation de l’internet. Leur succès était lié au rejet des programmes de la télévision nationale avant la révolution, si bien que certains vendeurs étaient de vrais cinéphiles. La plupart suivaient cependant la culture grand public « mainstream », les autres, de jeunes chômeurs apparus après la révolution sur un mode totalement illégal et opportuniste, focalisés sur la vente de jeux vidéo ou logiciels piratés, offraient aussi des films d’action et des mangas ou séries asiatiques. Pour les publics, la notion de genre s’efface devant la nouveauté que sous-tend le film commercial, tandis que la demande de séries supplante celle de films.

Honoré Fouhba analyse les raisons du maintien des vidéo-clubs au Nord-Cameroun malgré leur interdiction officielle et répressive en 1995. Ce bannissement était lié à la mauvaise influence de ces lieux sur les élèves qui séchaient l’école pour y voir des films violents, parfois érotiques, dans une région où la tradition peule pulaaku est la plus influente. Mais il ne résolvait pas le manque laissé par la fermeture des salles.

L’article d’Ati Komi sur le cinéma itinérant et son développement MobiCiné vers les écoles donne un exemple de réponse similaire au Togo. Il est complété par l’article de Claude Forest et Juliette Akouvi Founou sur la réception des films en milieu rural dans le même pays, qui analyse en détails le fonctionnement du cinéma numérique ambulant et la réception des films par le public mobilisé. Il met l’accent sur le succès des films du cinéma burlesque américain qui « tranche avec les thématiques sociales ou politiques qu’ont voulu aborder la majorité des réalisateurs africains ces dernières décennies, de surcroît traitées sous un angle dramatique » (t.1, p. 315).

Avec un article sur la circulation des films vidéos nigérians en Côte d’Ivoire, Alessandro Jedlowski livre une passionnante analyse qui montre le passage progressif d’une forme matérielle (la vidéo, le vcd/dvd) à une forme immatérielle (tv, internet) qui a profondément modifié les ordres économiques et politiques. Financés à bas prix par les marketers, donc selon une inversion des logiques par une distribution uniquement orientée vers le profit, les vidéos nigérianes ont connu un fulgurant succès. La concurrence a commencé avec la création de la chaîne satellite sud-africaine Africa Magic, propriété du fournisseur de films sud-africain DsTV, puis de l’achat par Canal+ de Nollywood.tv avec doublage des films en français, laquelle a très vite conclu un accord avec Iroko.tv, la plus grande plateforme en ligne de distribution des films de Nollywood, afin d’initier des coproductions.

Cela montre que le marché africain est considéré comme rentable à ce niveau par les gros opérateurs, y compris la société chinoise StarTimes. La réponse des marketers puissants est de créer eux aussi leur plateforme internet. Nollywood est donc l’objet d’une bataille économique d’envergure.

 

Limites et ambigüités

Si la question des droits d’auteur est abordée directement par Lamia Guiga ou par Alessandro Jedlowski dans le t.1, elle ne fait pas l’objet d’une problématisation globale alors qu’elle est essentielle puisque déterminante dans le modèle économique de circulation des films. Patricia Caillé et Lamia Guiga notent cependant dans leur étude sur la Tunisie dans le t.2 que le discours de résistance lié au cinéma légitime le piratage des chaînes payantes au nom du droit d’accès pour tous à la culture, sans se poser la question du modèle économique. (p. 55) Il reste aujourd’hui crucial que la question complexe des droits d’auteurs et des droits voisins fasse l’objet de la recherche de solutions originales spécifiques pour l’Afrique et non dans l’application du modèle occidental qui ne fonctionne manifestement pas sur place.

Soulignons par ailleurs une ambigüité qui sous-tend l’ensemble de ces études : les auteurs semblent en effet dubitatifs lorsqu’ils écrivent « la distribution des films en salles toujours conçue comme l’idéal vers lequel tendre » (t.2, p. 13). On voit cependant, phénomène mondial, le nombre d’écrans de cinéma augmenter, phénomène d’autant plus remarquable en Afrique francophone que les salles avaient largement fermé. Comme le rappelle Jean-Michel Frodon, « les gens sortent », et il poursuit : « Les gens veulent se réunir, partager des choses, c’est important dans leur existence » (cf. La masterclass de Jean-Michel Frodon aux JCC de Tunis, article n°14931).

Effectivement, la pratique montre que l’un n’empêche pas l’autre, c’est-à-dire que le développement de la pratique individuelle n’oblitère pas le fait que les salles remplissent un rôle essentiel, certes devenu parfaitement marginal, de montrer une diversité de films dans des conditions qui respectent l’ambition présente dans les « films de cinéma » d’être vus collectivement dans le noir lors d’un événement puisqu’il s’agit d’une sortie de chez soi. Le retour des salles de cinéma atteste de l’importance de cette pratique en termes de sociabilité : aller pleurer, rire ou avoir peur ensemble au cinéma est une occasion de « faire société ».

Dubitatifs, les auteurs le sont aussi sur « la culture cinéma », au point de revendiquer de se détacher des distinctions qu’elle opère, comprises comme la hiérarchie induite par les jugements critiques sur la qualité des films : « Serions-nous en train de remettre en cause le cinéma au moment même où sont produits en Afrique des films qui circulent et trouvent de larges publics ? » (t.1, p. 22). Si leur contenu n’est pas à considérer pour « se défaire d’une conception des cinémas africains qui serait fondée sur la production » (idem), l’accent n’est plus mis que sur les structures économiques de distribution et les comportements des spectateurs. Il s’agissait donc dans les enquêtes de « rematérialiser » les questions pour obtenir des données de consommation supposément dénuées d’aprioris. Les auteurs insistent pourtant aussi sur l’aura dont dispose encore le cinéma dans les jugements de valeur exprimés, comme s’il n’était pas possible de passer outre. Ce que l’on chasse revient donc au galop, tant le rapport aux images, malgré la disparition effective des salles, ne peut se détacher de ce que l’Histoire du cinéma a imprimé dans les imaginaires, et continue de le faire à travers le star-système et le poids de l’industrie hollywoodienne et des grands festivals et trophées internationaux. Et cela d’autant plus que la production accélérée de films à consommer fait grandement appel au cinéma de genre dont les codes sont issus de cette même Histoire (action, western, policier, etc.).

Peut-on ainsi s’abstraire de ce que mobilise un film chez le spectateur pour étudier les pratiques spectatorielles ? Et donc ne situer les questions politiques que dans les rapports de force établis ou non par les politiques publiques et les intérêts économiques ? D’autant plus qu’on observe actuellement un retour en force des intérêts extérieurs, ceux de l’ancienne puissance coloniale, sous des formes nouvelles mais largement dominantes elles aussi, tant dans la construction de salles que dans la production de contenus. Et que parmi les « groupes multinationaux avides » (t.2, p. 20) le plus actif, Canal+ (qui construit le réseau de salles Canal Olympia et produit ou coproduit de nombreux films et surtout séries en Afrique) a pour maison-mère Vivendi qui poursuit en France une politique de domination médiatique au profit d’idées extrême-droitistes (la chaîne Cnews a offert une voie royale à Eric Zemmour, la radio Europe 1 récemment rachetée par Vivendi a largement « droitisé » son éditorial, etc.). En somme, peut-on en faire abstraction quand on étudie les tendances des programmes sur les publics ? Là est l’ambigüité du travail universitaire qui se voudrait neutre, contrairement au travail critique.

Cette priorité du chiffre sur le contenu conduit également à laisser de côté les pratiques de résistance considérées comme marginales, alors que ce sont surtout dans les niches, souvent aujourd’hui les festivals mais aussi quelques salles militantes et même des plateformes alternatives, que se retrouvent les films indépendants. Cela revient à ne pas vouloir considérer les manipulations à l’œuvre et accuser de mépris et d’obédience occidentale les défenseurs d’un cinéma ambitieux : « les telenovelas dont la simple évocation est encore souvent connotée péjorativement ou de manière condescendante par des locuteurs occidentaux, signe manifeste de leur déconsidération de cette culture populaire et dominée ». (t.2, p. 267). Comme le rappelle Jean-Michel Frodon, disqualifier les approches esthétiques originales en « les dénonçant comme portant la marque de l’élitisme bourgeois, blanc, hétéro, etc. » constitue « une dérive conduisant à une impasse », celle de ce que Malcolm Ferdinand appelle « un impérialisme de l’ontologie ».[2]

Ces mêmes telenovelas, bien qu’issues d’un Brésil largement d’ascendance noire, ont d’ailleurs peu à peu éliminé les personnages noirs de leurs récits ou les ont réduits à des rôles stéréotypés, ce que montre le documentaire La Négation du Brésil (2000, 92′), alors que les acteurs noirs y avaient rencontré de fiers succès dans les telenovelas des années 60 et 70. Les relations raciales dans les telenovelas ne sont pas sans influencer les processus de construction identitaire de la population noire du Brésil.

On voit cependant dans certains pays (Tunisie et Maroc notamment) des films locaux que l’on ne peut ranger dans la catégorie « populaire » connaître de francs succès, une dominante se détachant de l’ensemble des enquêtes : le désir de voir des images de soi, de chez soi – un désir seulement contrarié par le peu voire l’absence de productions nationales. Dès lors, opposer une culture « populaire » à une culture savante nous replonge dans le vieux procès opposant le divertissement à l’art, alors même qu’un des enjeux du cinéma est justement d’être un art du divertissement ou au moins un art divertissant.

Et cela dans un contexte décrit par feu Nour-Eddine Saïl dans son savoureux avant-propos « Vive le foot ! » : « Je dirige un festival de cinéma africain à Khourigba (Maroc) et je peux vous dire que pour trouver 14 ou 15 films à mettre en compétition, il faut se réveiller très tôt ». (t.1, p. 15) Car la dévalorisation continuelle du cinéma d’auteur comme élitiste, occidentalisé et coupé du peuple conduit à son ostracisation et à la diminution des aides et donc à la restriction de l’offre. Corrélativement, ériger le succès public comme seul critère d’une politique culturelle s’oppose à la nécessité de l’art critique comme ferment d’évolution de la société.

Toutes ces remarques étant posées, cela ne diminue en rien l’intérêt de ces études, leur seul défaut étant que les choses évoluent très vite (il y a déjà un gouffre entre les deux livres) et que le récent développement fulgurant des plateformes change encore la donne. Il faudrait un observatoire des pratiques spectatorielles pour étudier régulièrement leurs variations et mutations.

 

 

[1] http://www.groupe-hescale.com/

[2] Jean-Michel Frodon, Le cinéma à l’épreuve du divers – politiques du regard, CNRS Editions, 2021, p. 128. Malcolm Ferdinand, Une écologie décoloniale, Seuil, 2019, p. 200.

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